Le Secours islamique France, une ONG indépendante, neutre et non prosélyte
Dans Un Humanitaire musulman dans la République, Rachid Lahlou retrace son parcours de président du Secours islamique France, qu’il a créé en 1991. Il revient sur la définition de l’humanitarisme musulman, tout en évoquant ses années d’étudiant marocain en France et les défis de l’islam contemporain.
Rachid Lahlou au Tchad en 2010
Secours islamique France
Comment définiriez-vous le Secours islamique France (SIF) que vous présidez ?
Les caractéristiques du SIF se retrouvent dans les trois éléments qui composent son nom. C’est une organisation humanitaire, un «secours», une solidarité internationale. Nous avions commencé par faire de l’international dans l’urgence, et au fur et à mesure du temps nous avons mis en place des projets de développement, avant de nous intéresser à la solidarité et la misère en France. «Islamique» puisque les fondements, les contours, l’éthique de l’organisation trouvent leur source dans la religion musulmane. Et puis « France » parce que c’est une organisation française. Voilà la définition de cette organisation de solidarité internationale.
Un des a priori que l’on pourrait avoir, c’est que vous n’intervenez que dans des pays musulmans. Quelles sont vos actions concrètes à l’étranger ?
C’est un cliché. Les gens posent ces questions sans voir ce que l’on fait et où on le fait. Bizarrement, on ne posera pas cette question aux ONG confessionnelles non musulmanes. L’islam n’est pas une religion sectaire, sans parler de l’action humanitaire. Dans sa bénédiction, dans son rayonnement, dans l’aide qu’elle apporte à tout le monde, musulman ou non-musulman, l’action humanitaire caritative de solidarité du Secours islamique est destinée à tous sans distinction, et nous nous sommes inscrits dans cette optique. Seules la crise, la pauvreté, la misère nous guident pour intervenir dans un pays. Malheureusement, le centre des crises est actuellement concentré au Moyen-Orient, ce n’est pas un choix. Au contraire, nous aurions bien aimé que ce ne soit pas ainsi.
Donc, pour balayer cette idée reçue : le SIF n’aide pas que des musulmans. D’ailleurs en France, c’est la même chose. Aux Tables du Ramadan [restaurant solidaire ouvert à tous durant le mois de Ramadan à Saint-Denis (93), ndlr], vous auriez trouvé deux services : pour les non-jeûneurs dès 20 h, et pour les jeûneurs à 22 h. Ce qui, soit dit en passant, allégeait un peu la pression, sachant que mille personnes devaient être servies chaque soir.
Vous n’engagez donc pas que des musulmans ?
Non. Encore une fois : on ne pose cette question qu’au Secours islamique. Nous allons même encore plus loin, puisque des personnes non musulmanes occupent des postes à responsabilités à l’international et en France. Nous exigeons avant tout de la compétence : c’est sur cela que l’on va juger, pas sur la question de faire ou non ses prières. La religion est une affaire personnelle, pas une affaire collective. En plus de cela, notre organisation est à majorité féminine.
Lorsqu’on parle d’organisations confessionnelles musulmanes aujourd’hui, on suspecte souvent des financements venant des pays du Golfe, qui ont une idéologie islamique et politique particulière. D’où viennent principalement vos financements ?
Nos donateurs sont tous français, exclusivement français, nous n’avons aucun financement du Golfe. Mais le gouvernement français lui-même organise des séminaires pour inciter les ONG françaises à aller chercher de l’argent auprès de ce qu’on appelle « les nouveaux financiers », qui sont les pays du Golfe. C’est à l’État français qu’il faut demander, pas à nous : nous n’en avons pas pour l’instant. Malgré tout, la question des donateurs est parfois un peu compliquée. Certaines personnes comprennent mal (et cela concerne toutes les autres organisations confessionnelles) le fondement de l’organisation : pour eux, on ne devrait aider que des musulmans. Il existe une perception particulière de l’islam qui est fausse et qu’on essaye de faire changer. Les donateurs veulent parfois qu’on ne soit pas neutres, qu’on prenne une position politique, comme par exemple sur la Palestine ou la Syrie, où nous avons été malmenés sur les réseaux sociaux. Or, nous sommes une organisation dont le but est d’apporter l’aide aux personnes là où elles se trouvent, et pour cela nous devons être neutres politiquement. Les donateurs – qui sont parfois des militants – ne comprennent pas toujours cette neutralité de l’organisation humanitaire.
