[size=33]Rufo : « Quand l'enfant devient un tyran, je prescris des grands-parents ! »[/size]
Par Émilie Trevert
Publié le 30/11/2018 à 13:57 | Le Point.fr
Face aux crises des enfants, Marcel Rufo recommande la fermeté et l'indifférence.
© GARO/Phanie
Quand le caprice devient colère, quand le refus d'obéir tourne à la violence physique... Parfois, le quotidien des parents devient un enfer. Le célèbre pédopsychiatre Marcel Rufo et son confrère Philippe Duverger (pédopsychiatre, chef du service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent au CHU d'Angers) osent poser un nom sur ces enfants que l'on appelait autrefois « caractériels » : ce sont ni plus ni moins des tyrans.
Ces bambins ou ces adolescents, en voulant régenter leur monde, peuvent causer de gros dégâts autour d'eux et sur eux-mêmes. Car,souvent, ils sont en souffrance. Les deux spécialistes en reçoivent de plus en plus dans leurs cabinets respectifs, accompagnés de leurs parents démunis ou au bord de la crise de nerfs. Pour éviter que la situation s'installe ou dérape, ils conseillent aux parents de réaffirmer leur autorité et prescrivent des visites régulières chez... les grands-parents !
Le Point.fr : Y a-t-il plus d'enfants tyrans aujourd'hui ?
Marcel Rufo : C'est de ce constat que le livre* est né. Avec mon confrère Philippe Duverger, nous recevons de plus en plus d'enfants tyrans et de parents désemparés. Il y a de multiples expressions à la prise de pouvoir dans la famille ; cela peut se traduire par de petites choses du quotidien. Une étude statistique montrerait que, dans les consultations de pédopsychiatrie, il y a beaucoup plus d'enfants qui ne veulent pas obéir, qui opposent un refus systématique à leurs parents, comme refuser de se laver les dents… C'est paradoxal, car il y a eu énormément de progrès utiles au développement de l'enfant ces derniers temps, notamment grâce à la présence des pères, et en même temps le nombre d'enfants tyrans a augmenté.
Comment expliquer ce phénomène ? Est-ce la faute des parents qui, répondant aux exigences de bienveillance, ont fini par engendrer des enfants-rois ?
Pour être tyran, il faut être roi : il n'y a pas de tyran au chômage ! Le tyran, c'est d'abord un dictateur qui veut prendre le pouvoir sur son entourage. L'enfant, naturellement, veut commander, et c'est normal. Mais il y a des frustrations nécessaires. Les parents sont aujourd'hui davantage dans une position de séduction, et moins d'autorité, par rapport à leurs enfants. Après, est-ce que ce n'est pas un peu la faute des psys qui ont longtemps eu le discours de prendre le temps d'être à l'écoute des enfants ?
Que conseillez-vous aux parents qui sont désemparés ou à bout ?
Il faut être indifférent aux crises ! C'est ce qui marche. Bien sûr, c'est très dur, d'autant qu'on projette notre enfance sur notre progéniture. Les parents sont soit dans la séduction, soit dans l'emportement, et, dans les deux cas, ils perdent ! C'est un travail de self-control : de la distance et de l'indifférence. C'est aussi ça, devenir adulte. Il faut apprendre à dire « c'est comme ça » et non pas « fais ce que tu veux, mon petit chéri, on t'écoute ».
Cependant, il faut se méfier : derrière l'enfant tyran, il peut y avoir une souffrance. Par exemple, la naissance d'un petit frère peut faire de l'aîné un tyran. Ce dernier va chercher tous les moyens d'attirer l'attention pour être plus en relation avec ses parents, même si c'est de manière négative. Autre exemple : un petit qui réclame toujours plus de câlins avant d'entrer en classe. Il y a une sorte d'angoisse de séparation, il ne veut pas quitter le nirvana affectif dans lequel il baigne avec ses parents.
Quand l'enfant devient un tyran pour sa famille, je prescris des grands-parents ! Pour casser ce cercle infernal de confrontation avec les parents et que la famille respire un peu, l'enfant peut aller dormir chez ses grands-parents de manière régulière. Le temps des grands-parents est compté, à la différence des parents qui sont dans une projection anxieuse de l'avenir de leurs enfants.
L'école a-t-elle également un rôle à jouer ?
Parfois, il y a une grande différence de comportement entre l'école et la famille : un enfant tyran peut être un gosse « adorable », selon la maîtresse. L'école joue un rôle important, surtout chez les petits, et les aide à ne pas rester figés à un stade régressif. La neutralité affective qui y règne les aide à grandir, d'où l'importance de la mesure de Jean-Michel Blanquer de rendre l'école obligatoire dès 3 ans. Les enseignants sont autoritaires, car ils ne sont pas là pour les aimer.
À l'heure de l'éducation positive, on a l'impression que l'obéissance est devenue un gros mot.
