La Revue du MAUSS ausculte le retour de la religion
Élodie Maurot,
Une vingtaine de chercheurs se penchent sur le retour de la religion dans le monde, en s’intéressant à la place du marché et de la politique dans ses recompositions.
Dans les années 1980-1990, tout semblait presque simple en sociologie de la religion. La fin des illusions et le retour de la Raison (avec un grand R) étaient annoncés. On pensait les religions héritées vouées à un déclin inexorable. Et s’il était envisagé que les croyances religieuses puissent encore jouer un rôle dans la vie privée, il était acté qu’elles n’en auraient plus dans la sphère publique…
Pourtant, trente ans plus tard, force est de constater que « le monde est toujours aussi furieusement religieux qu’il l’a toujours été, et dans certains endroits, il l’est plus encore que jamais », comme l’a écrit le célèbre sociologue américain Peter Berger. Le diagnostic d’un retour de la religion n’est certes pas nouveau, mais la revue du MAUSS apporte dans sa dernière livraison (1) une pierre intéressante à l’analyse de ce phénomène qui reste à élucider.
À LIRE AUSSI : Peter Berger, ou le pari du « retour de la religion »
Avec une vingtaine de sociologues, anthropologues et politologues, elle interroge ce retour de la religion : « Sous quelles formes ? Sur un mode de plus en plus individualiste ou, au contraire, toujours collectif ? En rupture avec les religions héritées ou dans leur continuité ? En relation avec le politique, en dehors de lui ou à côté ? » Le volume a choisi de rassembler ces interrogations selon trois axes, en s’intéressant plus particulièrement à l’islamisme, à la théorie de la religion et aux querelles sur la laïcité. Sur ce dernier point, l’article de François Gauthier sur les régimes de laïcité – qui distingue « laïcité de combat », « laïcité de coopération » et « laïcité de neutralité » – offre une utile clarification.
Déclin du politico-religieux, essor de l’économico-religieux
Dans ce numéro, il saute aux yeux que la religion se caractérise de moins en moins par son couplage avec le politique et de plus en plus par son alliance avec l’économie. Les auteurs remarquent que des pratiques comme le port du voile, la consommation halal, le voile intégral, le burkini, sont « le produit d’une nouvelle grammaire consumériste qui tend à fondre le religieux dans des préoccupations intramondaines (bien être, guérison, succès), pragmatiques, éthique (comment vivre) et identitaires. »
« Cela veut-il dire qu’une sorte d’économico-religieux succéderait, ou semble succéder, au politico-religieux ? », se demandent Alain Caillé, Philippe Chanial et François Gauthier dans la présentation du numéro. « Hypothèse particulièrement stimulante », jugent-ils. Ils insistent cependant sur la nécessité de ne pas abandonner la question politico-religieuse, mais de la reprendre à nouveau frais.
Vers une « religion séculière » démocratique ?
En se distinguant de Marcel Gauchet, le sociologue Alain Caillé soutient que le lien entre le politique et le religieux est indissoluble. Pour lui, il ne peut y avoir de politique sans religieux et réciproquement. On entend là un écho à Tocqueville, qui affirmait déjà dans De la Démocratie en Amérique : « Je doute que l’homme puisse jamais supporter à la fois une complète indépendance religieuse et une entière liberté politique ; et je suis porté à penser que s’il n’a pas la foi, il faut qu’il serve, et, s’il est libre, qu’il croit. »
Reste à savoir en quoi l’homme contemporain va croire… Au XXe siècle, le déclin des religions avait abouti à l’ersatz des « religions séculières », expression de Raymond Aron qui désignait les totalitarismes nazi et communiste. La question reste ouverte de savoir si une « autre forme de religion séculière », démocratique et fraternelle, est aujourd’hui possible en Europe. Pour nos auteurs, une religiosité du politique fait aujourd’hui défaut, avec pour conséquence l’essoufflement de l’idéal démocratique et l’échec du projet européen.
Élodie Maurot
Revue du MAUSS n°49, « Religion le retour ? Entre violence, marché et politique ». La Découverte/MAUSS, 292 p., 26 €.
