[size=38]L’étrange suite de L’étrange suite de violences antireligieuses au Pays basque[/size]
Reportage
Le cimetière israélite de Bayonne a été frappé par des actes de vandalisme au début du mois.[size=12]GAIZKA IROZ/AFP[/size]
« Suite à incendie, église fermée (jusqu’à nouvel ordre.) » Laconique, le message est placardé sur la porte de l’église Saint-Esprit de Bayonne, juste en face de la gare. L’église classée aux Monuments historiques est la dernière cible d’une vague d’actes antireligieux touchant la cité basque et ses environs. À Bayonne même, musulmans, juifs et chrétiens ont tous été visés, depuis octobre 2019 et encore tout récemment (lire les repères ci-dessous). Les événements sont de nature et de gravité différentes, mais finissent par former une chaîne de violences.
« Il y a une succession d’événements touchant des lieux saints qui interroge », confirme Jean-René Etchegaray, maire de Bayonne, depuis son bureau de président de la communauté d’agglomération du Pays basque. « Ce n’est pas une guerre de religions, mais une guerre contre les religions », formule avec gravité celui pour qui les religions « sont des éléments de concorde » au sein de la société. « Cela m’inquiète car Bayonne est une ville de tolérance religieuse, où historiquement les israélites ont toujours eu leur place, » poursuit le maire, qui est un lointain cousin du défunt cardinal Etchegaray.
→ RÉACTIONS. « Effroi et émotion », la solidarité des responsables religieux après l’attaque de la mosquée de Bayonne
Cette place, si elle est bien réelle, a toutefois longtemps été discrète, comme en témoigne l’emplacement du cimetière juif de la ville. Coincé entre une station-service et un château d’eau, il est ceint d’un haut mur dont la seule entrée est verrouillée. De l’autre côté de la route, une église catholique est entourée de son cimetière dont les accès sont grands ouverts. Les croix des tombes dépassent fièrement le muret qui semble plus décoratif que protecteur. Pourtant, c’est bien le cimetière israélite qui a été frappé par des actes de vandalisme au début du mois.
En centre-ville, à quelques encablures du bureau de Jean-René Etchegaray, le groupe œcuménique de Bayonne s’apprête à se rassembler dans le temple protestant de la ville. « À Bayonne, la situation était plutôt calme, mais maintenant ça s’agite », commente avec une certaine résignation une protestante. « Je suis révolté, plein de tristesse et de colère », renchérit un catholique, béret basque vissé sur la tête. « Moins les gens croient en Dieu, plus ils s’acharnent contre lui », assène-t-il. Également membres d’un groupe interreligieux, qui organise chaque année une « veillée de la paix » (1) tous deux semblent désemparés quant à l’attitude à adopter. « Que faire à part indiquer à chaque fois notre désolation et notre désapprobation ? »
→ À LIRE. Violences, dégradations : deux diocèses pris pour cibles
Les réponses à ces actes antireligieux semblent d’autant plus difficiles à trouver que les explications manquent. « Bayonne n’est pas une ville explosive », assure le père Michel Garat, curé de la paroisse Saint-Vincent-de-Paul et président du groupe interreligieux. Son presbytère est installé dans les nouveaux quartiers, entre des barres HLM, où le trafic de drogue se déroule à ciel ouvert. En face du presbytère, comme un symbole de bonne coexistence entre religions, le café « Le Saint-Pierre » est tenu par un musulman.
S’il a lui aussi constaté la multiplication d’actes antireligieux dans sa ville, le père Garat préfère mettre en avant un « climat social inquiétant » dans tout le pays, lié à un « recul de l’esprit critique ». « Depuis quelques années, certains ont tendance à penser que toutes les religions sont violentes », estime-t-il. « Et si ceux qui sont sains d’esprit s’en tiennent aux paroles, d’autres passent à l’acte. » De fait, la plupart des auteurs présumés d’actes antireligieux dans le Pays basque présentent des fragilités psychologiques. Le prêtre redoute aussi une « loi des séries » avec une « contagion » des violences antireligieuses.
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Cette « épidémie » ne semble pas s’être limitée à Bayonne. Distante d’une petite centaine de kilomètres, la ville de Pau – « qui est dans le Béarn, et non au Pays basque », rappelle solennellement Jean-René Etchegaray – a aussi été touchée avec neuf statues de la Vierge brisées dans des églises. « Est-ce une façon d’agir de l’esprit du mal ? », se questionne le père Jean-Jacques Dufau, curé de la paroisse de centre-ville. Avant de poursuivre : « Est-ce que ce sont les valeurs incarnées par Marie – la pureté, la tendresse, la maternité – qui sont visées ? » S’il regrette bien sûr la destruction des statues, le père Dufau s’inquiète surtout des blessures dans « l’intimité de la foi » des personnes. « On ne saura jamais combien de prières ont été adressées à Marie devant ces statues », confie-t-il.