En vous écoutant et en lisant votre livre, on sent que vous souhaitez et revendiquez une totale indépendance. Pourquoi ?
Lorsque vous êtes indépendant, vous êtes libre. On intervient là où on veut et quand on veut, et ceci grâce à nos donateurs : nous avons une liberté d’action, nous ne faisons pas partie d’une organisation ou d’un parti politique. Les gens veulent toujours tout mettre dans des cases : le SIFserait la main de la France, des Frères musulmans, de l’Arabie saoudite… Non ! Nous sommes libres, parce que la France permet d’avoir cette liberté, et nous allons maintenir cette liberté totale hors de tout régime, de tout parti politique, de toute organisation quelle qu’elle soit. Pour nous, c’est quelque chose de grand. Notre souhait est que l’action humanitaire ne soit pas utilisée religieusement et politiquement. Lorsque nous aidons quelqu’un, nous n’allons pas lui glisser un Coran, une Bible, ou l’amener à une conférence religieuse : ce n’est pas notre problème. La religion est quelque chose de beaucoup plus sérieux, c’est l’affaire du privé. Utiliser la misère, la fragilité des personnes en difficulté pour essayer de leur inculquer une religion quelconque est pour moi inadmissible, inacceptable. C’est le point de vue du Secours islamique sur la question du prosélytisme.
Vous évoquez pourtant une « idéologie humanitaire musulmane ». Qu’entendez-vous par ce terme ?
Peut-être le mot « idéologie » était-il un peu exagéré. Ce n’est pas une idéologie, c’est la pensée de l’action humanitaire en islam. Nous allons publier un livre dans ce sens, parce que je pense que nous avons un devoir de faire connaître, à travers l’action humanitaire, certains principes de l’islam pour les musulmans et pour la société. Cette pensée de l’humanitaire islamique se résume en une action non sectaire, universelle, sans contrepartie, qui va essayer d’apporter l’aide à tous les êtres qui souffrent quelque part dans le monde, quelles que soient leur nature, leur couleur ou leur appartenance religieuse. Ce sont des valeurs fortes, cette indépendance et cette neutralité.
Vous avez rencontré de nombreuses difficultés, autour de 1995, dans le contexte des premiers attentats en France. Vous dites que cela a beaucoup changé. Les récents attentats ont-ils fait ressurgir les soupçons et les difficultés sur le Secours islamique France ?
Depuis les attentats de New York en 2001, nous n’avons pratiquement plus eu de problèmes sur ce plan : depuis déjà dix ou quinze ans, nous avions déployé tout un travail de terrain minutieux pour expliquer qui nous étions et ce que nous faisions. Les gens sur le terrain se sont rendus compte du sérieux et du professionnalisme de notre organisation. Non, les attentats ne nous ont pas touchés directement ou indirectement. Je pense que nous avons déjà atteint une certaine crédibilité dans l’opinion publique de manière générale, parce que le SIF est une organisation citoyenne, sérieuse, qui œuvre pour le bien de la société et le vivre-ensemble.
Dans votre livre, vous revenez aussi sur votre apprentissage assez solitaire de l’islam, qui vous a parfois poussé vers la tentation du salafisme, notamment à cause de livres venus de l’étranger et souvent très mal traduits. Est-ce un problème encore aujourd’hui pour les musulmans en France ? Une des solutions ne serait-elle pas de leur fournir un enseignement plus érudit ?
