La fête chiite de l'Achoura
Matthieu Mégevand - publié le 07/12/2011
Depuis le lundi 5 décembre, les musulmans chiites du monde entier célèbrent l’Achoura, qui commémore le martyre de Husayn, petit-fils du Prophète Mohamed, assassiné au 7e siècle à Karbala.
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Des musulmans chiites indiens s'auto-flagellent, à New Delhi, le 6 décembre © Daniel Berehulak / Getty Images / AFP
http://www.lemondedesreligions.fr/actualite/la-fete-chiite-de-l-achoura-07-12-2011-2070_118.php
Les célébrations de l’Achoura débutent le neuvième jour de Muharram, premier mois du calendrier musulman, et célèbrent le lendemain - 6 décembre pour le calendrier grégorien - le martyre de l’imam Husayn, mort à Karbala en 680. Pendant ces deux jours, les musulmans chiites du monde entier organisent des processions et jeûnent. C’est la fête la plus importante de l’année pour cette minorité, qui représentent environ 15% du nombre total de musulmans dans le monde. "Partisans" ("Shi’a") d’Ali, gendre et cousin germain du Prophète, les chiites duodécimains sont très attachés à la figure de Husayn, second fils d’Ali et mari de Fatima, la fille du Prophète, assassiné avec une grande partie de sa famille à Karbala par ses ennemis omeyyades, alors à la tête du califat musulman.
L’histoire des chiites est composé, selon leurs traditions, d’une succession de martyres, de persécutions et de morts violentes, depuis Ali jusqu’au douzième de ses descendants, dont la disparition annonce la fin de la présence terrestre des imams, le début de l’Occultation, jusqu’au retour du Mahdi à la fin des temps pour - enfin - rétablir la justice et punir tous les ennemis d’Ali et de ses partisans. Mais parmi ces imams, le troisième, Husayn, fils d'Ali et petit-fils du Prophète, tient une place particulière. Dans les pays majoritairement chiites comme l’Iran ou l’Irak, mais également dans les pays à minorité chiite comme le Pakistan ou le Liban, la commémoration du martyre de Husayn constitue un moment majeur de l’année. Lors de processions, les fidèles pleurent - littéralement - la mort du troisième imam et maudissent ses ennemis. Des reconstitutions de la bataille de Karbala, lors de laquelle Husayn et presque toute sa famille sont assassinés, sont organisées un peu partout, et les fidèles revivent encore et encore les évènements tragiques. Dans certaines régions, les processions sont l’occasion d’actes d’auto-flagellations très impressionnants - toutefois déconseillées par la plupart des responsables religieux qui encouragent à remplacer ces rites de mortifications par des dons du sang.
La signification donnée au martyre du troisième imam, bien que toujours glorifiée, a varié selon les époques. Ainsi, aux premiers temps du chiisme, aucun successeur de Husayn n’a interprété son attitude à Karbala comme étant un acte "politique", visant à renverser le pouvoir en place. L’acte de l’imam était, selon ses propres successeurs, celui d’un Ami de Dieu (walî) accomplissant sa destinée selon la volonté divine. La bataille et le massacre de Karbala étaient prédestinés à la fois pour que l’imam accomplisse jusqu’au bout son destin de martyre et pour que ses ennemis soient démasqués et maudits à jamais. Une victoire eschatologique par le martyre terrestre en quelque sorte.
Pourtant, au XXe siècle, cette mort tragique prend une toute autre signification. Ainsi, les grandes figures politiques chiites comme le Hezbollah au Liban, s’ils ne nient pas cette interprétation eschatologique, considèrent également Husayn comme l’exemple même du Résistant, qui combat l’oppresseur jusqu’à la mort et qu’il convient de faire "revivre". C’est donc le modèle par excellence à imiter, une figure à la fois religieuse et "politique" dont les combats peuvent être transposés jusqu’à nos jours, les "résistants" du Hezbollah s’assimilant à l’exemple de Husayn et Israël par exemple à celui de ses ennemis acharnés. C’est également l’occasion pour les dirigeants chiites comme Hasan Nasrallah (secrétaire général du Hezbollah) ou Ali Khamenei (actuel "Guide" en Iran) de prononcer des discours très attendus sur la "résistance islamique" ainsi que sur les ennemis de Dieu et du chiisme, "impérialistes américains, sionistes" etc. La politisation de la figure de Husayn est donc très forte, et constitue un déplacement significatif du regard porté sur le troisième imam par les chiites duodécimains, plutôt quiétistes à l’origine.
Les célébrations de l’Achoura sont par ailleurs fréquemment endeuillées - surtout dans les régions où les chiites sont minoritaires - par des attentats perpétrés par des groupes sunnites extrémistes qui considèrent les chiites comme des "infidèles" aux croyances hétérodoxes. Cette année encore, une série d’attentats a fait au moins 28 morts en Irak, donc une dizaine à Bagdad, et 52 morts en Afghanistan.