À une trentaine de kilomètres, à Oloron-Sainte-Marie, le père Jean-Marie Barennes a les mêmes préoccupations. En novembre, la cathédrale de la ville a été pillée après que la porte en a été forcée à la voiture-bélier, une première semble-t-il pour une église. « Des ornements avaient été sauvés lors de la Révolution pour disparaître dans un cambriolage », s’attriste le père Barennes. Plus que la perte d’objets liturgiques anciens, le prêtre relève surtout l’émotion des habitants pour qui la cathédrale « est liée aux grands moments de la vie ». Le lendemain du vol, raconte-t-il, des habitants se sont organisés sur les réseaux sociaux pour venir déposer des veilleuses devant l’édifice du XIVe siècle. « La cathédrale Sainte-Marie, lui ont confié certains, c’est notre Tour Eiffel. »
Les prêtres veulent ainsi accompagner ces moments d’émotion collective. À Bayonne, le père Garat prévoit une messe « un peu exceptionnelle, de réparation mais surtout d’action de grâces » lorsque l’église Saint-Esprit pourra rouvrir, sans doute dans quelques semaines. À Pau, le père Dufau veut à la fois « honorer » la souffrance des fidèles, mais aussi profiter de l’occasion pour rappeler que « le mal est déjà vaincu par le Christ ». « Ces événements, assure-t-il, permettent de rappeler la foi des chrétiens. » D’autres semblent choisir la voie de la discrétion. Ou le silence. Malgré de nombreuses tentatives, les représentants des communautés israélites et musulmanes de Bayonne n’ont pas donné suite aux sollicitations de La Croix.
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28 octobre. Un homme tente d’incendier la mosquée de Bayonne et blesse deux fidèles par balles. Ancien candidat d’extrême droite aux élections départementales, il déclare avoir voulu « venger la destruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris ».
4 novembre. Le trésor de la cathédrale d’Oloron-Sainte-Marie est volé pendant la nuit, à la suite d’une attaque à la voiture-bélier. Il n’a pas été retrouvé depuis.
7 janvier. Une dizaine de tombes du cimetière israélite de Bayonne sont retrouvées dégradées. Des pierres ont été brisées et des caveaux éventrés.
9 janvier. Neuf statues de la Vierge sont cassées dans des églises de Pau et de ses environs. Un homme a été interpellé et interné en psychiatrie.
12 janvier. L’église Saint-Esprit de Bayonne est incendiée volontairement en plein jour. Un homme a été arrêté.
Reportage
Reportage
Le département des Pyrénées-Atlantiques semble depuis quelques mois être touché par un enchaînement d’actes antireligieux frappant toutes les confessions. Sur place, autorités et habitants s’inquiètent de cette succession et semblent encore chercher les réponses à apporter.
- Xavier Le Normand (envoyé spécial à Bayonne, Pau et Oloron Sainte-Marie),
- le 22/01/2020 à 16:40
- Modifié le 22/01/2020 à 17:23
Le cimetière israélite de Bayonne a été frappé par des actes de vandalisme au début du mois.[size=12]GAIZKA IROZ/AFP[/size]
« Suite à incendie, église fermée (jusqu’à nouvel ordre.) » Laconique, le message est placardé sur la porte de l’église Saint-Esprit de Bayonne, juste en face de la gare. L’église classée aux Monuments historiques est la dernière cible d’une vague d’actes antireligieux touchant la cité basque et ses environs. À Bayonne même, musulmans, juifs et chrétiens ont tous été visés, depuis octobre 2019 et encore tout récemment (lire les repères ci-dessous). Les événements sont de nature et de gravité différentes, mais finissent par former une chaîne de violences.
« Il y a une succession d’événements touchant des lieux saints qui interroge », confirme Jean-René Etchegaray, maire de Bayonne, depuis son bureau de président de la communauté d’agglomération du Pays basque. « Ce n’est pas une guerre de religions, mais une guerre contre les religions », formule avec gravité celui pour qui les religions « sont des éléments de concorde » au sein de la société. « Cela m’inquiète car Bayonne est une ville de tolérance religieuse, où historiquement les israélites ont toujours eu leur place, » poursuit le maire, qui est un lointain cousin du défunt cardinal Etchegaray.
→ RÉACTIONS. « Effroi et émotion », la solidarité des responsables religieux après l’attaque de la mosquée de Bayonne
Cette place, si elle est bien réelle, a toutefois longtemps été discrète, comme en témoigne l’emplacement du cimetière juif de la ville. Coincé entre une station-service et un château d’eau, il est ceint d’un haut mur dont la seule entrée est verrouillée. De l’autre côté de la route, une église catholique est entourée de son cimetière dont les accès sont grands ouverts. Les croix des tombes dépassent fièrement le muret qui semble plus décoratif que protecteur. Pourtant, c’est bien le cimetière israélite qui a été frappé par des actes de vandalisme au début du mois.