La religion est quelque chose de sérieux et de dangereux à la fois. Mal encadrée, elle peut prendre un sens et son contraire. Nous étions une jeunesse confrontée, dans nos lycées, à des mouvements de gauche marqués par une forte absence de croyance, bouleversant toutes les idées traditionnelles que nous avions reçues, alors même que nous manquions de fondements. C’est vraiment un séisme dans l’esprit d’un jeune à un âge où l’on se pose des questions existentielles, surtout quand on se retrouve dans une résidence étudiante, tout seul entre quatre murs. Or, la question des traductions peut être incroyablement dangereuse, surtout pour les livres politico-religieux, ce mélange donne quelque chose d’explosif. Il est vrai qu’il n’y a aucun encadrement de tout cela, et avec les réseaux sociaux, c’est la jungle ! Nous n’avons rien, et quand des prêcheurs viennent de l’étranger, ça ne fait qu’enfoncer le clou, parce qu’ils ne connaissent ni la langue du pays, ni ses traditions, ni son histoire… Et ça compte dans une religion ! Voilà comment l’addition de tout cela peut être très dangereux.
Quand je dis qu’il est très difficile d’être musulman en France, je parle aussi en terme de connaissance. On n’adore pas Dieu par méconnaissance, il faut connaître Dieu. D’où les problèmes : on prend le Coran comme si c’était un livre arrivé aujourd’hui, alors qu’il a été révélé il y a quatorze siècles dans un certain environnement. Ce qu’il faut retenir du Coran, c’est la méthode de travail. Il est valable pour tous les temps, parce qu’il donne une matière à penser. C’est comme un laboratoire, il faut prendre ces matières-là pour trouver un remède aux maux dont souffre la société. Aujourd’hui, on manque cruellement de personnes à la hauteur de cette religion pour l’expliquer.
Si je dis : « Chanceux celui qui a été form é dans le moule de la République nappé de citoyenneté et qui, en même temps, a acquis les valeurs de l’islam », c’est parce que je pense que la République nous a donné une chance. Ce n’était pas ma perception au départ : je voyais ces idéaux de la gauche non croyante comme une agression. Mais mieux qu’agressés, nous avons été bousculés. Et quand on est bousculé, ça donne une chance de réfléchir, d’interroger. Il ne faut pas toujours prendre cela négativement. Ils nous bousculent ? Et bien revenons à l’intérieur de nous-même faire le djihad, et c’est ça le djihad : faire l’effort de comprendre, de réfléchir et de donner des réponses. La France nous a bousculés, nous a poussés à réfléchir : ça a donné un produit excellent.
Emmanuel Macron envisage de réformer l’islam de France. Comptez-vous participer à ce projet ?
Le SIF ne participe pas et n’a pas à participer à ce débat concernant l’islam. Mais les personnes qui se trouvent à l’intérieur de l’association, par leur expertise, par leur personnalité, par ce qu’elles peuvent apporter, peuvent bien sûr prendre part à ce débat qui concerne toute la société. Je n’ai pas été sollicité pour l’instant, mais on verra. Un islam de France… Je ne connais pas un islam de France ou un islam du Maroc, je pense que c’est un même islam qui s’adapte et s’imprègne de l’environnement où il opère. Certaines règles ne changent pas (la prière est toujours au même moment), tandis que le reste fait partie du droit, et le droit est conçu par les êtres humains. L’islam n’est pas une religion figée, mais une religion dynamique. Le Coran n’est pas un livre de droit : il laisse la liberté, sinon il ne pourrait pas tenir plus d’un siècle. On verra bien ce que va nous dire le président de la République, j’y serai attentif en tant que personne.
(*) Un humanitaire musulman dans la République. Rachid Lahlou. Entretien avec Nathalie Dollé. Préface de Rony Brauman (Ateliers Henry Dougier, 2018)
Rachid Lahlou est né en 1953 au Maroc. Il est titulaire d’une maîtrise en économie et gestion des entreprises de l’université de Nancy II et d’un DESS d’expert démographe de l’Institut de démographie de Paris-Sorbonne. En 1991, il fonde l’organisation humanitaire Secours islamique France (classée 15e plus grosse ONG en termes de dons en 20161), à cette époque rattachée à l’ONG britannique Islamic Relief .
(1) Source : « La générosité des Français », enquête menée par Recherche et Solidarité, novembre 2017.
