A Saint Andrews, l’héritage distillé de la Réforme écossaise
Berceau du protestantisme (5/6). Dans cet ancien bastion de la Réforme, l’héritage de John Knox se dilue avec la sécularisation de la société.
Sur les visages des centaines d’étudiants qui déambulent, en uniforme, dans la grande rue commerciale de Saint Andrews (région de Fife), l’excitation est palpable. Dans quelques jours, les plus studieux d’entre eux fêteront leur graduation, l’obtention officielle de leur diplôme. Déjà, tous ne parlent que des festivités universitaires et des bars de la petite cité portuaire qu’ils s’apprêteront à rejoindre, à la nuit tombée, pour « arroser » l’événement.
Mais dans le dédale de couloirs de l’université de Saint Andrews – la plus vieille d’Écosse, fondée en 1410 –, c’est une tout autre cérémonie, autrement plus solennelle, qui se prépare sous la houlette des professeurs de la faculté de théologie et de tous les responsables religieux de la ville. En octobre, ils organiseront une grande célébration œcuménique pour marquer le 500e anniversaire de la publication, en 1517, des 95 thèses de Martin Luther dans la ville allemande de Wittenberg.
Une imposante façade en pierres
Pourtant, ce n’est ni à cette date, ni à cette ville, ni à cette figure religieuse historique que se réfèrent les Écossais quand ils évoquent le basculement officiel, en 1560, du catholicisme romain au protestantisme calviniste sur les terres anglo-saxonnes. « La séparation a commencé à être entérinée ici, à Saint Andrews, au milieu du XVIe siècle, avant de se diffuser dans tout le pays », avance Elizabeth Rhodes, spécialiste de l’impact de la Réforme écossaise sur la ville médiévale.
La voix enjouée, cette trentenaire doctorante de l’université de Saint Andrews pointe l’imposante façade de pierres de la Holy Trinity Church, l’église de la Sainte-Trinité. « C’est là que John Knox, considéré comme l’instigateur de la Réforme écossaise, a prêché en 1547 pour la première fois en public », poursuit-elle. Une quinzaine d’années plus tard, l’ancien notaire et précepteur y multipliera aussi, après avoir rencontré Jean Calvin à Genève, ses appels prônant « l’abolition de la papauté et de l’idolâtrie ». Près du pupitre de marbre blanc, une plaquette commémore encore sobrement l’événement.
Mais c’est surtout à quelques centaines de mètres de là que se mesure l’impact de la vague de violence populaire déclenchée par la séparation, dans le sang, des réformés avec Rome. De la cathédrale Saint-André, inaugurée au XIIIe siècle et qui fut, pendant longtemps, le plus grand édifice religieux d’Écosse, il ne reste que des ruines. Après la Réforme, cet ancien haut lieu de pèlerinage médiéval, qui abritait les reliques de saint André, fut pillé, dépouillé de ses autels et tomba en désuétude.
Ses vestiges demeurent un site touristique très prisé en Écosse, attirant des dizaines de milliers de visiteurs chaque année. Difficile pourtant d’imaginer, depuis les simples socles pierreux et au milieu de l’afflux de touristes, la grandeur spirituelle de l’ancienne résidence épiscopale fortifiée. Cela a poussé Elizabeth Rhodes à se lancer, il y a quelques mois, avec d’autres étudiants et professeurs, dans un pharaonique chantier de reconstruction digitale (1) des principaux monuments de la ville, tels qu’ils apparaissaient quelques années avant la Réforme.
À partir d’archives et de dessins fournis par l’université, elle a reconstitué, avec son équipe, chaque pierre et chaque vitrail jusque dans leurs moindres détails. L’immersion, à l’aide d’un téléphone branché sur un casque de réalité virtuelle, est époustouflante. « Nous espérons pouvoir étendre le projet à tous les autres monuments emblématiques, et aux rues de Saint Andrews », s’enthousiasme-t-elle.
Quand on évoque le lancement de ce projet avec Anna, quinquagénaire londonienne protestante venue visiter la ville, celle-ci se réjouit. « Ce travail de mémoire, architectural comme historique, nous rappelle l’importance de travailler à l’entretien de nos relations interconfessionnelles, notamment avec les catholiques », affirme-t-elle, depuis les ruines du château de Saint Andrews, où John Knox fut emprisonné, avant d’être capturé en 1547 par les troupes catholiques françaises qui l’envoyèrent aux galères.
« Aujourd’hui encore, il faut être diplomate quand on parle de lui : certains fidèles le voient comme un libérateur, le héros charismatique de la Réforme ; d’autres comme un prédicateur intransigeant ou violent, poursuit-elle. Malheureusement, les jeunes générations se désintéressent de plus en plus de son riche héritage ».