Un presbytère au milieu des HLM
En centre-ville, à quelques encablures du bureau de Jean-René Etchegaray, le groupe œcuménique de Bayonne s’apprête à se rassembler dans le temple protestant de la ville. « À Bayonne, la situation était plutôt calme, mais maintenant ça s’agite », commente avec une certaine résignation une protestante. « Je suis révolté, plein de tristesse et de colère », renchérit un catholique, béret basque vissé sur la tête. « Moins les gens croient en Dieu, plus ils s’acharnent contre lui », assène-t-il. Également membres d’un groupe interreligieux, qui organise chaque année une « veillée de la paix » (1) tous deux semblent désemparés quant à l’attitude à adopter. « Que faire à part indiquer à chaque fois notre désolation et notre désapprobation ? »
→ À LIRE. Violences, dégradations : deux diocèses pris pour cibles
Les réponses à ces actes antireligieux semblent d’autant plus difficiles à trouver que les explications manquent. « Bayonne n’est pas une ville explosive », assure le père Michel Garat, curé de la paroisse Saint-Vincent-de-Paul et président du groupe interreligieux. Son presbytère est installé dans les nouveaux quartiers, entre des barres HLM, où le trafic de drogue se déroule à ciel ouvert. En face du presbytère, comme un symbole de bonne coexistence entre religions, le café « Le Saint-Pierre » est tenu par un musulman.
Une « contagion » des violences antireligieuses
S’il a lui aussi constaté la multiplication d’actes antireligieux dans sa ville, le père Garat préfère mettre en avant un « climat social inquiétant » dans tout le pays, lié à un « recul de l’esprit critique ». « Depuis quelques années, certains ont tendance à penser que toutes les religions sont violentes », estime-t-il. « Et si ceux qui sont sains d’esprit s’en tiennent aux paroles, d’autres passent à l’acte. » De fait, la plupart des auteurs présumés d’actes antireligieux dans le Pays basque présentent des fragilités psychologiques. Le prêtre redoute aussi une « loi des séries » avec une « contagion » des violences antireligieuses.
À lire aussi
Noël 2019, huit paroles pour apaiser la France
Cette « épidémie » ne semble pas s’être limitée à Bayonne. Distante d’une petite centaine de kilomètres, la ville de Pau – « qui est dans le Béarn, et non au Pays basque », rappelle solennellement Jean-René Etchegaray – a aussi été touchée avec neuf statues de la Vierge brisées dans des églises. « Est-ce une façon d’agir de l’esprit du mal ? », se questionne le père Jean-Jacques Dufau, curé de la paroisse de centre-ville. Avant de poursuivre : « Est-ce que ce sont les valeurs incarnées par Marie – la pureté, la tendresse, la maternité – qui sont visées ? » S’il regrette bien sûr la destruction des statues, le père Dufau s’inquiète surtout des blessures dans « l’intimité de la foi » des personnes. « On ne saura jamais combien de prières ont été adressées à Marie devant ces statues », confie-t-il.
Une occasion de rappeler sa foi
À une trentaine de kilomètres, à Oloron-Sainte-Marie, le père Jean-Marie Barennes a les mêmes préoccupations. En novembre, la cathédrale de la ville a été pillée après que la porte en a été forcée à la voiture-bélier, une première semble-t-il pour une église. « Des ornements avaient été sauvés lors de la Révolution pour disparaître dans un cambriolage », s’attriste le père Barennes. Plus que la perte d’objets liturgiques anciens, le prêtre relève surtout l’émotion des habitants pour qui la cathédrale « est liée aux grands moments de la vie ». Le lendemain du vol, raconte-t-il, des habitants se sont organisés sur les réseaux sociaux pour venir déposer des veilleuses devant l’édifice du XIVe siècle. « La cathédrale Sainte-Marie, lui ont confié certains, c’est notre Tour Eiffel. »
Les prêtres veulent ainsi accompagner ces moments d’émotion collective. À Bayonne, le père Garat prévoit une messe « un peu exceptionnelle, de réparation mais surtout d’action de grâces » lorsque l’église Saint-Esprit pourra rouvrir, sans doute dans quelques semaines. À Pau, le père Dufau veut à la fois « honorer » la souffrance des fidèles, mais aussi profiter de l’occasion pour rappeler que « le mal est déjà vaincu par le Christ ». « Ces événements, assure-t-il, permettent de rappeler la foi des chrétiens. » D’autres semblent choisir la voie de la discrétion. Ou le silence. Malgré de nombreuses tentatives, les représentants des communautés israélites et musulmanes de Bayonne n’ont pas donné suite aux sollicitations de La Croix.
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Une vague de violences
28 octobre. Un homme tente d’incendier la mosquée de Bayonne et blesse deux fidèles par balles. Ancien candidat d’extrême droite aux élections départementales, il déclare avoir voulu « venger la destruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris ».
4 novembre. Le trésor de la cathédrale d’Oloron-Sainte-Marie est volé pendant la nuit, à la suite d’une attaque à la voiture-bélier. Il n’a pas été retrouvé depuis.
7 janvier. Une dizaine de tombes du cimetière israélite de Bayonne sont retrouvées dégradées. Des pierres ont été brisées et des caveaux éventrés.
9 janvier. Neuf statues de la Vierge sont cassées dans des églises de Pau et de ses environs. Un homme a été interpellé et interné en psychiatrie.
12 janvier. L’église Saint-Esprit de Bayonne est incendiée volontairement en plein jour. Un homme a été arrêté.
Reportage