Élodie Maurot,
Une vingtaine de chercheurs se penchent sur le retour de la religion dans le monde, en s’intéressant à la place du marché et de la politique dans ses recompositions.
Dans les années 1980-1990, tout semblait presque simple en sociologie de la religion. La fin des illusions et le retour de la Raison (avec un grand R) étaient annoncés. On pensait les religions héritées vouées à un déclin inexorable. Et s’il était envisagé que les croyances religieuses puissent encore jouer un rôle dans la vie privée, il était acté qu’elles n’en auraient plus dans la sphère publique…
Pourtant, trente ans plus tard, force est de constater que « le monde est toujours aussi furieusement religieux qu’il l’a toujours été, et dans certains endroits, il l’est plus encore que jamais », comme l’a écrit le célèbre sociologue américain Peter Berger. Le diagnostic d’un retour de la religion n’est certes pas nouveau, mais la revue du MAUSS apporte dans sa dernière livraison (1) une pierre intéressante à l’analyse de ce phénomène qui reste à élucider.
À LIRE AUSSI : Peter Berger, ou le pari du « retour de la religion »
Avec une vingtaine de sociologues, anthropologues et politologues, elle interroge ce retour de la religion : « Sous quelles formes ? Sur un mode de plus en plus individualiste ou, au contraire, toujours collectif ? En rupture avec les religions héritées ou dans leur continuité ? En relation avec le politique, en dehors de lui ou à côté ? » Le volume a choisi de rassembler ces interrogations selon trois axes, en s’intéressant plus particulièrement à l’islamisme, à la théorie de la religion et aux querelles sur la laïcité. Sur ce dernier point, l’article de François Gauthier sur les régimes de laïcité – qui distingue « laïcité de combat », « laïcité de coopération » et « laïcité de neutralité » – offre une utile clarification.
Déclin du politico-religieux, essor de l’économico-religieux
Dans ce numéro, il saute aux yeux que la religion se caractérise de moins en moins par son couplage avec le politique et de plus en plus par son alliance avec l’économie. Les auteurs remarquent que des pratiques comme le port du voile, la consommation halal, le voile intégral, le burkini, sont « le produit d’une nouvelle grammaire consumériste qui tend à fondre le religieux dans des préoccupations intramondaines (bien être, guérison, succès), pragmatiques, éthique (comment vivre) et identitaires. »
« Cela veut-il dire qu’une sorte d’économico-religieux succéderait, ou semble succéder, au politico-religieux ? », se demandent Alain Caillé, Philippe Chanial et François Gauthier dans la présentation du numéro. « Hypothèse particulièrement stimulante », jugent-ils. Ils insistent cependant sur la nécessité de ne pas abandonner la question politico-religieuse, mais de la reprendre à nouveau frais.
Vers une « religion séculière » démocratique ?
En se distinguant de Marcel Gauchet, le sociologue Alain Caillé soutient que le lien entre le politique et le religieux est indissoluble. Pour lui, il ne peut y avoir de politique sans religieux et réciproquement. On entend là un écho à Tocqueville, qui affirmait déjà dans De la Démocratie en Amérique : « Je doute que l’homme puisse jamais supporter à la fois une complète indépendance religieuse et une entière liberté politique ; et je suis porté à penser que s’il n’a pas la foi, il faut qu’il serve, et, s’il est libre, qu’il croit. »
Reste à savoir en quoi l’homme contemporain va croire… Au XXe siècle, le déclin des religions avait abouti à l’ersatz des « religions séculières », expression de Raymond Aron qui désignait les totalitarismes nazi et communiste. La question reste ouverte de savoir si une « autre forme de religion séculière », démocratique et fraternelle, est aujourd’hui possible en Europe. Pour nos auteurs, une religiosité du politique fait aujourd’hui défaut, avec pour conséquence l’essoufflement de l’idéal démocratique et l’échec du projet européen.
Élodie Maurot
Revue du MAUSS n°49, « Religion le retour ? Entre violence, marché et politique ». La Découverte/MAUSS, 292 p., 26 €.