Car, si la ville continue d’attirer les touristes pour son patrimoine religieux, c’est désormais souvent davantage « pour ses plages et ses activités sportives – dont l’Old Course, l’un des plus vieux parcours de golf au monde – que les foules y affluent », affirme-t-on à l’office du tourisme. La ville s’est en effet profondément sécularisée au cours des dernières décennies. En ce dimanche de la fin du mois de juin, les 80 fidèles présents au culte sont loin de remplir l’imposante travée de la Holy Trinity Church.
Une quinzaine d’offices
Le pasteur Russell McLarty, arrivé dans la paroisse il y a un an et demi, l’impute au foisonnement d’offres et d’édifices religieux qui maillent la petite cité de 15 000 habitants. « Chaque dimanche, près d’une quinzaine d’offices sont proposés aux fidèles de Saint Andrews : il faudrait que nous arrivions à relever le défi de l’unification », explique-t-il, en se disant cependant « très confiant » dans la capacité de l’Église d’Écosse à garder, à l’avenir, une influence forte. Parce que, conclut-il d’une voix enthousiaste, « les Écossais d’ici restent, malgré tout, très attachés à leurs valeurs et à leurs traditions ».
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John Knox, le fondateur de l’Église d’Écosse
1546. Après ses études à l’université de Glasgow, John Knox, notaire et précepteur, se convertit à la Réforme et devient pasteur à Saint Andrews. L’année suivante, il est capturé par les troupes françaises catholiques et envoyé aux galères.
1549. Fraîchement libéré, il se rend en Angleterre et devient chapelain du jeune roi Édouard VI. Il participe à l’écriture de The Book of Common Order, la liturgie de l’Église écossaise. À l’avènement de la reine catholique Marie Tudor en 1553, il s’enfuit et gagne Genève, où il rencontre Jean Calvin.
1555. Il rentre en Écosse y prêcher la Réforme calviniste mais doit de nouveau s’enfuir pour ne revenir définitivement qu’en 1559.
1560. Après plusieurs années de lutte, le protestantisme devient religion d’État dans le pays. En 1561, John Knox s’oppose durement par ses sermons à la reine Marie Stuart. Il passe les dernières années de sa vie dans sa nouvelle paroisse, la cathédrale Saint-Gilles d’Édimbourg, où il sera enterré après sa mort en 1572.
Malo Tresca
http://www.la-croix.com/Religion/Protestantisme/A-Saint-Andrews-lheritage-distille-Reforme-ecossaise-2017-08-20-1200870713?from_univers=lacroix
Berceau du protestantisme (5/6). Dans cet ancien bastion de la Réforme, l’héritage de John Knox se dilue avec la sécularisation de la société.
Sur les visages des centaines d’étudiants qui déambulent, en uniforme, dans la grande rue commerciale de Saint Andrews (région de Fife), l’excitation est palpable. Dans quelques jours, les plus studieux d’entre eux fêteront leur graduation, l’obtention officielle de leur diplôme. Déjà, tous ne parlent que des festivités universitaires et des bars de la petite cité portuaire qu’ils s’apprêteront à rejoindre, à la nuit tombée, pour « arroser » l’événement.
Mais dans le dédale de couloirs de l’université de Saint Andrews – la plus vieille d’Écosse, fondée en 1410 –, c’est une tout autre cérémonie, autrement plus solennelle, qui se prépare sous la houlette des professeurs de la faculté de théologie et de tous les responsables religieux de la ville. En octobre, ils organiseront une grande célébration œcuménique pour marquer le 500e anniversaire de la publication, en 1517, des 95 thèses de Martin Luther dans la ville allemande de Wittenberg.
Une imposante façade en pierres
Pourtant, ce n’est ni à cette date, ni à cette ville, ni à cette figure religieuse historique que se réfèrent les Écossais quand ils évoquent le basculement officiel, en 1560, du catholicisme romain au protestantisme calviniste sur les terres anglo-saxonnes. « La séparation a commencé à être entérinée ici, à Saint Andrews, au milieu du XVIe siècle, avant de se diffuser dans tout le pays », avance Elizabeth Rhodes, spécialiste de l’impact de la Réforme écossaise sur la ville médiévale.
La voix enjouée, cette trentenaire doctorante de l’université de Saint Andrews pointe l’imposante façade de pierres de la Holy Trinity Church, l’église de la Sainte-Trinité. « C’est là que John Knox, considéré comme l’instigateur de la Réforme écossaise, a prêché en 1547 pour la première fois en public », poursuit-elle. Une quinzaine d’années plus tard, l’ancien notaire et précepteur y multipliera aussi, après avoir rencontré Jean Calvin à Genève, ses appels prônant « l’abolition de la papauté et de l’idolâtrie ». Près du pupitre de marbre blanc, une plaquette commémore encore sobrement l’événement.