C'est sûr… Cette histoire de psychologie positive, ça marche plus souvent sur les parents que sur les enfants. On a envie d'y adhérer, mais il y a des frustrations nécessaires. L'autorité bienveillante aide davantage que l'amour envahissant.
L'enfant tyran peut-il causer des dommages collatéraux sur ses parents ?
Oui, la tyrannie met à l'épreuve la parentalité et le couple. D'un côté, le père peut reprocher à sa femme d'être trop souple, la mère à son mari d'être trop autoritaire… Et après, ça éclate en vol !
Peut-il y avoir des causes à la tyrannie indépendantes de l'éducation des parents ? Vous parlez dans votre livre d'un « souvenir oublié » qui pourrait être à l'origine de la tyrannie exercée par une petite fille sur sa mère.
Oui, et parfois il est très difficile de remonter le fil. Mais on peut y arriver avec l'aide des parents. Il peut y avoir quelque chose d'enfoui dans l'intergénérationnel. C'est intéressant de le comprendre.
Faut-il forcément consulter ?
Oui, quand on sent qu'on n'a plus de possibilité d'avancer, il faut consulter. Il ne faut pas trop traîner quand on perd pied, il faut vite appeler ! Cela, les parents l'ont compris, il y a un taux de consultations spontanées en hausse. Si on attend trop, la situation se pourrit. Mieux vaut consulter en préventif, ça ne fait pas de mal. On peut même être soulagé.
Certains disent qu'il y a une tendance à tout pathologiser en allant voir le pédopsychiatre au moindre bobo…
Pardonnez-moi l'expression, mais ce sont des couillons ! Ils n'ont rien compris à l'aspect préventif de la rencontre du tiers. Dans notre discipline, il y a encore le côté « psychiatrie » qui peut faire peur, mais, la plupart du temps, on ne prescrit pas de traitement. On s'appellerait « docteur des soucis », ce serait peut-être différent… Mieux vaut une consultation préventive, un rendez-vous mensuel, par exemple, ou un groupe de parole pour ados, que de laisser s'installer des comportements tyranniques qui peuvent chez certains devenir ravageurs. Il y a des parents insultés et maltraités par leurs ados, il y a des mères seules qui sont battues !
"Qui commande ici ? Conseils aux parents d'enfants tyrans », de Marcel Rufo et Philippe Duverger, éditions Anne Carrière, 280 pages, 19 euros
[size=33]Dans son livre « Qui commande ici ? Conseils aux parents d'enfants tyrans », le célèbre pédopsychiatre plaide pour un retour à l'autorité. Interview.[/size]
Par Émilie Trevert
Publié le 30/11/2018 à 13:57 | Le Point.fr
Face aux crises des enfants, Marcel Rufo recommande la fermeté et l'indifférence.
© GARO/Phanie
Quand le caprice devient colère, quand le refus d'obéir tourne à la violence physique... Parfois, le quotidien des parents devient un enfer. Le célèbre pédopsychiatre Marcel Rufo et son confrère Philippe Duverger (pédopsychiatre, chef du service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent au CHU d'Angers) osent poser un nom sur ces enfants que l'on appelait autrefois « caractériels » : ce sont ni plus ni moins des tyrans.
Ces bambins ou ces adolescents, en voulant régenter leur monde, peuvent causer de gros dégâts autour d'eux et sur eux-mêmes. Car,souvent, ils sont en souffrance. Les deux spécialistes en reçoivent de plus en plus dans leurs cabinets respectifs, accompagnés de leurs parents démunis ou au bord de la crise de nerfs. Pour éviter que la situation s'installe ou dérape, ils conseillent aux parents de réaffirmer leur autorité et prescrivent des visites régulières chez... les grands-parents !
Le Point.fr : Y a-t-il plus d'enfants tyrans aujourd'hui ?
Marcel Rufo : C'est de ce constat que le livre* est né. Avec mon confrère Philippe Duverger, nous recevons de plus en plus d'enfants tyrans et de parents désemparés. Il y a de multiples expressions à la prise de pouvoir dans la famille ; cela peut se traduire par de petites choses du quotidien. Une étude statistique montrerait que, dans les consultations de pédopsychiatrie, il y a beaucoup plus d'enfants qui ne veulent pas obéir, qui opposent un refus systématique à leurs parents, comme refuser de se laver les dents… C'est paradoxal, car il y a eu énormément de progrès utiles au développement de l'enfant ces derniers temps, notamment grâce à la présence des pères, et en même temps le nombre d'enfants tyrans a augmenté.
Comment expliquer ce phénomène ? Est-ce la faute des parents qui, répondant aux exigences de bienveillance, ont fini par engendrer des enfants-rois ?