Matthieu Mégevand - publié le 07/12/2011
Depuis le lundi 5 décembre, les musulmans chiites du monde entier célèbrent l’Achoura, qui commémore le martyre de Husayn, petit-fils du Prophète Mohamed, assassiné au 7e siècle à Karbala.
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Des musulmans chiites indiens s'auto-flagellent, à New Delhi, le 6 décembre © Daniel Berehulak / Getty Images / AFP
http://www.lemondedesreligions.fr/actualite/la-fete-chiite-de-l-achoura-07-12-2011-2070_118.php
Les célébrations de l’Achoura débutent le neuvième jour de Muharram, premier mois du calendrier musulman, et célèbrent le lendemain - 6 décembre pour le calendrier grégorien - le martyre de l’imam Husayn, mort à Karbala en 680. Pendant ces deux jours, les musulmans chiites du monde entier organisent des processions et jeûnent. C’est la fête la plus importante de l’année pour cette minorité, qui représentent environ 15% du nombre total de musulmans dans le monde. "Partisans" ("Shi’a") d’Ali, gendre et cousin germain du Prophète, les chiites duodécimains sont très attachés à la figure de Husayn, second fils d’Ali et mari de Fatima, la fille du Prophète, assassiné avec une grande partie de sa famille à Karbala par ses ennemis omeyyades, alors à la tête du califat musulman.
L’histoire des chiites est composé, selon leurs traditions, d’une succession de martyres, de persécutions et de morts violentes, depuis Ali jusqu’au douzième de ses descendants, dont la disparition annonce la fin de la présence terrestre des imams, le début de l’Occultation, jusqu’au retour du Mahdi à la fin des temps pour - enfin - rétablir la justice et punir tous les ennemis d’Ali et de ses partisans. Mais parmi ces imams, le troisième, Husayn, fils d'Ali et petit-fils du Prophète, tient une place particulière. Dans les pays majoritairement chiites comme l’Iran ou l’Irak, mais également dans les pays à minorité chiite comme le Pakistan ou le Liban, la commémoration du martyre de Husayn constitue un moment majeur de l’année. Lors de processions, les fidèles pleurent - littéralement - la mort du troisième imam et maudissent ses ennemis. Des reconstitutions de la bataille de Karbala, lors de laquelle Husayn et presque toute sa famille sont assassinés, sont organisées un peu partout, et les fidèles revivent encore et encore les évènements tragiques. Dans certaines régions, les processions sont l’occasion d’actes d’auto-flagellations très impressionnants - toutefois déconseillées par la plupart des responsables religieux qui encouragent à remplacer ces rites de mortifications par des dons du sang.
La signification donnée au martyre du troisième imam, bien que toujours glorifiée, a varié selon les époques. Ainsi, aux premiers temps du chiisme, aucun successeur de Husayn n’a interprété son attitude à Karbala comme étant un acte "politique", visant à renverser le pouvoir en place. L’acte de l’imam était, selon ses propres successeurs, celui d’un Ami de Dieu (walî) accomplissant sa destinée selon la volonté divine. La bataille et le massacre de Karbala étaient prédestinés à la fois pour que l’imam accomplisse jusqu’au bout son destin de martyre et pour que ses ennemis soient démasqués et maudits à jamais. Une victoire eschatologique par le martyre terrestre en quelque sorte.
Pourtant, au XXe siècle, cette mort tragique prend une toute autre signification. Ainsi, les grandes figures politiques chiites comme le Hezbollah au Liban, s’ils ne nient pas cette interprétation eschatologique, considèrent également Husayn comme l’exemple même du Résistant, qui combat l’oppresseur jusqu’à la mort et qu’il convient de faire "revivre". C’est donc le modèle par excellence à imiter, une figure à la fois religieuse et "politique" dont les combats peuvent être transposés jusqu’à nos jours, les "résistants" du Hezbollah s’assimilant à l’exemple de Husayn et Israël par exemple à celui de ses ennemis acharnés. C’est également l’occasion pour les dirigeants chiites comme Hasan Nasrallah (secrétaire général du Hezbollah) ou Ali Khamenei (actuel "Guide" en Iran) de prononcer des discours très attendus sur la "résistance islamique" ainsi que sur les ennemis de Dieu et du chiisme, "impérialistes américains, sionistes" etc. La politisation de la figure de Husayn est donc très forte, et constitue un déplacement significatif du regard porté sur le troisième imam par les chiites duodécimains, plutôt quiétistes à l’origine.
Les célébrations de l’Achoura sont par ailleurs fréquemment endeuillées - surtout dans les régions où les chiites sont minoritaires - par des attentats perpétrés par des groupes sunnites extrémistes qui considèrent les chiites comme des "infidèles" aux croyances hétérodoxes. Cette année encore, une série d’attentats a fait au moins 28 morts en Irak, donc une dizaine à Bagdad, et 52 morts en Afghanistan.