« Il n'y a de Dieu qu'Allah l'Unique » Oui, la cathédrale de Chartres héberge entre ses murs la chahada, la profession de foi islamique, écrite en arabe. L'édifice le plus célèbre de la chrétienté aurait-il changé de religion ? La « prophétie » d'Elena Tchoudinova dans La Mosquée Notre-Dame de Paris : année 2048 se serait-elle déjà réalisée au cœur de la Beauce ? Ou bien le bâtiment, pour continuer à exister, aurait-il pris le statut d'une salle polyvalente, comme le suggère pour nos églises de campagne le sénateur communiste Pierre Ouzoulias dans un récent rapport sur l'avenir du patrimoine religieux ? Bref, que reste-t-il de « la Route droite », foulée par les pèlerins de Péguy « tout poudreux, tout crottés, la pluie entre les dents » ? Celle-ci ne mènerait plus au paradis bleu de Chartres mais à l'enfer vert. Le charme de ses fameuses tours dissymétriques cacherait le cri des minarets. La phrase coranique ne figure-t-elle pas sur le drapeau de l'Arabie saoudite, sur celui de Daech aussi ? Pourtant, le rempailleur d'Orléans voyait « la flèche irréprochable et qui ne peut faillir ». Si celle de Paris s'effondra dans le fracas et les flammes, celle de Chartres vacillerait dans le silence et la honte. Un bémol cependant : comment pareille histoire peut-elle n'avoir aucun écho dans les media, en particulier chez ceux dont les valeurs si peu actuelles ont pour métier de monter au front sur le champ de bataille de nos défaites symboliques ? Curieux, tout de même. L'affaire est soulevée par l'écrivain beauceron Christophe Ferré, dans un essai intitulé Les nouveaux mystères de Chartres (Salvator). Ce titre placide et profond fait descendre le sujet en température. S'il y a bien quelque part la phrase la plus sacrée de l'islam, celle-ci n'est pas exploitable par l'industrie médiatique de l'angoisse. Car il s'agit d'un vitrail. Pas n'importe lequel. En plein milieu de la façade. Le vitrail central de la rose ouest, dit « de l'Enfance » ou de « l'Incarnation », estampillé 50 et encadré par deux autres lancettes en arc brisé, celles « de l'Arbre de Jessé » (49) et « de la Passion » (51). Surmontées par la rosace 141, les trois verrières appartiennent au « massif occidental », la seule partie de la cathédrale romane de Fulbert (952-1028) ayant réchappé à l'incendie de 1194. Ces chefs d'œuvre du milieu du XIIe siècle (1145-1155) précèdent les cycles de vitraux gothiques. Nettoyées et protégées dans les années 70, les trois baies sont restaurées en 2012, date à laquelle on découvre sur l'une d'elle… l'inscription islamique ! Que voit-on ? Pas grand-chose depuis que la tribune, supprimée lors de la construction de la cathédrale gothique, ne permet plus de lire cette « bande dessinée mystique », selon Ferré. Si d'en bas, on ne distingue rien, l'historien Paul Durand (1805-1882), amoureux de la chrétienté orientale, parle de disques ou de pièces portés par les rois mages. Selon Karine Boulanger, ingénieur de recherches au CNRS, « c'est le numismate anglais Rory Naismith qui identifie une inscription pseudo-coufique ». Ferré raconte : « À la gauche de Marie, les rois mages arrivent (…). Apportent-ils l'or, l'encens et la myrrhe, comme le suggère l'Évangile de Matthieu ? » Non : « Chacun offre au Christ un dinar (…) qui serait celui de Cordoue occupé par les musulmans au XIIe siècle », à l'époque de la dynastie almoravide. Sur chaque pièce de monnaie est gravée la première partie de la profession de foi islamique, « en caractères arabes, écrite à l'envers, comme lue dans un miroir ». La seconde partie de la chahada « Et Mahomet est son prophète » n'y figure pas. L'inscription demeure un anachronisme puisqu'à la naissance du Christ, l'islam n'existe pas. Reste à comprendre ce geste, contemporain de la deuxième croisade. Issue de l'Évangile du Pseudo-Matthieu, cette histoire de pièces offertes au Petit Jésus a le même sens que celle du texte canonique. « Les rois mages représentent toujours l'hommage des nations païennes que symbolise le dinar, oriental et extérieur au monde juif », précise le frère Yves Combeau, dominicain et médiéviste. Après, les autorités de l'Église étaient-elles au courant ? Oui, d'une part l'inscription est d'époque ; d'autre part les experts excluent qu'un artisan musulman l'ait gravée en douce. Pour Ferré, « vu son importance majeure, le chantier était très surveillé, notamment par Mgr Geoffroy de Lèves », évêque de Chartres de 1116 à 1149. L'inscription peut s'interpréter de plusieurs manières : soit on en fait une forme de reconnaissance pacifique du fait islamique, soit on l'assimile à un détournement de la phrase prononcée par les musulmans vers l'autre Dieu unique, Celui qui s'est incarné. Pile ou face, en somme.
Louis Daufresne |
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