Dans Un Humanitaire musulman dans la République, Rachid Lahlou retrace son parcours de président du Secours islamique France, qu’il a créé en 1991. Il revient sur la définition de l’humanitarisme musulman, tout en évoquant ses années d’étudiant marocain en France et les défis de l’islam contemporain.
Rachid Lahlou au Tchad en 2010
Secours islamique France
Comment définiriez-vous le Secours islamique France (SIF) que vous présidez ?
Les caractéristiques du SIF se retrouvent dans les trois éléments qui composent son nom. C’est une organisation humanitaire, un «secours», une solidarité internationale. Nous avions commencé par faire de l’international dans l’urgence, et au fur et à mesure du temps nous avons mis en place des projets de développement, avant de nous intéresser à la solidarité et la misère en France. «Islamique» puisque les fondements, les contours, l’éthique de l’organisation trouvent leur source dans la religion musulmane. Et puis « France » parce que c’est une organisation française. Voilà la définition de cette organisation de solidarité internationale.
Un des a priori que l’on pourrait avoir, c’est que vous n’intervenez que dans des pays musulmans. Quelles sont vos actions concrètes à l’étranger ?
C’est un cliché. Les gens posent ces questions sans voir ce que l’on fait et où on le fait. Bizarrement, on ne posera pas cette question aux ONG confessionnelles non musulmanes. L’islam n’est pas une religion sectaire, sans parler de l’action humanitaire. Dans sa bénédiction, dans son rayonnement, dans l’aide qu’elle apporte à tout le monde, musulman ou non-musulman, l’action humanitaire caritative de solidarité du Secours islamique est destinée à tous sans distinction, et nous nous sommes inscrits dans cette optique. Seules la crise, la pauvreté, la misère nous guident pour intervenir dans un pays. Malheureusement, le centre des crises est actuellement concentré au Moyen-Orient, ce n’est pas un choix. Au contraire, nous aurions bien aimé que ce ne soit pas ainsi.
Donc, pour balayer cette idée reçue : le SIF n’aide pas que des musulmans. D’ailleurs en France, c’est la même chose. Aux Tables du Ramadan [restaurant solidaire ouvert à tous durant le mois de Ramadan à Saint-Denis (93), ndlr], vous auriez trouvé deux services : pour les non-jeûneurs dès 20 h, et pour les jeûneurs à 22 h. Ce qui, soit dit en passant, allégeait un peu la pression, sachant que mille personnes devaient être servies chaque soir.
Vous n’engagez donc pas que des musulmans ?
Non. Encore une fois : on ne pose cette question qu’au Secours islamique. Nous allons même encore plus loin, puisque des personnes non musulmanes occupent des postes à responsabilités à l’international et en France. Nous exigeons avant tout de la compétence : c’est sur cela que l’on va juger, pas sur la question de faire ou non ses prières. La religion est une affaire personnelle, pas une affaire collective. En plus de cela, notre organisation est à majorité féminine.
Lorsqu’on parle d’organisations confessionnelles musulmanes aujourd’hui, on suspecte souvent des financements venant des pays du Golfe, qui ont une idéologie islamique et politique particulière. D’où viennent principalement vos financements ?
Nos donateurs sont tous français, exclusivement français, nous n’avons aucun financement du Golfe. Mais le gouvernement français lui-même organise des séminaires pour inciter les ONG françaises à aller chercher de l’argent auprès de ce qu’on appelle « les nouveaux financiers », qui sont les pays du Golfe. C’est à l’État français qu’il faut demander, pas à nous : nous n’en avons pas pour l’instant. Malgré tout, la question des donateurs est parfois un peu compliquée. Certaines personnes comprennent mal (et cela concerne toutes les autres organisations confessionnelles) le fondement de l’organisation : pour eux, on ne devrait aider que des musulmans. Il existe une perception particulière de l’islam qui est fausse et qu’on essaye de faire changer. Les donateurs veulent parfois qu’on ne soit pas neutres, qu’on prenne une position politique, comme par exemple sur la Palestine ou la Syrie, où nous avons été malmenés sur les réseaux sociaux. Or, nous sommes une organisation dont le but est d’apporter l’aide aux personnes là où elles se trouvent, et pour cela nous devons être neutres politiquement. Les donateurs – qui sont parfois des militants – ne comprennent pas toujours cette neutralité de l’organisation humanitaire.
