Le Monde des religions
Quand les religions m’inquiètent
Frédéric Lenoir - publié le 01/05/2012
La montée des fondamentalismes et des communautarismes religieux m’inquiète. Il y a une trentaine d’années, lorsque je commençais à m’intéresser aux religions, l’heure était à la quête spirituelle. On faisait des retraites d’initiation à l’oraison chrétienne ; on partait encore en Inde, sac au dos, chercher des maîtres de sagesse ; moines bouddhistes et moines catholiques échangeaient sur leurs expériences intérieures ; on lisait Rûmi et Maître Eckhart. Les temps ont bien changé.
L’heure est aujourd’hui davantage à la quête identitaire, à la redécouverte de ses propres racines culturelles, à la solidarité communautaire. Et, hélas, de plus en plus aussi : au repli sur soi, à la peur de l’autre, à la rigidité morale et au dogmatisme étroit. Aucune région du monde, aucune religion, n’échappe à ce vaste mouvement planétaire de retour identitaire et normatif. De Londres au Caire, en passant par Delhi, Houston ou Jérusalem, l’heure est bien au voilage ou au perruquage des femmes, aux sermons rigoristes, au triomphe des gardiens du dogme. Contrairement à ce que j’ai vécu à la fin des années 1970, les jeunes qui s’intéressent encore à la religion le sont pour la plupart moins par désir de sagesse ou quête de soi que par besoin de repères forts et désir d’ancrage dans la tradition de leurs pères.
Fort heureusement, ce mouvement n’a rien d’inéluctable. Il est né comme un antidote aux excès d’une mondialisation non maîtrisée et d’une individualisation brutale de nos sociétés. En réaction aussi à un libéralisme économique déshumanisant et à une libéralisation des mœurs très rapide. Nous assistons donc à un très classique retour du balancier. Après la liberté, la loi. Après l’individu, le groupe. Après les utopies de changement, la sécurité des modèles du passé.
Je reconnais d’ailleurs volontiers qu’il y quelque chose de sain dans ce retour identitaire. Après un excès d’individualisme libertaire et consumériste, il est bon de redécouvrir l’importance du lien social, de la loi, de la vertu. Ce que je déplore, c’est le caractère trop rigoriste et intolérant de la plupart des retours actuels à la religion. On peut se réinscrire dans une communauté sans verser dans le communautarisme ; adhérer au message millénaire d’une grande tradition sans devenir sectaire ; vouloir mener une vie vertueuse sans être moralisant.
Face à ces raidissements, il existe fort heureusement un antidote interne aux religions : la spiritualité. Plus les croyants creuseront au sein de leur propre tradition, plus ils y découvriront des trésors de sagesse susceptibles de toucher leur cœur et d’ouvrir leur intelligence, de leur rappeler que tous les êtres humains sont frères et que la violence et le jugement d’autrui sont des fautes plus graves que la transgression des règles religieuses. Le développement de l’intolérance religieuse et des communautarismes m’inquiète, mais pas les religions en tant que telles qui peuvent certes produire le pire, mais aussi apporter le meilleur.
Quand les religions m’inquiètent
Frédéric Lenoir - publié le 01/05/2012
La montée des fondamentalismes et des communautarismes religieux m’inquiète. Il y a une trentaine d’années, lorsque je commençais à m’intéresser aux religions, l’heure était à la quête spirituelle. On faisait des retraites d’initiation à l’oraison chrétienne ; on partait encore en Inde, sac au dos, chercher des maîtres de sagesse ; moines bouddhistes et moines catholiques échangeaient sur leurs expériences intérieures ; on lisait Rûmi et Maître Eckhart. Les temps ont bien changé.
L’heure est aujourd’hui davantage à la quête identitaire, à la redécouverte de ses propres racines culturelles, à la solidarité communautaire. Et, hélas, de plus en plus aussi : au repli sur soi, à la peur de l’autre, à la rigidité morale et au dogmatisme étroit. Aucune région du monde, aucune religion, n’échappe à ce vaste mouvement planétaire de retour identitaire et normatif. De Londres au Caire, en passant par Delhi, Houston ou Jérusalem, l’heure est bien au voilage ou au perruquage des femmes, aux sermons rigoristes, au triomphe des gardiens du dogme. Contrairement à ce que j’ai vécu à la fin des années 1970, les jeunes qui s’intéressent encore à la religion le sont pour la plupart moins par désir de sagesse ou quête de soi que par besoin de repères forts et désir d’ancrage dans la tradition de leurs pères.
Fort heureusement, ce mouvement n’a rien d’inéluctable. Il est né comme un antidote aux excès d’une mondialisation non maîtrisée et d’une individualisation brutale de nos sociétés. En réaction aussi à un libéralisme économique déshumanisant et à une libéralisation des mœurs très rapide. Nous assistons donc à un très classique retour du balancier. Après la liberté, la loi. Après l’individu, le groupe. Après les utopies de changement, la sécurité des modèles du passé.
Je reconnais d’ailleurs volontiers qu’il y quelque chose de sain dans ce retour identitaire. Après un excès d’individualisme libertaire et consumériste, il est bon de redécouvrir l’importance du lien social, de la loi, de la vertu. Ce que je déplore, c’est le caractère trop rigoriste et intolérant de la plupart des retours actuels à la religion. On peut se réinscrire dans une communauté sans verser dans le communautarisme ; adhérer au message millénaire d’une grande tradition sans devenir sectaire ; vouloir mener une vie vertueuse sans être moralisant.
Face à ces raidissements, il existe fort heureusement un antidote interne aux religions : la spiritualité. Plus les croyants creuseront au sein de leur propre tradition, plus ils y découvriront des trésors de sagesse susceptibles de toucher leur cœur et d’ouvrir leur intelligence, de leur rappeler que tous les êtres humains sont frères et que la violence et le jugement d’autrui sont des fautes plus graves que la transgression des règles religieuses. Le développement de l’intolérance religieuse et des communautarismes m’inquiète, mais pas les religions en tant que telles qui peuvent certes produire le pire, mais aussi apporter le meilleur.