Pour être tyran, il faut être roi : il n'y a pas de tyran au chômage ! Le tyran, c'est d'abord un dictateur qui veut prendre le pouvoir sur son entourage. L'enfant, naturellement, veut commander, et c'est normal. Mais il y a des frustrations nécessaires. Les parents sont aujourd'hui davantage dans une position de séduction, et moins d'autorité, par rapport à leurs enfants. Après, est-ce que ce n'est pas un peu la faute des psys qui ont longtemps eu le discours de prendre le temps d'être à l'écoute des enfants ?
Que conseillez-vous aux parents qui sont désemparés ou à bout ?
Il faut être indifférent aux crises ! C'est ce qui marche. Bien sûr, c'est très dur, d'autant qu'on projette notre enfance sur notre progéniture. Les parents sont soit dans la séduction, soit dans l'emportement, et, dans les deux cas, ils perdent ! C'est un travail de self-control : de la distance et de l'indifférence. C'est aussi ça, devenir adulte. Il faut apprendre à dire « c'est comme ça » et non pas « fais ce que tu veux, mon petit chéri, on t'écoute ».
Cependant, il faut se méfier : derrière l'enfant tyran, il peut y avoir une souffrance. Par exemple, la naissance d'un petit frère peut faire de l'aîné un tyran. Ce dernier va chercher tous les moyens d'attirer l'attention pour être plus en relation avec ses parents, même si c'est de manière négative. Autre exemple : un petit qui réclame toujours plus de câlins avant d'entrer en classe. Il y a une sorte d'angoisse de séparation, il ne veut pas quitter le nirvana affectif dans lequel il baigne avec ses parents.
Quand l'enfant devient un tyran pour sa famille, je prescris des grands-parents ! Pour casser ce cercle infernal de confrontation avec les parents et que la famille respire un peu, l'enfant peut aller dormir chez ses grands-parents de manière régulière. Le temps des grands-parents est compté, à la différence des parents qui sont dans une projection anxieuse de l'avenir de leurs enfants.
L'école a-t-elle également un rôle à jouer ?
Parfois, il y a une grande différence de comportement entre l'école et la famille : un enfant tyran peut être un gosse « adorable », selon la maîtresse. L'école joue un rôle important, surtout chez les petits, et les aide à ne pas rester figés à un stade régressif. La neutralité affective qui y règne les aide à grandir, d'où l'importance de la mesure de Jean-Michel Blanquer de rendre l'école obligatoire dès 3 ans. Les enseignants sont autoritaires, car ils ne sont pas là pour les aimer.
À l'heure de l'éducation positive, on a l'impression que l'obéissance est devenue un gros mot.
C'est sûr… Cette histoire de psychologie positive, ça marche plus souvent sur les parents que sur les enfants. On a envie d'y adhérer, mais il y a des frustrations nécessaires. L'autorité bienveillante aide davantage que l'amour envahissant.
L'enfant tyran peut-il causer des dommages collatéraux sur ses parents ?
Oui, la tyrannie met à l'épreuve la parentalité et le couple. D'un côté, le père peut reprocher à sa femme d'être trop souple, la mère à son mari d'être trop autoritaire… Et après, ça éclate en vol !
Peut-il y avoir des causes à la tyrannie indépendantes de l'éducation des parents ? Vous parlez dans votre livre d'un « souvenir oublié » qui pourrait être à l'origine de la tyrannie exercée par une petite fille sur sa mère.
Oui, et parfois il est très difficile de remonter le fil. Mais on peut y arriver avec l'aide des parents. Il peut y avoir quelque chose d'enfoui dans l'intergénérationnel. C'est intéressant de le comprendre.
Faut-il forcément consulter ?
Oui, quand on sent qu'on n'a plus de possibilité d'avancer, il faut consulter. Il ne faut pas trop traîner quand on perd pied, il faut vite appeler ! Cela, les parents l'ont compris, il y a un taux de consultations spontanées en hausse. Si on attend trop, la situation se pourrit. Mieux vaut consulter en préventif, ça ne fait pas de mal. On peut même être soulagé.
Certains disent qu'il y a une tendance à tout pathologiser en allant voir le pédopsychiatre au moindre bobo…
Pardonnez-moi l'expression, mais ce sont des couillons ! Ils n'ont rien compris à l'aspect préventif de la rencontre du tiers. Dans notre discipline, il y a encore le côté « psychiatrie » qui peut faire peur, mais, la plupart du temps, on ne prescrit pas de traitement. On s'appellerait « docteur des soucis », ce serait peut-être différent… Mieux vaut une consultation préventive, un rendez-vous mensuel, par exemple, ou un groupe de parole pour ados, que de laisser s'installer des comportements tyranniques qui peuvent chez certains devenir ravageurs. Il y a des parents insultés et maltraités par leurs ados, il y a des mères seules qui sont battues !
"Qui commande ici ? Conseils aux parents d'enfants tyrans », de Marcel Rufo et Philippe Duverger, éditions Anne Carrière, 280 pages, 19 euros