En vous écoutant et en lisant votre livre, on sent que vous souhaitez et revendiquez une totale indépendance. Pourquoi ?
Lorsque vous êtes indépendant, vous êtes libre. On intervient là où on veut et quand on veut, et ceci grâce à nos donateurs : nous avons une liberté d’action, nous ne faisons pas partie d’une organisation ou d’un parti politique. Les gens veulent toujours tout mettre dans des cases : le SIFserait la main de la France, des Frères musulmans, de l’Arabie saoudite… Non ! Nous sommes libres, parce que la France permet d’avoir cette liberté, et nous allons maintenir cette liberté totale hors de tout régime, de tout parti politique, de toute organisation quelle qu’elle soit. Pour nous, c’est quelque chose de grand. Notre souhait est que l’action humanitaire ne soit pas utilisée religieusement et politiquement. Lorsque nous aidons quelqu’un, nous n’allons pas lui glisser un Coran, une Bible, ou l’amener à une conférence religieuse : ce n’est pas notre problème. La religion est quelque chose de beaucoup plus sérieux, c’est l’affaire du privé. Utiliser la misère, la fragilité des personnes en difficulté pour essayer de leur inculquer une religion quelconque est pour moi inadmissible, inacceptable. C’est le point de vue du Secours islamique sur la question du prosélytisme.
Vous évoquez pourtant une « idéologie humanitaire musulmane ». Qu’entendez-vous par ce terme ?
Peut-être le mot « idéologie » était-il un peu exagéré. Ce n’est pas une idéologie, c’est la pensée de l’action humanitaire en islam. Nous allons publier un livre dans ce sens, parce que je pense que nous avons un devoir de faire connaître, à travers l’action humanitaire, certains principes de l’islam pour les musulmans et pour la société. Cette pensée de l’humanitaire islamique se résume en une action non sectaire, universelle, sans contrepartie, qui va essayer d’apporter l’aide à tous les êtres qui souffrent quelque part dans le monde, quelles que soient leur nature, leur couleur ou leur appartenance religieuse. Ce sont des valeurs fortes, cette indépendance et cette neutralité.
Vous avez rencontré de nombreuses difficultés, autour de 1995, dans le contexte des premiers attentats en France. Vous dites que cela a beaucoup changé. Les récents attentats ont-ils fait ressurgir les soupçons et les difficultés sur le Secours islamique France ?
Depuis les attentats de New York en 2001, nous n’avons pratiquement plus eu de problèmes sur ce plan : depuis déjà dix ou quinze ans, nous avions déployé tout un travail de terrain minutieux pour expliquer qui nous étions et ce que nous faisions. Les gens sur le terrain se sont rendus compte du sérieux et du professionnalisme de notre organisation. Non, les attentats ne nous ont pas touchés directement ou indirectement. Je pense que nous avons déjà atteint une certaine crédibilité dans l’opinion publique de manière générale, parce que le SIF est une organisation citoyenne, sérieuse, qui œuvre pour le bien de la société et le vivre-ensemble.
Dans votre livre, vous revenez aussi sur votre apprentissage assez solitaire de l’islam, qui vous a parfois poussé vers la tentation du salafisme, notamment à cause de livres venus de l’étranger et souvent très mal traduits. Est-ce un problème encore aujourd’hui pour les musulmans en France ? Une des solutions ne serait-elle pas de leur fournir un enseignement plus érudit ?
