[size=48]En 1983, les sectes à l'index
Par Sylviane Stein (en 1983),publié le 10/01/2019 à 06:00 , mis à jour à 10:16
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Alain Vivien, député socialiste, dans L'Express n°1651 du 25 février 1983.
L'Express
Dans L'Express du 25 février 1983
Le rapport Vivien embarrasse le gouvernement : comment légiférer sur le libre arbitre ?
Tout le monde s'y est mis : une soixantaine d'ambassades de France, les Renseignements généraux, département par département, le fisc, les douanes, les incroyants, les croyants, tous ont travaillé six mois durant pour le député socialiste Alain Vivien, chargé par le Premier ministre, au début de l'été 1982, d'une mission d'enquête parlementaire sur les sectes.
Résultat : 3 000 pages de documentation au fond des tiroirs du député et un rapport de 200 pages remis, lundi 21 février, à Pierre Mauroy. Un travail inhabituel dans le cadre parlementaire, où l'on traite plus volontiers de l'avenir de la forêt française ou des relations franco-soviétiques que du symptôme d'une maladie de société qu'on évalue mal, mais qui tourne parfois au drame.
Comme en mars 1982 : à Besançon, un couple d'enseignants, désespérés de savoir leur fille de 20 ans aux mains de l'Association pour l'unification du christianisme mondial - la secte du "révérend" Moon - l'enlève et la confie à deux ex-adeptes reconvertis dans la "déprogrammation". Un remède de cheval expérimenté aux Etats-Unis pour déconditionner les membres des sectes, bercés de rites et de doctrine, dépossédés de toute lucidité à l'égard de leurs maîtres à penser. Qui les utilisent, le plus souvent, comme une main-d'oeuvre gratuite.
Le phénomène, en France, n'a pas la dimension américaine. Il y a, par exemple, 30 000 adeptes moonistes aux Etats-Unis, dont 7 000 vivent en communauté, pour de 400 à 1 000 dans notre pays.
Le rapport Vivien, pourtant, donne des chiffres étonnants : de 130 à 800 sectes plus ou moins actives fleuriraient en France, surtout à Paris et à Lyon, mais aussi dans l'Est, rassemblant de 400 000 à 500 000 sympathisants et quelques dizaines de milliers d'adeptes. On y trouve, pêle-mêle, les témoins de Jéhovah, les mormons, les rose-croix et ces mouvements exportés des Etats-Unis au début des années 70 : Enfants de Dieu, Conscience de Krishna, Scientologie, Méditation transcendantale, moonisme.
Ce sont ces derniers groupes qui, en Allemagne fédérale, en France et aux Etats-Unis, ont attiré l'attention des pouvoirs publics, à cause de leurs pratiques singulières. Les Enfants de Dieu, dont le prosélytisme passe par la prostitution de leurs membres, ont dissous leur association en France en 1978. Les moonistes - Moon lui-même - ont été condamnés pour fraude fiscale aux Etats-Unis. Les scientologues, pour escroquerie en France. Les krishna, pour détention d'armes, aux Etats-Unis et en Allemagne fédérale.
Inquiets de la prolifération des sectes dans leur pays, les Allemands ont lancé, en 1982, une campagne d'information sur le sujet. Aux Etats-Unis, treize Etats sont en train d'essayer de canaliser la vie des sectes sur leur territoire. Par deux fois, la Chambre des représentants de l'Etat de New York a voté un texte réglementant la protection de l'individu majeur entré dans une secte. Par deux fois, le gouverneur de l'Etat a opposé à ce vote le sacro-saint "premier amendement" de la Constitution, qui garantit la liberté religieuse totale des citoyens américains. Mais une négociation est en cours.
C'est à partir de ces exemples qu'Alain Vivien propose au gouvernement un plan "propre à garantir la liberté d'association au sein des sectes, tout en préservant les libertés fondamentales de l'individu". Un plan qui souhaite qu'on aide à faire circuler une information précise sur les sectes dans les écoles, les médias et auprès des éducateurs. Mais aussi qu'on prévienne une évolution à l'américaine, où les enlèvements d'adeptes par leurs parents ont donné naissance aux nouveaux exorcistes : ces "déprogrammeurs" qui font payer cher leurs services tout en mettant en péril - autant que les sectes - la liberté individuelle.
Solution:
- interposer un groupe médiateur entre l'adepte, ses parents et les pouvoirs publics ;
- donner aux juges des tutelles la possibilité de se saisir des cas litigieux et de mener une enquête au sein même des sectes, s'il existe une suspicion de manipulation à l'encontre de 'adepte.
Le plan Vivien aborde, aussi, le sort fait aux enfants nés dans ces sectes, enfermés, dès leur naissance, sans liberté de choix, dans un milieu univoque où, selon Alain Vivien, "on rejette tout pluralisme".
"Mais seule l'adoption d'un statut de l'enfant permettrait d'affirmer ses droits en tant que personne", explique Vivien, qui a inclus ce projet délicat à la liste de ses propositions.
Georgina Dufoix, secrétaire d'Etat chargé de la Famille, à qui Vivien a aussi transmis son rapport, devra se pencher avec précaution sur ce projet. Tout comme Alain Savary, ministre de l'Education nationale, à qui le député de Seine-et-Marne propose de tenir compte, dans son projet de réforme de l'enseignement, des "écoles" mises en place par les sectes pour leurs enfants.
La famille, l'école, la liberté religieuse : trois domaines sensibles où l'intervention de l'Etat est toujours perçue comme une atteinte au choix individuel.
