Un croque-mort raconte ses «perles d’enterrements»
Les deux fils qui arrivent raide saouls à l’enterrement de leur mère, la maîtresse éplorée qui croise la veuve "légitime": franchement drôles ou tristes à pleurer le croque-mort Guillaume Bailly raconte dans un livre ses «perles d’enterrement».
Barbe d’une semaine, visage rond, jean noir et tee-shirt à l’effigie de l’écrivain fantastique Lovecraft, Guillaume Bailly a des faux airs d’adolescent mal dégrossi. Mais à 38 ans, ce Brestois a passé la moitié de sa vie à ausculter l’humain à l’heure de la mort.
Il y a ce frère et cette soeur, manifestement brouillés, qui finissent par se battre au-dessus du cercueil de leur mère. Il y a ce rire nerveux que le croque-mort doit réprimer quand retentit à la fin de la cérémonie «les sifflements guillerets du Pont de la rivière Kwai». C’était l’ultime voeu du défunt... Il y a cette maîtresse en larmes qu’il faut exfiltrer fissa du salon où elle se recueille sur le cercueil de son amant à l’arrivée de la femme légitime... Il y a aussi cet homme qui déboule sur le lieu d’un incendie où son frère a trouvé la mort. Il prévient l’équipe des pompes funèbres déjà présente sur place: «ce sera une crémation». Puis, très sérieux: «vous me ferez un prix, le travail est déjà bien entamé».
«Croque-mort, c’est l’observatoire parfait de la société», explique dans un sourire Guillaume Bailly, «j’ai simplement compilé les réactions les plus extrêmes et les boulettes». Mais, dans les 309 pages de «Mes sincères condoléances» (paru en octobre aux Editions de l’Opportun), il raconte aussi les épreuves qui marquent à vie. Cette dame qui vit depuis des mois avec le corps en décomposition avancée de son mari. Ou la fois où Guillaume a dû «arracher un enfant mort des bras de sa mère, qui refusait de le lâcher, pour le mettre dans le cercueil». «Ça, ça reste dans un coin de la tête...», dit-il sobrement.
Dans la vie «il y a deux genres de personnes», écrit Guillaume Bailly dans son récit, «celles qui ont ramassé des bouts de cadavre sur cinq cents mètres après une collision (...) avec un train, et les autres». Mais, prévient-il, «si les morts rentrent chez vous le soir, vous ne tenez pas longtemps dans le boulot».
Six feet under
Comme beaucoup de ses collègues, Guillaume Bailly est devenu croque-mort «par hasard», à la faveur d’une mission d’intérim après avoir enquillé les petits boulots. «Je me suis dit, c’est le métier qui me va». «Il faut de l’empathie et une certaine intelligence de l’émotion», dit-il. Il marque une pause, puis reprend: «Mais on peut être un sale con et faire ça très bien». Le métier et son cortège de fantasmes n’est pas toujours facile à porter. Il y a ces clichés liés à «Six feet under», une série américaine qui raconte le quotidien d’une famille de croque-morts.
«Ceux qui deviennent croque-mort à cause de la série ne tiennent pas cinq minutes», tranche-t-il. Il raconte aussi cette fille qui lui plaît et qui tourne immédiatement les talons quand vient le moment fatidique où il doit dire ce qu’il fait. Il détaille les questions bêtes qui reviennent trop souvent. «Tu as déjà vu un mort?» ou «on doit récupérer le cercueil après la crémation ?» Du coup, quand il est invité à un dîner, pour éviter la gêne ou la cascade de questions, il lui arrive de dire qu’il est «astrophysicien» ou plus simplement «au chômage». «Mon livre, c’est un deal», dit-il. «Moi je vous livre mes meilleures anecdotes mais en échange vous arrêtez avec les clichés que vous avez sur le profession». A cet égard, il insiste: «nous ne faisons pas que porter des cercueils, nous accompagnons des familles. Et on ne fait pas de fric sur le malheur des gens quand on gagne 1.400 euros par mois après 15 ans de carrière».
http://www.ledauphine.com/france-monde/2014/10/26/entre-rires-et-larmes-un-croque-mort-raconte-ses-perles-d-enterrements