Mais c’est surtout à quelques centaines de mètres de là que se mesure l’impact de la vague de violence populaire déclenchée par la séparation, dans le sang, des réformés avec Rome. De la cathédrale Saint-André, inaugurée au XIIIe siècle et qui fut, pendant longtemps, le plus grand édifice religieux d’Écosse, il ne reste que des ruines. Après la Réforme, cet ancien haut lieu de pèlerinage médiéval, qui abritait les reliques de saint André, fut pillé, dépouillé de ses autels et tomba en désuétude.
Ses vestiges demeurent un site touristique très prisé en Écosse, attirant des dizaines de milliers de visiteurs chaque année. Difficile pourtant d’imaginer, depuis les simples socles pierreux et au milieu de l’afflux de touristes, la grandeur spirituelle de l’ancienne résidence épiscopale fortifiée. Cela a poussé Elizabeth Rhodes à se lancer, il y a quelques mois, avec d’autres étudiants et professeurs, dans un pharaonique chantier de reconstruction digitale (1) des principaux monuments de la ville, tels qu’ils apparaissaient quelques années avant la Réforme.
À partir d’archives et de dessins fournis par l’université, elle a reconstitué, avec son équipe, chaque pierre et chaque vitrail jusque dans leurs moindres détails. L’immersion, à l’aide d’un téléphone branché sur un casque de réalité virtuelle, est époustouflante. « Nous espérons pouvoir étendre le projet à tous les autres monuments emblématiques, et aux rues de Saint Andrews », s’enthousiasme-t-elle.
Quand on évoque le lancement de ce projet avec Anna, quinquagénaire londonienne protestante venue visiter la ville, celle-ci se réjouit. « Ce travail de mémoire, architectural comme historique, nous rappelle l’importance de travailler à l’entretien de nos relations interconfessionnelles, notamment avec les catholiques », affirme-t-elle, depuis les ruines du château de Saint Andrews, où John Knox fut emprisonné, avant d’être capturé en 1547 par les troupes catholiques françaises qui l’envoyèrent aux galères.
« Aujourd’hui encore, il faut être diplomate quand on parle de lui : certains fidèles le voient comme un libérateur, le héros charismatique de la Réforme ; d’autres comme un prédicateur intransigeant ou violent, poursuit-elle. Malheureusement, les jeunes générations se désintéressent de plus en plus de son riche héritage ».
Car, si la ville continue d’attirer les touristes pour son patrimoine religieux, c’est désormais souvent davantage « pour ses plages et ses activités sportives – dont l’Old Course, l’un des plus vieux parcours de golf au monde – que les foules y affluent », affirme-t-on à l’office du tourisme. La ville s’est en effet profondément sécularisée au cours des dernières décennies. En ce dimanche de la fin du mois de juin, les 80 fidèles présents au culte sont loin de remplir l’imposante travée de la Holy Trinity Church.
Une quinzaine d’offices
Le pasteur Russell McLarty, arrivé dans la paroisse il y a un an et demi, l’impute au foisonnement d’offres et d’édifices religieux qui maillent la petite cité de 15 000 habitants. « Chaque dimanche, près d’une quinzaine d’offices sont proposés aux fidèles de Saint Andrews : il faudrait que nous arrivions à relever le défi de l’unification », explique-t-il, en se disant cependant « très confiant » dans la capacité de l’Église d’Écosse à garder, à l’avenir, une influence forte. Parce que, conclut-il d’une voix enthousiaste, « les Écossais d’ici restent, malgré tout, très attachés à leurs valeurs et à leurs traditions ».
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John Knox, le fondateur de l’Église d’Écosse
1546. Après ses études à l’université de Glasgow, John Knox, notaire et précepteur, se convertit à la Réforme et devient pasteur à Saint Andrews. L’année suivante, il est capturé par les troupes françaises catholiques et envoyé aux galères.
1549. Fraîchement libéré, il se rend en Angleterre et devient chapelain du jeune roi Édouard VI. Il participe à l’écriture de The Book of Common Order, la liturgie de l’Église écossaise. À l’avènement de la reine catholique Marie Tudor en 1553, il s’enfuit et gagne Genève, où il rencontre Jean Calvin.
1555. Il rentre en Écosse y prêcher la Réforme calviniste mais doit de nouveau s’enfuir pour ne revenir définitivement qu’en 1559.
1560. Après plusieurs années de lutte, le protestantisme devient religion d’État dans le pays. En 1561, John Knox s’oppose durement par ses sermons à la reine Marie Stuart. Il passe les dernières années de sa vie dans sa nouvelle paroisse, la cathédrale Saint-Gilles d’Édimbourg, où il sera enterré après sa mort en 1572.
Malo Tresca
http://www.la-croix.com/Religion/Protestantisme/A-Saint-Andrews-lheritage-distille-Reforme-ecossaise-2017-08-20-1200870713?from_univers=lacroix