Les Indiens ne veulent pas servir de cobayes
Le Point.fr - Publié le 13/01/2012 à 11:13
Les tests de médicaments en Inde donnent lieu à de nombreux scandales, en raison d'une législation insuffisante et d'un contexte social difficile.
Les condamnations récentes de douze médecins, dans l'État du Madhya Pradesh, ouvrent de nouveau le dossier des controverses en matière d'essais médicamenteux en Inde. Une amende de 5 000 roupies (72 euros) a été infligée aux docteurs pour ne pas avoir fourni de détails concernant une série de tests conduits à l'hôpital public de la ville d'Indore. Les effets du Tadalafil, un médicament contre l'hypertension artérielle, déjà sur le marché pour traiter des dysfonctionnements sexuels, auraient été étudiés auprès des patients de l'unité psychiatrique, y compris des enfants. Si les médecins invoquent des clauses de confidentialité, le docteur Anand Rai, l'activiste qui a alerté sur la situation, dénonce "des peines ridicules". Et l'affaire souligne de réelles inquiétudes sur le déroulement des tests de médicaments en Inde.
Depuis quelques années, des associations de défense des droits de l'homme se mobilisent. Car le contexte est propice à ces mauvaises pratiques : faibles coûts, absence de contrôles, corruption et ignorance des patients. Autant d'éléments pour imaginer le pire : des Indiens pauvres et ruraux utilisés comme "cobayes" par des géants pharmaceutiques. Depuis l'assouplissement, en 2005, de la législation sur les tests de médicaments étrangers, ces scénarios alarmistes sont souvent évoqués par les médias.
Qu'en est-il vraiment ? En théorie, les essais doivent être strictement approuvés par différentes instances, notamment par un comité éthique. Mais ce dernier peut être "indépendant", en clair privé, et donc influençable par des intérêts non moins privés. Actuellement, 1 500 séries d'essais sont conduites en Inde sur près de 150 000 sujets. Les décès de patients testés ont augmenté : 671 en 2010, contre 137 en 2007. Seuls certains décès auraient un lien direct avec les essais cliniques et, l'an dernier, quatre cas ont été dédommagés. Mais les scandales surgissent régulièrement. Dernièrement, des accusations se sont ainsi portées sur l'hôpital de la ville de Bhopal, théâtre, en 1984, d'une catastrophe industrielle meurtrière causée par un gaz toxique. "L'hôpital devait mener des recherches sur les effets de l'isocyanate de méthyle, produit à l'origine du désastre, rapporte la revue médicale Mims. Au lieu de se concentrer sur ces enjeux, l'hôpital est vite devenu un fief de tests de médicaments."
Médecins sanctionnés
À l'hôpital d'Indore, les violations auraient été nombreuses par le passé. D'après Mims, "aucun des patients n'a été rémunéré pour les tests, les détails fournis sur les fiches sont flous" et "les fortes doses administrées comportent des risques pour la santé". Anand Rai évalue à 3 300 le nombre des "cobayes" d'Indore depuis 4 ans, dont 1 833 mineurs. "Les tests sont une source alléchante de revenus", explique Chandra M. Gulhati, rédacteur de MIMS qui s'est procuré des copies de contrats illégaux à Indore. "Les docteurs recrutés utilisent le nom de l'hôpital, montre-t-il, mais avec leur adresse et leur compte en banque. C'est une fraude !" Pour Anand Rai, les droits des patients sont bafoués : "J'ai vu des gens se faire tester sans en avoir aucune idée. Ils sont illettrés et parlent un dialecte local. C'est un crime de pratiquer des essais sans leur consentement." Dans le cas du Tadalafil, médicament dont les tests sont en cause par le tribunal, 9 sujets sont des femmes ainsi qu'un mineur de 17 ans. Et, fait rare, deux docteurs ont été sanctionnés par le Bureau national du contrôle des médicaments (DCGI, Drug Controller General of India).
Les controverses pourraient aussi faire chuter ce marché. "L'Inde fait face à une baisse des tests pratiqués en raison de la lourdeur des approbations nécessaires, mais aussi des accusations au manquement éthique", écrit le quotidien économique Mint. Les États-Unis relèvent que 2 % des tests de médicaments dans le monde ont été pratiqués en Inde en 2011. C'est loin des 15 % qui étaient visés, selon une étude de la Chambre du commerce et de l'industrie de l'Inde. Réalisée en 2009, elle évaluait le marché national à 300 millions de dollars, avec une croissance de 30 % par an.
Mais, face aux pressions, le Bureau national du contrôle des médicaments étudie un projet de compensations obligatoires en faveur des victimes de tests de médicaments. Dans l'immédiat, la proposition ne fait pas l'unanimité.