Par Sylviane Stein (en 1983),publié le 10/01/2019 à 06:00 , mis à jour à 10:16
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Alain Vivien, député socialiste, dans L'Express n°1651 du 25 février 1983.
L'Express
[ARCHIVE] Le député Alain Vivien remet à Pierre Mauroy, Premier ministre, son rapport pour lutter contre les sectes.
Dans L'Express du 25 février 1983
Le rapport Vivien embarrasse le gouvernement : comment légiférer sur le libre arbitre ?
Tout le monde s'y est mis : une soixantaine d'ambassades de France, les Renseignements généraux, département par département, le fisc, les douanes, les incroyants, les croyants, tous ont travaillé six mois durant pour le député socialiste Alain Vivien, chargé par le Premier ministre, au début de l'été 1982, d'une mission d'enquête parlementaire sur les sectes.
Résultat : 3 000 pages de documentation au fond des tiroirs du député et un rapport de 200 pages remis, lundi 21 février, à Pierre Mauroy. Un travail inhabituel dans le cadre parlementaire, où l'on traite plus volontiers de l'avenir de la forêt française ou des relations franco-soviétiques que du symptôme d'une maladie de société qu'on évalue mal, mais qui tourne parfois au drame.
Comme en mars 1982 : à Besançon, un couple d'enseignants, désespérés de savoir leur fille de 20 ans aux mains de l'Association pour l'unification du christianisme mondial - la secte du "révérend" Moon - l'enlève et la confie à deux ex-adeptes reconvertis dans la "déprogrammation". Un remède de cheval expérimenté aux Etats-Unis pour déconditionner les membres des sectes, bercés de rites et de doctrine, dépossédés de toute lucidité à l'égard de leurs maîtres à penser. Qui les utilisent, le plus souvent, comme une main-d'oeuvre gratuite.
Le phénomène, en France, n'a pas la dimension américaine. Il y a, par exemple, 30 000 adeptes moonistes aux Etats-Unis, dont 7 000 vivent en communauté, pour de 400 à 1 000 dans notre pays.
Le rapport Vivien, pourtant, donne des chiffres étonnants : de 130 à 800 sectes plus ou moins actives fleuriraient en France, surtout à Paris et à Lyon, mais aussi dans l'Est, rassemblant de 400 000 à 500 000 sympathisants et quelques dizaines de milliers d'adeptes. On y trouve, pêle-mêle, les témoins de Jéhovah, les mormons, les rose-croix et ces mouvements exportés des Etats-Unis au début des années 70 : Enfants de Dieu, Conscience de Krishna, Scientologie, Méditation transcendantale, moonisme.
Ce sont ces derniers groupes qui, en Allemagne fédérale, en France et aux Etats-Unis, ont attiré l'attention des pouvoirs publics, à cause de leurs pratiques singulières. Les Enfants de Dieu, dont le prosélytisme passe par la prostitution de leurs membres, ont dissous leur association en France en 1978. Les moonistes - Moon lui-même - ont été condamnés pour fraude fiscale aux Etats-Unis. Les scientologues, pour escroquerie en France. Les krishna, pour détention d'armes, aux Etats-Unis et en Allemagne fédérale.
Inquiets de la prolifération des sectes dans leur pays, les Allemands ont lancé, en 1982, une campagne d'information sur le sujet. Aux Etats-Unis, treize Etats sont en train d'essayer de canaliser la vie des sectes sur leur territoire. Par deux fois, la Chambre des représentants de l'Etat de New York a voté un texte réglementant la protection de l'individu majeur entré dans une secte. Par deux fois, le gouverneur de l'Etat a opposé à ce vote le sacro-saint "premier amendement" de la Constitution, qui garantit la liberté religieuse totale des citoyens américains. Mais une négociation est en cours.
C'est à partir de ces exemples qu'Alain Vivien propose au gouvernement un plan "propre à garantir la liberté d'association au sein des sectes, tout en préservant les libertés fondamentales de l'individu". Un plan qui souhaite qu'on aide à faire circuler une information précise sur les sectes dans les écoles, les médias et auprès des éducateurs. Mais aussi qu'on prévienne une évolution à l'américaine, où les enlèvements d'adeptes par leurs parents ont donné naissance aux nouveaux exorcistes : ces "déprogrammeurs" qui font payer cher leurs services tout en mettant en péril - autant que les sectes - la liberté individuelle.
Solution:
- interposer un groupe médiateur entre l'adepte, ses parents et les pouvoirs publics ;
- donner aux juges des tutelles la possibilité de se saisir des cas litigieux et de mener une enquête au sein même des sectes, s'il existe une suspicion de manipulation à l'encontre de 'adepte.
Statut de l'enfant
Le plan Vivien aborde, aussi, le sort fait aux enfants nés dans ces sectes, enfermés, dès leur naissance, sans liberté de choix, dans un milieu univoque où, selon Alain Vivien, "on rejette tout pluralisme".
"Mais seule l'adoption d'un statut de l'enfant permettrait d'affirmer ses droits en tant que personne", explique Vivien, qui a inclus ce projet délicat à la liste de ses propositions.
Georgina Dufoix, secrétaire d'Etat chargé de la Famille, à qui Vivien a aussi transmis son rapport, devra se pencher avec précaution sur ce projet. Tout comme Alain Savary, ministre de l'Education nationale, à qui le député de Seine-et-Marne propose de tenir compte, dans son projet de réforme de l'enseignement, des "écoles" mises en place par les sectes pour leurs enfants.
La famille, l'école, la liberté religieuse : trois domaines sensibles où l'intervention de l'Etat est toujours perçue comme une atteinte au choix individuel.