Las Vegas : Les fans de country ont le blues
HENRIK LINDELL publié le 09/10/2017
Le massacre à Las Vegas a atteint de plein fouet les fans de la country, un milieu populaire, traditionnellement pro-armes et républicain. Certaines stars de ce genre musical commencent à dénoncer la législation ultra-libérale sur les armes à feu.
Et si le changement de l'opinion publique sur les armes aux États-Unis venait des milieux de la country ? Pour le moment, on en est loin, mais une évolution est malgré tout perceptible depuis le massacre le 1er octobre à Las Vegas qui a fait 59 morts et presque 500 blessés. Les victimes de Stephen Paddock, dont on ignore toujours les motivations précises, assistaient à un concert dans le cadre du grand festival country annuel Route 91 Harvest. Cette musique, qui a parfois une image de folklore désuet en France, est de loin le genre artistique le plus populaire aux États-Unis. A l’instar de la Route 91 Harvest, des festivals comme Stagecoach et Taste of Country attirent des millions d’amateurs chaque année, souvent pour des concerts en plein air. C’est le genre musical le plus écouté à la radio, bien plus que le rock ou le rap.
Un public majoritairement républicain, rural et blanc
Or ce milieu est traditionnellement très réceptif aux arguments de la National Rifle Association (NRA), qui défend farouchement le droit pour chacun de se procurer des armes du même type ayant été utilisées par le meurtrier à Las Vegas. De très nombreux fans de country sont membres de cette puissante organisation de lobbying qui compte quelques cinq millions d’adhérents dont de nombreux élus. Des artistes country de renom comme Trace Adkins, Florida Georgia Line ou Tyler Farr soutiennent activement la NRA.
Chez les républicains ruraux, les chanteurs Lee Brice et Chris Janson, financés en partie par la NRA, ont une popularité comparable à celle des pro-contrôle des armes Lady Gaga ou Beyoncé chez les démocrates.
Un engagement qui colle avec d’autres caractéristiques : le public de la country est majoritairement républicain, « conservateur », rural et blanc. Un détail qui n’a pas échappé à Donald Trump. Alors que tous les grands artistes internationaux du showbiz ont refusé de chanter lors de sa convention l’année dernière, il a au contraire sollicité les chanteurs-interprètes country Lee Brice et Chris Janson.
Chez les républicains ruraux, ces deux chanteurs, tous les deux financés en partie par la NRA, ont une popularité comparable à celle des pro-contrôle des armes Lady Gaga ou Beyoncé chez les démocrates. Ainsi ces vidéos de Chris Janson, visionnées des dizaines de millions de fois, qui jouent non sans cynisme sur les valeurs matérialistes des Américains ruraux blancs s’estimant appauvris. Les armes font partie du décor et l’alcool coule à flot.
Mais depuis la fusillade à Las Vegas, la plus meurtrière de l’histoire contemporaine aux États-Unis, les choses pourraient peut-être changer dans les milieux de la country. Plusieurs artistes auparavant « pro-NRA » ont tout simplement changé d’avis après cette horrible soirée du 1er octobre, où le tireur fou a pu ouvrir le feu pendant plus de dix minutes. C’est le cas du guitariste Caleb Keeter du groupe Josh Abbott Band.
Caché derrière un camion ce soir-là, croyant que son dernier jour était arrivé, il a expliqué sur Twitter qu’il avait toujours été « pro-armes » jusqu’alors, mais qu’il faudrait désormais imposer des contrôles plus stricts. « Je ne peux exprimer à quel point je me suis trompé sur cette question », a-t-il écrit, désespéré. Le dernier artiste sur scène le 1er octobre, Jason Aldean, chassé par les premiers tirs, a, lui, dénoncé le climat de haine et une culture de la violence qui règne dans son pays.
Le changement viendra de l'Amérique moyenne et blanche
La NRA s’est peu exprimée depuis le massacre. Tout en s’opposant catégoriquement à toute interdiction, elle s’est cependant dit prête à défendre un renforcement des règlementations actuelles permettant de transformer une arme semi-automatique en automatique. Ce petit soupçon de début d’une nouvelle attitude de la NRA est vécu comme un événement.
Or, dans la situation actuelle, le changement politique nécessaire viendra sûrement quand l’Amérique moyenne et blanche évoluera par elle-même sur la question des armes. Plusieurs artistes de country ont d’ores déjà intégré la campagne pro-contrôle des armes. Ainsi la chanteuse Rosanne Cash, la fille de Johnny Cash (1932-2003), probablement l’artiste le plus connu du genre.
Patriotisme et foi en un fort contrôle des armes ne sont pas contradictoires. – Rosanne Cash
Le 3 octobre, elle a fait publier dans le grand quotidien New York Times une tribune appelant les artistes et les amateurs de la country à prendre ses distances par rapport à la NRA qu’elle considère soutenir une forme de « terrorisme intérieur ». Elle cite notamment une enquête suggérant que quelque 280.000 Américains ont été tués par des armes à feu entre 2005 et 2015, alors que « seulement » 24 personnes sont mortes pendant cette période à cause du terrorisme.
Rosanne Cash, qui reçoit régulièrement des lettres de menaces, prévient les artistes pro-contrôle des armes à feu : « Vous serez agressés. (…) Certains vont brûler vos disques ou demander à ce qu’on rembourse des tickets de vos concerts. Essayez de trouver la force de la conviction morale, même si elle a un prix. (…) Patriotisme et foi en un fort contrôle des armes ne sont pas contradictoires. » À en croire les messages d’autres amis de la country sur les réseaux sociaux en faveur de Rosanne Cash, elle est de moins en moins seule.
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