Le Point.fr - Publié le 13/01/2012 à 11:13
Les tests de médicaments en Inde donnent lieu à de nombreux scandales, en raison d'une législation insuffisante et d'un contexte social difficile.
Les condamnations récentes de douze médecins, dans l'État du Madhya Pradesh, ouvrent de nouveau le dossier des controverses en matière d'essais médicamenteux en Inde. Une amende de 5 000 roupies (72 euros) a été infligée aux docteurs pour ne pas avoir fourni de détails concernant une série de tests conduits à l'hôpital public de la ville d'Indore. Les effets du Tadalafil, un médicament contre l'hypertension artérielle, déjà sur le marché pour traiter des dysfonctionnements sexuels, auraient été étudiés auprès des patients de l'unité psychiatrique, y compris des enfants. Si les médecins invoquent des clauses de confidentialité, le docteur Anand Rai, l'activiste qui a alerté sur la situation, dénonce "des peines ridicules". Et l'affaire souligne de réelles inquiétudes sur le déroulement des tests de médicaments en Inde.
Depuis quelques années, des associations de défense des droits de l'homme se mobilisent. Car le contexte est propice à ces mauvaises pratiques : faibles coûts, absence de contrôles, corruption et ignorance des patients. Autant d'éléments pour imaginer le pire : des Indiens pauvres et ruraux utilisés comme "cobayes" par des géants pharmaceutiques. Depuis l'assouplissement, en 2005, de la législation sur les tests de médicaments étrangers, ces scénarios alarmistes sont souvent évoqués par les médias.
Qu'en est-il vraiment ? En théorie, les essais doivent être strictement approuvés par différentes instances, notamment par un comité éthique. Mais ce dernier peut être "indépendant", en clair privé, et donc influençable par des intérêts non moins privés. Actuellement, 1 500 séries d'essais sont conduites en Inde sur près de 150 000 sujets. Les décès de patients testés ont augmenté : 671 en 2010, contre 137 en 2007. Seuls certains décès auraient un lien direct avec les essais cliniques et, l'an dernier, quatre cas ont été dédommagés. Mais les scandales surgissent régulièrement. Dernièrement, des accusations se sont ainsi portées sur l'hôpital de la ville de Bhopal, théâtre, en 1984, d'une catastrophe industrielle meurtrière causée par un gaz toxique. "L'hôpital devait mener des recherches sur les effets de l'isocyanate de méthyle, produit à l'origine du désastre, rapporte la revue médicale Mims. Au lieu de se concentrer sur ces enjeux, l'hôpital est vite devenu un fief de tests de médicaments."
Médecins sanctionnés
À l'hôpital d'Indore, les violations auraient été nombreuses par le passé. D'après Mims, "aucun des patients n'a été rémunéré pour les tests, les détails fournis sur les fiches sont flous" et "les fortes doses administrées comportent des risques pour la santé". Anand Rai évalue à 3 300 le nombre des "cobayes" d'Indore depuis 4 ans, dont 1 833 mineurs. "Les tests sont une source alléchante de revenus", explique Chandra M. Gulhati, rédacteur de MIMS qui s'est procuré des copies de contrats illégaux à Indore. "Les docteurs recrutés utilisent le nom de l'hôpital, montre-t-il, mais avec leur adresse et leur compte en banque. C'est une fraude !" Pour Anand Rai, les droits des patients sont bafoués : "J'ai vu des gens se faire tester sans en avoir aucune idée. Ils sont illettrés et parlent un dialecte local. C'est un crime de pratiquer des essais sans leur consentement." Dans le cas du Tadalafil, médicament dont les tests sont en cause par le tribunal, 9 sujets sont des femmes ainsi qu'un mineur de 17 ans. Et, fait rare, deux docteurs ont été sanctionnés par le Bureau national du contrôle des médicaments (DCGI, Drug Controller General of India).
Les controverses pourraient aussi faire chuter ce marché. "L'Inde fait face à une baisse des tests pratiqués en raison de la lourdeur des approbations nécessaires, mais aussi des accusations au manquement éthique", écrit le quotidien économique Mint. Les États-Unis relèvent que 2 % des tests de médicaments dans le monde ont été pratiqués en Inde en 2011. C'est loin des 15 % qui étaient visés, selon une étude de la Chambre du commerce et de l'industrie de l'Inde. Réalisée en 2009, elle évaluait le marché national à 300 millions de dollars, avec une croissance de 30 % par an.
Mais, face aux pressions, le Bureau national du contrôle des médicaments étudie un projet de compensations obligatoires en faveur des victimes de tests de médicaments. Dans l'immédiat, la proposition ne fait pas l'unanimité.