Une nouveauté ?
L’idée d’un code dissimulé dans la Bible n’est pas nouvelle. Elle occupe une place essentielle dans la kabbale, la littérature mystique juive traditionnelle. Pour les kabbalistes, le sens littéral du texte biblique n’est pas son sens véritable : Dieu s’est servi des lettres de la Bible hébraïque comme de symboles qui, bien compris, révèlent une vérité supérieure ; il a placé chaque lettre avec une intention précise.
Jeffrey Satinover, un chercheur qui s’intéresse au code de la Bible, explique que ces mystiques juifs attribuent un immense pouvoir aux lettres constituant le récit de la création. “ Pour résumer, écrit-il, la Genèse n’est pas simplement une description ; c’est l’instrument même de l’acte créateur, un plan sorti de l’esprit de Dieu et manifesté sous une forme physique. ”
Au XIIIe siècle, Bahya ben Asher, un rabbin kabbaliste de Saragosse (Espagne), affirma que des informations cachées lui avaient été révélées lorsqu’il avait parcouru une portion de la Genèse en ne lisant que 1 lettre sur 42. Cette méthode consistant à sauter d’une lettre à l’autre selon un intervalle donné dans le but de découvrir des messages cachés est à l’origine des spéculations modernes sur le code de la Bible.
Le code “ révélé ” par l’ordinateur
Avant l’avènement de l’informatique, on ne disposait que de moyens très limités pour examiner le texte biblique de cette manière. Mais en août 1994 la revue spécialisée Statistical Science a publié un article dans lequel Eliyahu Rips, de l’université hébraïque de Jérusalem, et d’autres chercheurs faisaient état de découvertes troublantes. En supprimant tous les espaces du texte hébreu de la Genèse et en programmant une série de sauts de même longueur à partir d’une lettre, ils avaient découvert, dissimulés dans le texte, les noms de 34 rabbins célèbres et, à proximité, leurs dates de naissance ou de décès. Après plusieurs essais, ils décidèrent de publier leurs conclusions. Selon eux, la présence de ces informations ne peut pas, statistiquement, être le fait du hasard, preuve que des données divinement inspirées ont été délibérément introduites dans la Genèse sous une forme codée il y a des milliers d’années.
S’inspirant de cette méthode, Michael Drosnin s’est livré à ses propres expériences sur les cinq premiers livres de la Bible hébraïque. Il a alors trouvé le nom de Yitzhak Rabin inscrit dans le texte biblique selon un intervalle de 1 lettre toutes les 4 772. Puis, après avoir disposé le texte hébreu en lignes de 4 772 lettres chacune, il s’aperçut que le nom de Rabin, apparaissant à la verticale, était coupé horizontalement par des mots (figurant en Deutéronome 4:42) qu’il traduisit ainsi : “ Assassin assassinera. ”
Toutefois, en Deutéronome 4:42, il est en réalité question d’homicide involontaire. Beaucoup ont qualifié d’arbitraire et de non scientifique la méthode suivie par Drosnin, affirmant qu’elle permettrait de trouver des messages similaires dans n’importe quel autre livre. Le journaliste a cependant maintenu sa position et a lancé ce défi : “ Quand mes détracteurs trouveront un message codé sur l’assassinat d’un premier ministre dans Moby Dick, je les croirai. ”
Une preuve d’inspiration ?
Brendan McKay, professeur d’informatique dans une université australienne, a relevé le défi et s’est mis à étudier sous toutes les coutures le texte anglais de Moby Dick. Il affirme qu’en utilisant la méthode décrite par Drosnin il a trouvé des “ prédictions ” relatives aux assassinats d’Indira Gandhi, de Martin Luther King, de John Kennedy, d’Abraham Lincoln et d’autres personnes encore. Moby Dick aurait même annoncé le meurtre de Yitzhak Rabin !
Puis, revenant au texte hébreu de la Genèse, Brendan McKay et son équipe ont également contesté les résultats obtenus par Eliyahu Rips et ses collègues. Selon eux, ces résultats sont attribuables, non pas à un code secret tissé dans le texte de la Bible, mais à la méthode suivie par les chercheurs, la configuration des données étant laissée dans une large mesure à leur discrétion. Le débat n’est pas clos.
Mais la thèse selon laquelle des messages codés auraient été délibérément dissimulés dans le texte hébreu “ standard ” ou “ original ” de la Bible se heurte à une autre objection. Rips et ses collègues disent qu’ils ont effectué leurs recherches sur “ le texte standard, communément accepté, de la Genèse ”. Drosnin écrit quant à lui : “ Toutes les Bibles en hébreu actuellement existantes sont concordantes lettre pour lettre. ” Est-ce vraiment le cas ? Non. Il n’existe pas de texte “ standard ”, mais plusieurs éditions de la Bible hébraïque établies à partir de différents manuscrits anciens. Le message biblique ne change pas, mais les manuscrits ne sont pas identiques lettre pour lettre.
De nombreuses traductions modernes ont pour base le Codex de St-Pétersbourg, le plus ancien manuscrit massorétique complet qui nous soit parvenu (il date des environs de l’an 1000 de notre ère). Rips et Drosnin ont utilisé un autre texte, celui de l’édition Koren. Or, selon Shlomo Sternberg, rabbin orthodoxe et chercheur en mathématiques à l’université Harvard, le Codex de St-Pétersbourg “ diffère de l’édition Koren utilisée par Drosnin en 41 endroits rien que dans le Deutéronome ”. Parmi les Rouleaux de la mer Morte, on a trouvé des portions du texte biblique recopiées il y a 2 000 ans. L’orthographe de ces manuscrits est souvent très différente de celle des textes massorétiques, plus tardifs. Dans certains rouleaux, le scribe a ajouté des lettres pour noter les voyelles (les points-voyelles n’avaient pas encore été inventés), tandis que dans d’autres les lettres sont moins nombreuses. Une comparaison de tous les manuscrits bibliques actuellement disponibles montre que le sens de la Bible a été préservé, mais que l’orthographe et le nombre de lettres varient.
La notion de code biblique suppose un texte absolument figé. En effet, si une seule lettre du texte était changée, tout le message codé serait déformé. Dieu a préservé le message de la Bible, mais il n’a pas préservé chacune des lettres du texte, comme s’il avait accordé une importance particulière à l’orthographe. Cela n’indique-t-il pas qu’il n’a dissimulé aucun message codé dans la Bible ? — Isaïe 40:8 ; 1 Pierre 1:24, 25.