Par PIERRE BEYLAU
Frères musulmans, wahhabites saoudiens, salafistes nord-africains, mollahs iraniens, islamistes turcs : le citoyen français, même raisonnablement informé, a bien du mal à déchiffrer ce salmigondis. Alors, pour simplifier, on classe tout ce petit monde dans la catégorie générique des intégristes. Et ceux-ci, à n'en pas douter, sont identifiés comme des djihadistes forcenés, ennemis de l'Occident. Commode et reposant pour l'esprit, mais totalement faux !
L'Arabie saoudite est l'un de nos plus fidèles alliés au Moyen-Orient. Or, la monarchie saoudienne, gardienne des deux lieux saints de La Mecque et Médine, puise sa légitimité dans une vision pure et dure du Coran : le wahhabisme. Mohammed ibn Abd al-Wahhab vivait au XVIIIe siècle. C'était une sorte de Luther musulman qui prêchait un retour aux sources de l'islam. Il fit alliance avec un chef de guerre, Mohammed Ibn Saoud, ancêtre des actuels souverains saoudiens. Or, en Arabie, les femmes bénéficient de beaucoup moins de droits qu'en Iran. Exemple : les Iraniennes peuvent conduire leur voiture, contrairement à leurs soeurs saoudiennes. À Riyad ou à Djedda, à l'heure de la prière, la mutawa - la police religieuse - oblige les magasins à fermer et veille à ce que les fidèles se rendent à la mosquée.
En Afghanistan, les groupes fondamentalistes, plus ou moins inspirés par les Frères musulmans, ont été puissamment aidés par les Occidentaux dans les années quatre-vingt pour combattre les Soviétiques. Erreur fatale, fulminent aujourd'hui les spécialistes de la prophétie rétrospective ! Est-ce bien sûr ? Le danger que représentait jadis l'URSS était infiniment supérieur à celui que revêt l'islamisme aujourd'hui. Il était, pour nos sociétés, existentiel. Le communisme avait une vocation universaliste, même si ce côté missionnaire s'est étiolé au fil du temps. La moitié de l'Europe vivait sous la botte d'une Armée rouge dotée d'une puissance considérable, notamment nucléaire.
Un défi limité à la sphère arabo-musulmane
L'islamisme, lui, concerne avant tout le monde musulman. Il peut nous créer de considérables soucis, y compris, marginalement, parmi les minorités issues de l'immigration. Mais il est peu probable que les milliards de Chinois, d'Indiens, d'Européens, de Sud-Américains se convertissent massivement à l'islam... Le défi se situe donc au sein même de la sphère arabo-musulmane. Et là, les choses sont moins simples qu'il n'y parait.
En Égypte, les Frères musulmans ont été tantôt pourchassés, tantôt courtisés quand il s'agissait de faire pièce à l'extrême gauche, tantôt tolérés. En Jordanie, ils siègent au Parlement. En Turquie, le parti (AKP) du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan se veut "démocrate-islamiste" comme on dit "chrétien-démocrate". Malgré des tensions, Ankara, membre important de l'Otan, reste un allié stratégique d'Israël. D'ailleurs, l'État hébreu a, lui aussi, dans le passé, joué à Gaza ou en Cisjordanie la carte des Frères musulmans pour contrer le Fatah.
En fait, il faudra s'habituer à vivre avec le fondamentalisme musulman. Si la démocratie finit par s'imposer en Égypte, en Tunisie ou ailleurs, ils auront fatalement une représentation politique. Mais ce sont les sociétés tunisienne ou égyptienne qui décideront, in fine, de leur place et de leur degré d'ouverture.