*** w81 1/11 p. 12-15 Les Vaudois — des hérétiques ou des hommes épris de vérité? ***
Les Vaudois — des hérétiques ou des hommes épris de vérité?
NOUS sommes au XIIe siècle de notre ère, c’est-à-dire 200 ans avant Wyclif et Huss, et 300 ans avant Luther. Le cadre géographique? C’est le sud de la France et les vallées alpestres de France et du nord de l’Italie. Le commun peuple vit dans la pauvreté, volontairement maintenu dans l’ignorance par un clergé riche et souvent débauché. L’Église catholique règne en maître dans toute l’Europe; elle est puissante, opulente et attachée aux biens de ce monde.
Sur cette toile de fond se détache un groupe de gens. Le contraste est net. Ces hommes-là croient que la Bible est la Parole de Dieu et s’efforcent de vivre en harmonie avec ses justes principes. Deux par deux, ils vont par monts et par vaux prêcher et enseigner toutes les vérités qu’ils ont réussi à découvrir en lisant les parties de l’Écriture qui sont disponibles dans leur langue. On se met alors à les pourchasser pour hérésie, et beaucoup perdent la vie. Mais qui sont-ils donc?
En France, on les connaissait sous le nom de Vaudois. Pour leurs persécuteurs catholiques, qui parlaient le latin, c’étaient les Valdenses.
LES PRÉCURSEURS
Les historiens catholiques et protestants ne sont pas d’accord sur l’origine des Vaudois. Les catholiques veulent faire croire que cette “secte d’hérétiques”, comme ils l’appellent, constituait un phénomène isolé qui apparut de façon soudaine à la fin du XIIe siècle, sous la conduite d’un Lyonnais du nom de Valdès ou Valdo. De nombreux protestants, par contre, soutiennent que les Vaudois n’étaient que l’un des maillons d’une lignée ininterrompue de dissidents qui va des jours de l’empereur Constantin (au IVe siècle de notre ère) aux réformateurs protestants du XVIe siècle. Ces historiens pensent que le nom Vaudois vient du latin vallis (vallée) et se rapporte au fait que les dissidents, pourchassés sans répit comme hérétiques, durent chercher refuge dans les vallées alpestres de France et d’Italie.
Bien sûr, les historiens catholiques rejettent cette explication comme non historique. Mais en prétendant que les Vaudois apparurent sur la scène médiévale de façon subite, l’Église catholique sous-estime le fait patent qu’il y eut beaucoup d’autres dissidents avant que Valdo commence à prêcher vers la fin des années 1170. À la vérité, Valdo et ses compagnons semblent avoir été un point de ralliement pour d’autres groupes dissidents du même genre, dont certains existaient déjà de longue date.
L’Église catholique aimerait nous faire oublier que, bien avant Valdo, il y avait déjà chez elle des graines de mécontentement. Citons le cas de l’évêque Agobard de Lyon (779-840), qui s’insurgea contre le culte des images, contre la dédicace d’églises à des saints et contre la liturgie non conforme aux Saintes Écritures.
De l’autre côté des Alpes, à Turin, en Italie, l’évêque Claudius, un contemporain d’Agobard, adopta une attitude semblable. Il condamna les prières pour les saints, la vénération des reliques et de la croix, et rejeta la tradition ecclésiastique en général, l’accusant d’être contraire aux Écritures. Claudius de Turin fut appelé le “premier réformateur protestant”. Il mourut entre 827 et 839.
Au XIe siècle, l’archidiacre Bérenger, de Tours, qu’on dit avoir été l’un des plus grands théologiens de son époque, s’opposa au dogme de la transsubstantiation, affirmant que le pain et le vin utilisés pour commémorer la mort du Christ restent des emblèmes et ne se transforment pas miraculeusement en chair et en sang du Christ. Il soutint aussi la supériorité de la Bible sur la tradition. Bérenger fut excommunié pour hérésie en 1050.
Tout au début du XIIe siècle, deux grands dissidents apparurent en France. Ils se nommaient Pierre de Bruys et Henri de Lausanne. Le premier débuta comme prêtre dans les Alpes méridionales. Mais il ne tarda pas à quitter la prêtrise à cause de divergences de vues sur des doctrines aussi importantes que le baptême des enfants, la transsubstantiation, les prières pour les morts, l’adoration de la croix et l’utilité des églises. Expulsé des diocèses des Alpes méridionales, il se mit à prêcher directement aux habitants du sud de la France et fit de nombreux disciples. Il périt sur le bûcher à Saint-Gilles, près d’Arles, en 1140.
L’œuvre de Pierre de Bruys fut reprise par Henri de Lausanne, aussi appelé Henri de Cluny. Dès 1101, ce moine avait commencé à critiquer hardiment la liturgie ecclésiastique, la corruption du clergé de son époque et le système hiérarchique. Il soutenait que la Bible était la seule règle en matière de foi et de culte. Henri de Lausanne commença à prêcher au Mans, dans l’ouest de la France. Expulsé, il continua son œuvre missionnaire dans le sud, où il finit par rencontrer Pierre de Bruys. En 1148, il fut arrêté et jeté en prison pour le restant de ses jours. Mais les idées de ces hommes se répandirent comme une traînée de poudre des Alpes méridionales à la Méditerranée et à travers tout le sud jusqu’au golfe de Gascogne.
