Irlande : Comment peut-on être catholique ?
JEAN-PIERRE DENIS, DIRECTEUR DE LA RÉDACTION publié le 28/05/2018
Peter Morrison/AP/SIPA
Les Irlandais ont décidé à une large majorité de légaliser l’avortement. Leur Constitution affirmait que « l’État reconnaît le droit à la vie de l’enfant à naître et, reconnaissant à la mère un droit égal à la vie, garantit ce droit par la loi ». Des amendements ultérieurs avaient permis de se rendre à l’étranger, mais sur le sol national l’avortement restait prohibé, sauf danger mortel pour la mère. Le référendum mettra fin à l’hypocrisie des voyages en Grande-Bretagne ou à l’horreur pour les femmes des avortements clandestins. Une nouvelle loi autorisera l’IVG dans un cadre comparable à celui de la France : libre dans les 12 premières semaines, puis autorisé en cas de « risque pour la santé physique ou psychologique » ou de malformation fœtale grave.
Sur le fond, les arguments sont connus. Dans la plupart des sociétés européennes, l’opinion publique est largement favorable au droit à l’avortement, et les leaders d’opinion s’en montrent unanimement partisans, au point qu’aucune politique de prévention n’est plus possible pour éviter ce que Simone Veil qualifiait de « drame » dans son discours de 1974. La position de l’Église catholique est tout aussi claire, et invariablement exprimée depuis Paul VI. Le pape François n’a pas explicitement commenté le référendum irlandais, mais il a reçu une délégation internationale de médecins catholiques. « L’Église est pour la vie, et sa préoccupation est que rien ne s’oppose à la vie dans la réalité d’une existence concrète, aussi faible et privée de défense qu’elle soit, même en cours de développement ou peu avancée », a-t-il rappelé, invitant à « défendre la vie humaine de la conception à sa fin naturelle ».
Le pape François n’a pas explicitement commenté le référendum irlandais, mais il a reçu une délégation internationale de médecins catholiques.
Le référendum souligne surtout la sécularisation de l’une des dernières sociétés réputées catholiques en Europe. L’Église irlandaise s’est longtemps confondue avec l’identité et la survie d’un peuple qu’elle défendit contre l’oppression coloniale tout en régissant les comportements individuels. Tombée de son piédestal depuis que remontent les cas de maltraitance dans des établissements sociaux ou les scandales d’abus sexuels commis par des prêtres et couverts par des évêques, elle semble marginalisée par une forme de « révolution tranquille » à la québécoise. En dehors même de l’effet dévastateur des scandales, à l’âge séculier il n’y a plus d’autorité ou de vérité absolues, mais des choix personnels. Même à l’intérieur des Églises, beaucoup de fidèles en prennent et en laissent. Ce fut le cas lors de ce référendum, comme lors d’une consultation sur le mariage homosexuel.
On peut considérer qu’il n’y aura plus de pays catholique ou de société catholique à l’exception – provisoire ? – de la Pologne. Le catholicisme devient alors un « style », pour parler comme le théologien Christoph Theobald. Cela n’a rien de superficiel : on sait que « le style, c’est l’homme ». Les croyants, en tant que citoyens, ne doivent pas transiger sur leur liberté d’expression et d’action, de la défense pacifique de l’enfant à naître à l’accueil sans jugement des femmes en détresse. Il n’est pas possible d’aller au-delà. Prenons ce fait comme une chance pour la foi ! Si le christianisme devient « style », les chrétiens ne sont plus appelés à faire la morale, mais à prêcher par leur sainteté. Paul VI notait déjà que l’époque ne veut plus de maîtres, mais des témoins. Dans l’adresse du pape François aux médecins catholiques, j’ai relevé les mots « courage, sérénité et détermination », « richesse d’humanité et de compassion évangélique », « cohérence et témoignage de foi ». Enfin et surtout, « joie et générosité ». Déjà très ambitieux !
JEAN-PIERRE DENIS, DIRECTEUR DE LA RÉDACTION publié le 28/05/2018
Peter Morrison/AP/SIPA
Les Irlandais ont décidé à une large majorité de légaliser l’avortement. Leur Constitution affirmait que « l’État reconnaît le droit à la vie de l’enfant à naître et, reconnaissant à la mère un droit égal à la vie, garantit ce droit par la loi ». Des amendements ultérieurs avaient permis de se rendre à l’étranger, mais sur le sol national l’avortement restait prohibé, sauf danger mortel pour la mère. Le référendum mettra fin à l’hypocrisie des voyages en Grande-Bretagne ou à l’horreur pour les femmes des avortements clandestins. Une nouvelle loi autorisera l’IVG dans un cadre comparable à celui de la France : libre dans les 12 premières semaines, puis autorisé en cas de « risque pour la santé physique ou psychologique » ou de malformation fœtale grave.
Sur le fond, les arguments sont connus. Dans la plupart des sociétés européennes, l’opinion publique est largement favorable au droit à l’avortement, et les leaders d’opinion s’en montrent unanimement partisans, au point qu’aucune politique de prévention n’est plus possible pour éviter ce que Simone Veil qualifiait de « drame » dans son discours de 1974. La position de l’Église catholique est tout aussi claire, et invariablement exprimée depuis Paul VI. Le pape François n’a pas explicitement commenté le référendum irlandais, mais il a reçu une délégation internationale de médecins catholiques. « L’Église est pour la vie, et sa préoccupation est que rien ne s’oppose à la vie dans la réalité d’une existence concrète, aussi faible et privée de défense qu’elle soit, même en cours de développement ou peu avancée », a-t-il rappelé, invitant à « défendre la vie humaine de la conception à sa fin naturelle ».
Le pape François n’a pas explicitement commenté le référendum irlandais, mais il a reçu une délégation internationale de médecins catholiques.
Le référendum souligne surtout la sécularisation de l’une des dernières sociétés réputées catholiques en Europe. L’Église irlandaise s’est longtemps confondue avec l’identité et la survie d’un peuple qu’elle défendit contre l’oppression coloniale tout en régissant les comportements individuels. Tombée de son piédestal depuis que remontent les cas de maltraitance dans des établissements sociaux ou les scandales d’abus sexuels commis par des prêtres et couverts par des évêques, elle semble marginalisée par une forme de « révolution tranquille » à la québécoise. En dehors même de l’effet dévastateur des scandales, à l’âge séculier il n’y a plus d’autorité ou de vérité absolues, mais des choix personnels. Même à l’intérieur des Églises, beaucoup de fidèles en prennent et en laissent. Ce fut le cas lors de ce référendum, comme lors d’une consultation sur le mariage homosexuel.
On peut considérer qu’il n’y aura plus de pays catholique ou de société catholique à l’exception – provisoire ? – de la Pologne. Le catholicisme devient alors un « style », pour parler comme le théologien Christoph Theobald. Cela n’a rien de superficiel : on sait que « le style, c’est l’homme ». Les croyants, en tant que citoyens, ne doivent pas transiger sur leur liberté d’expression et d’action, de la défense pacifique de l’enfant à naître à l’accueil sans jugement des femmes en détresse. Il n’est pas possible d’aller au-delà. Prenons ce fait comme une chance pour la foi ! Si le christianisme devient « style », les chrétiens ne sont plus appelés à faire la morale, mais à prêcher par leur sainteté. Paul VI notait déjà que l’époque ne veut plus de maîtres, mais des témoins. Dans l’adresse du pape François aux médecins catholiques, j’ai relevé les mots « courage, sérénité et détermination », « richesse d’humanité et de compassion évangélique », « cohérence et témoignage de foi ». Enfin et surtout, « joie et générosité ». Déjà très ambitieux !