La Laponie, terre d’adoption des Alhamwi
Jean-Baptiste François, envoyé spécial à Kemi (Finlande), le 24/07/2017 à 11h19 Envoyer par email
UNE NOUVELLE TERRE, UNE NOUVELLE VIE (1/5). Cette famille syrienne, à la différence de nombreux migrants accueillis en bordure du cercle polaire, ne s’est pas ruée vers le sud après l’obtention du statut de réfugié. C’est dans la petite ville de Kemi, dans le nord de la Finlande, qu’elle envisage de démarrer une nouvelle vie.
Majed et son fils Ahmad rivalisent d’arguments pour défendre leur ville d’adoption. / Jouni Porsanger pour La Croix
Le salon oriental a été soigneusement reconstitué, dans l’appartement scandinave, avec ses canapés moelleux, disposés autour de tapis ouvragés. Les Alhamwi occupent le premier étage d’un immeuble en bordure de forêt, dans la ville de Kemi, en Laponie finlandaise.
Majed, le chef de cette famille syrienne de Damas, ouvre la porte. Derrière lui se cache Ragad, la petite dernière de ce foyer de sept personnes. La seule à être née ici, vingt-huit jours seulement après leur arrivée, il y a un an et dix mois. Ils n’ont pas cherché longtemps avant de trouver le prénom. « Ragad veut dire ”vie heureuse” en arabe. Ça lui va bien à elle… et à nous aussi », sourit-il.
Les migrants qui préfèrent quitter le Grand Nord
Des 350 migrants de cette commune de 20 000 habitants, les Alhamwi sont sans doute les plus déterminés à y rester. « Tout le monde n’encaisse pas le choc de vivre ici. Beaucoup finissent par tenter leur chance plus au sud, à Helsinki », explique Virpi Pakisjärvi, en charge du premier accueil des demandeurs d’asile pour la Croix-Rouge.
On les comprend. L’hiver, la nuit pèse sur le manteau neigeux sans discontinuer. Les rafales de vent transpercent jusqu’à l’os, dans cette contrée où la mer gèle. Le mercure peut chuter à – 40 °C. Au printemps, les bouleaux restent sans feuilles jusqu’en juin. L’éclat du jour harcèle presque 24 heures sur 24. Il fait perdre la notion du temps, surtout quand on ne sait pas comment occuper ses journées.
RÉCIT : Les migrants oubliés des Balkans affrontent le froid
Le calme et les grands espaces après la guerre
Ahmad, l’aîné de la famille Alhamwi, s’est inscrit à l’université de sciences appliquées de Kemi. / Jouni Porsanger pour La Croix
Ahmad, l’aîné de la famille Alhamwi, s’est inscrit à l’université de sciences appliquées de Kemi. / Jouni Porsanger pour La Croix
Majed et son fils aîné Ahmad en ont tiré leur parti. Ils rivalisent d’arguments pour défendre leur ville d’adoption. « En Syrie, dans les montagnes autour de Damas, nous n’avions de la neige qu’un mois par an. Alors quand l’hiver est arrivé, c’était la fête », explique le père qui souligne l’excellence des écoles et du système de santé. Le fils renchérit : « Moi c’est facile, j’ai la peau claire. Je n’ai jamais aimé le soleil. Alors l’hiver, c’est ce que je préfère ! »
Sans compter les vertus du silence. « Au début, nous comptions bien déguerpir à Helsinki dès que possible. Mais après un repérage rapide là-bas, on a vite trouvé ça bruyant, agité. Nous n’avions pas mesuré à quel point, après la guerre, nous avions besoin de ce calme et de ces grands espaces », enchaîne Majed.
En Finlande, « je ne connaissais même pas le nom d’une ville »
Kemi pourtant ne fut pas une destination choisie. C’est au Caire que ce cadre commercial dans la presse s’est d’abord retranché, au tout début du conflit en Syrie avec 264 000 euros à investir. « Je me suis associé à des Égyptiens pour monter une société qui fabrique des fours à pain arabes, mais j’ai été naïf. Ils m’ont tout volé », grommelle-t-il. Sans le sou, il a fini par déposer un dossier au Haut Commissariat pour les réfugiés afin d’obtenir le statut de réfugié.