VALDO ET LES “PAUVRES DE LYON”
C’est dans ce contexte historique qu’un laïque de Lyon entra en scène. On ne sait rien de sa naissance, qui se situerait vers 1140. Même son nom conserve un côté mystérieux, puisqu’on l’orthographie tantôt Valdès, tantôt Valdo. Son prénom, Pierre, n’apparaît dans aucun manuscrit antérieur à 1368. On pense que ce sont ses disciples qui, plus tard, lui donnèrent ce prénom pour montrer qu’il était un plus fidèle imitateur de l’apôtre Pierre que les papes de Rome, qui se disaient ses successeurs.
Valdo était un riche marchand de Lyon. Il était marié et père de deux filles. Étant un homme pieux et un catholique pratiquant, il demanda à un ami théologien ce qu’il devait faire, selon la Bible, pour plaire à Dieu. En réponse, son ami lui cita Matthieu 19:21, où Jésus dit au jeune homme riche: “Si tu veux être parfait, va, vends ton avoir, et donne aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel; puis, viens et suis-moi.”
Valdo prit le conseil au sérieux. Après avoir donné à sa femme de quoi vivre et avoir envoyé ses deux filles au couvent, il chargea deux prêtres, Étienne d’Anse et Bernard Ydros, de traduire les Évangiles et d’autres livres de la Bible dans la langue qui se parlait couramment en Provence et dans le Dauphiné. Puis, après avoir distribué aux pauvres le reste de ses biens matériels, il se mit à étudier la Parole de Dieu et à prêcher dans les rues de Lyon pour inviter les gens à un réveil spirituel et à un retour au christianisme simple des Écritures.
Ayant une réputation d’homme d’affaires prospère, Valdo rencontra beaucoup d’oreilles attentives et s’entoura bientôt d’un groupe de disciples. Ceux-ci se réjouissaient d’entendre le message réconfortant des Écritures dans leur propre langue, car, jusqu’alors, l’Église avait toujours interdit la traduction de la Bible dans une langue autre que le latin. Beaucoup acceptèrent d’abandonner leurs biens et de se consacrer à enseigner la Bible dans la langue du peuple. On les appela les “Pauvres de Lyon”.
Cette prédication effectuée par des laïques déchaîna les foudres du clergé. En 1179, le pape Alexandre III interdit à Valdo et à ses disciples de prêcher sans l’autorisation de leur évêque. Comme on pouvait s’y attendre, l’évêque Bellesmains de Lyon refusa d’accorder une telle autorisation. Les récits historiques rapportent qu’en face de cette interdiction, Valdo répondit aux autorités catholiques par ces mots consignés en Actes 5:29: “On doit obéir à Dieu, comme à un chef, plutôt qu’aux hommes.”
Valdo et ses compagnons continuèrent donc à prêcher. En 1184, le pape Lucius III les excommunia, et l’évêque de Lyon les expulsa de son diocèse. Le résultat fut le même que dans le cas des premiers chrétiens que l’on chassa de Jérusalem. La Bible dit: “Ceux donc qui avaient été dispersés traversaient le pays, annonçant la bonne nouvelle de la parole.” — Actes 8:1-4.
Ces dissidents du XIIe siècle trouvèrent refuge dans les Alpes et dans tout le midi de la France. Ils se déplaçaient sans cesse tout en enseignant la Bible. Sans doute rencontrèrent-ils ainsi d’autres groupes dissidents, tels que les disciples de Pierre de Bruys et d’Henri de Lausanne. De l’autre côté des cols des Alpes qui menaient à l’Italie du Nord, ils rencontrèrent les groupes dissidents des vallées du Piémont et de Lombardie. Ces groupes attachés à la Bible et qui, plus tard, firent parler d’eux dans toute l’Europe sous le nom de Vaudois, ne doivent pas être confondus avec d’autres groupes “hérétiques” de la même époque, tels que les Cathares ou les Albigeois, dont les doctrines tenaient plus de la philosophie perse que de la Bible. Des récits historiques montrent qu’au début du XIIIe siècle, on trouvait des Vaudois, non seulement dans le midi de la France et le nord de l’Italie, mais aussi dans l’est et le nord de la France, dans les Flandres, en Allemagne, en Autriche et même en Bohême, où Valdo serait mort en 1217.
LA RECHERCHE DES VÉRITÉS BIBLIQUES
Que Valdo fût ou non le véritable fondateur du valdéisme, c’est du moins à lui que revient le mérite d’avoir fait traduire la Bible latine dans les langues vernaculaires du commun peuple auquel ses compagnons et lui prêchaient. Et souvenez-vous que cela se passait quelque 200 ans avant que Wyclif traduise la Bible pour les dissidents d’expression anglaise!