La religion est quelque chose de sérieux et de dangereux à la fois. Mal encadrée, elle peut prendre un sens et son contraire. Nous étions une jeunesse confrontée, dans nos lycées, à des mouvements de gauche marqués par une forte absence de croyance, bouleversant toutes les idées traditionnelles que nous avions reçues, alors même que nous manquions de fondements. C’est vraiment un séisme dans l’esprit d’un jeune à un âge où l’on se pose des questions existentielles, surtout quand on se retrouve dans une résidence étudiante, tout seul entre quatre murs. Or, la question des traductions peut être incroyablement dangereuse, surtout pour les livres politico-religieux, ce mélange donne quelque chose d’explosif. Il est vrai qu’il n’y a aucun encadrement de tout cela, et avec les réseaux sociaux, c’est la jungle ! Nous n’avons rien, et quand des prêcheurs viennent de l’étranger, ça ne fait qu’enfoncer le clou, parce qu’ils ne connaissent ni la langue du pays, ni ses traditions, ni son histoire… Et ça compte dans une religion ! Voilà comment l’addition de tout cela peut être très dangereux.
Quand je dis qu’il est très difficile d’être musulman en France, je parle aussi en terme de connaissance. On n’adore pas Dieu par méconnaissance, il faut connaître Dieu. D’où les problèmes : on prend le Coran comme si c’était un livre arrivé aujourd’hui, alors qu’il a été révélé il y a quatorze siècles dans un certain environnement. Ce qu’il faut retenir du Coran, c’est la méthode de travail. Il est valable pour tous les temps, parce qu’il donne une matière à penser. C’est comme un laboratoire, il faut prendre ces matières-là pour trouver un remède aux maux dont souffre la société. Aujourd’hui, on manque cruellement de personnes à la hauteur de cette religion pour l’expliquer.
Si je dis : « Chanceux celui qui a été form é dans le moule de la République nappé de citoyenneté et qui, en même temps, a acquis les valeurs de l’islam », c’est parce que je pense que la République nous a donné une chance. Ce n’était pas ma perception au départ : je voyais ces idéaux de la gauche non croyante comme une agression. Mais mieux qu’agressés, nous avons été bousculés. Et quand on est bousculé, ça donne une chance de réfléchir, d’interroger. Il ne faut pas toujours prendre cela négativement. Ils nous bousculent ? Et bien revenons à l’intérieur de nous-même faire le djihad, et c’est ça le djihad : faire l’effort de comprendre, de réfléchir et de donner des réponses. La France nous a bousculés, nous a poussés à réfléchir : ça a donné un produit excellent.
Emmanuel Macron envisage de réformer l’islam de France. Comptez-vous participer à ce projet ?
Le SIF ne participe pas et n’a pas à participer à ce débat concernant l’islam. Mais les personnes qui se trouvent à l’intérieur de l’association, par leur expertise, par leur personnalité, par ce qu’elles peuvent apporter, peuvent bien sûr prendre part à ce débat qui concerne toute la société. Je n’ai pas été sollicité pour l’instant, mais on verra. Un islam de France… Je ne connais pas un islam de France ou un islam du Maroc, je pense que c’est un même islam qui s’adapte et s’imprègne de l’environnement où il opère. Certaines règles ne changent pas (la prière est toujours au même moment), tandis que le reste fait partie du droit, et le droit est conçu par les êtres humains. L’islam n’est pas une religion figée, mais une religion dynamique. Le Coran n’est pas un livre de droit : il laisse la liberté, sinon il ne pourrait pas tenir plus d’un siècle. On verra bien ce que va nous dire le président de la République, j’y serai attentif en tant que personne.
(*) Un humanitaire musulman dans la République. Rachid Lahlou. Entretien avec Nathalie Dollé. Préface de Rony Brauman (Ateliers Henry Dougier, 2018)
Rachid Lahlou est né en 1953 au Maroc. Il est titulaire d’une maîtrise en économie et gestion des entreprises de l’université de Nancy II et d’un DESS d’expert démographe de l’Institut de démographie de Paris-Sorbonne. En 1991, il fonde l’organisation humanitaire Secours islamique France (classée 15e plus grosse ONG en termes de dons en 20161), à cette époque rattachée à l’ONG britannique Islamic Relief .
(1) Source : « La générosité des Français », enquête menée par Recherche et Solidarité, novembre 2017.