La croyance fondamentale des premiers Vaudois était que la Bible constitue l’unique source de vérité dans le domaine religieux. Au milieu d’un monde qui sortait tout juste de ce qu’on a appelé l’“âge des ténèbres”, ces gens cherchèrent la vérité chrétienne à tâtons. Ils firent manifestement de leur mieux avec les quelques livres des Écritures hébraïques et grecques qui avaient été traduits dans une langue qu’ils pouvaient lire et comprendre. Néanmoins, il semblerait, d’après certains récits, que les Vaudois n’aient pas rétabli la vérité sur des doctrines telles que la trinité, l’immortalité de l’âme et l’enfer de feu.
En revanche, les premiers Vaudois comprenaient suffisamment bien la Bible pour rejeter le culte des images, la transsubstantiation, le baptême des nouveau-nés, le purgatoire, le culte de Marie, les prières pour les saints, la vénération de la croix et des reliques, la repentance sur le lit de mort, la confession aux prêtres, les messes pour les morts, les indulgences, le célibat des prêtres et l’usage d’armes charnelles. Ils ne voulaient pas non plus des édifices religieux somptueux et imposants, et ils assimilaient “Babylone la Grande, la mère des prostituées”, à l’Église romaine de laquelle ils invitaient leurs auditeurs à s’enfuir (Rév. 17:5; 18:4). Et dire que tout cela se passait à la fin du XIIe siècle et au début du XIIIe!
Les prédicateurs vaudois enseignaient la Bible et parlaient surtout du Sermon sur la montagne et du Notre Père, textes qui présentent tous deux le Royaume de Dieu comme la chose pour laquelle il faut prier et qu’il faut rechercher en premier lieu (Mat. 6:10, 33). Ils affirmaient que tout chrétien, homme ou femme, qui possédait une connaissance biblique suffisante avait le droit de prêcher la “bonne nouvelle”. Ils considéraient Jésus comme le seul intermédiaire entre Dieu et l’homme. Pour eux, puisque Jésus était mort une fois pour toutes, son sacrifice n’avait pas besoin d’être répété par un prêtre pendant la messe. Les premiers Vaudois célébraient le Mémorial de la mort du Christ une fois par an, en se servant du pain et du vin comme symboles.
LA PRÉDICATION LEUR ATTIRE DES PERSÉCUTIONS
Les premiers Vaudois soutenaient qu’il n’était pas nécessaire d’aller dans une église pour adorer Dieu. Eux tenaient des réunions clandestines là où ils le pouvaient, parfois dans des granges ou dans des maisons particulières. Là, ils étudiaient la Bible et formaient les nouveaux prédicateurs, qu’ils envoyaient toujours avec un compagnon plus expérimenté. Ils allaient deux par deux de ferme en ferme et, dans les villes et les villages, de maison en maison. Un ouvrage autorisé (Dictionnaire de théologie catholique, volume 15, colonne 2 591) dit dans un article qui vise pourtant à dénigrer les Vaudois: “Leurs enfants commençaient dès le plus bas âge à apprendre les évangiles et les épîtres. La prédication des diacres, des prêtres, des évêques, consistait surtout en citations bibliques.”
D’autres ouvrages nous apprennent que les Vaudois avaient une excellente réputation de courage au travail, de haute moralité et d’honnêteté dans le paiement des impôts. Ils excluaient les pécheurs non repentants. On parle d’eux comme de “la plus ancienne et de la plus évangélisatrice des sectes du moyen âge”.
Voilà les personnes pieuses que des persécuteurs religieux ont pourchassées et souvent envoyées au bûcher. Nombre d’entre elles périrent lors de la terrible croisade que le pape Innocent III décréta en 1209 contre les Albigeois du sud de la France. D’autres Vaudois furent torturés et tués par la redoutable Inquisition qui commença dans le midi de la France en 1229. Quelques-uns réussirent à fuir dans d’autres pays, et beaucoup se réfugièrent dans les hautes vallées des Alpes françaises et italiennes qui abritèrent des communautés vaudoises pendant plusieurs centaines d’années.
Malheureusement, avec le temps, nombre des doctrines bibliques que les Vaudois et d’autres avaient découvertes par la lecture de la Bible furent abandonnées. Au début du XVIe siècle, les Vaudois furent absorbés par la Réforme protestante et, vers la fin du XVIIe siècle, ils allèrent jusqu’à prendre les armes.
Mais, bien qu’accusés d’être des “hérétiques”, les premiers Vaudois furent en fait des hommes profondément épris de vérité et des pionniers de la traduction de la Bible, de son enseignement et du mode de vie chrétien dans toute sa simplicité. Certes, ils ne rompirent pas avec toutes les fausses doctrines de la religion babylonienne, mais ils conformèrent manifestement leur vie à ce qu’ils connaissaient de la Parole de Dieu. Beaucoup étaient prêts à mourir plutôt que d’abjurer leur foi. Bien sûr, seul “Jéhovah connaît ceux qui lui appartiennent”, et nous pouvons nous en remettre à lui avec confiance pour ce qui est d’attribuer à ceux qui le méritent la récompense de la vie future. — II Tim. 2:19.