« Quand on m’a proposé une réinstallation en Finlande, je n’avais même pas le nom d’une ville, mais j’ai dit oui. Nous n’avions plus aucun avenir là-bas », poursuit Majed. À 52 ans, l’homme pleure sa ruine, celle de son pays, la désunion du monde arabe. Pas question de revenir en Syrie. La seule évocation de leur nom de famille en fait des ennemis du régime.
De l’Irak, aller toujours plus au nord
Tout le monde, néanmoins, ne supporte pas Kemi sur la durée. Les Alsaadi, une famille irakienne, par exemple. Déboutés de l’asile en première instance, ils attendent le verdict de leur appel. Mohammed a déboursé 25 000 dollars (21 700 euros) pour mettre à l’abri sa femme et leurs deux enfants. Après la traversée de la mer Égée, puis de la Grèce, ils sont allés toujours plus au nord.
« Au départ, je visais la Belgique. Je cherchais un lieu sans réfugiés, se souvient-il. J’ai pris la direction du nord jusqu’à la Suède, puis je me suis décidé à traverser la frontière pour la Finlande, où on disait qu’il y avait moins de monde qu’ailleurs. » À Kemi, la plupart des migrants ont emprunté cette route. D’autres, souvent des Afghans, sont passés en marchant par la Russie, dans la neige, engelures aux mains et aux pieds, avant que la frontière ne soit fermée.
LIRE AUSSI : Trente migrants Afghans accueillis à Serquigny
Les nuits interminables et les jours sans fin
Mohammed a la mine fatiguée. Les nuits interminables l’hiver et les jours sans fin l’été ont eu raison de son rythme biologique. Moins mobile qu’avant, il voudrait perdre du poids. « Lorsque je n’ai pas les enfants à emmener à l’école, mes “nuits”, c’est entre 2 heures du matin et midi », explique-t-il. En arrivant, il avait commencé à calfeutrer les fenêtres avec des sacs-poubelles pour s’octroyer des répits de pénombre. Des voisins ont protesté, les travailleurs sociaux leur ont installé des rideaux.
Deux choses le retiennent. La réussite de son fils Rami, qui à 10 ans a appris les bases du finnois en trois mois au lieu d’un an en moyenne pour les enfants du même âge. Il y a aussi la communauté pentecôtiste dans laquelle il a été accueilli. « Nous sommes arrivés à Kemi un dimanche sous la neige. Il n’y avait pas d’hébergement d’ouvert. Nous avons passé la première nuit dans l’église », se souvient-il, à présent converti au christianisme sans pour autant avoir convaincu son épouse. « La religion est aussi ce que les gens en font. L’islam était ma religion de culture et de cœur, mais elle a été détournée. »
La difficulté de briser la glace avec les Finlandais
Il reconnaît aussi que c’est grâce à sa paroisse qu’il s’est lié d’amitié avec Kim, Rebecca, Katja, Kallo, Andrea, alors qu’il n’est pas toujours facile de briser la glace avec les Finlandais. L’association expérimentale d’insertion sociale Mikseri (« le mixeur » en français) leur donne les ficelles pour approcher les natifs. C’est sans doute à cela que les Alhamwi doivent encore travailler.
« Notre professeur de langues nous a dit de ne pas nous inquiéter si aucun regard ne s’échangeait dans les rues. Les gens sont plus ouverts à la discussion dans les pubs ou au sauna public », explique le jeune Ahmad, qui pour l’heure n’a pas réussi à dépasser le stade de l’amitié Facebook. Pas évident, avec d’un côté une religion qui prohibe l’alcool, et de l’autre une pudeur qui marie péniblement nudité et conversation.
Comment faire Ramadan dans un pays sans nuit ?
Pour les cinq prières par jour, Ahmad et Majed s’adaptent aussi en utilisant une application avec des alertes automatiques en fonction de l’évolution du soleil. / Jouni Porsanger pour La Croix
Pour les cinq prières par jour, Ahmad et Majed s’adaptent aussi en utilisant une application avec des alertes automatiques en fonction de l’évolution du soleil. / Jouni Porsanger pour La Croix
En Laponie, appliquer les règles strictes de l’islam relève de l’exploit. Pas pour trouver de la nourriture hallal : il existe un magasin tenu par un Afghan. Ni pour trouver où prier : une mosquée a récemment ouvert ses portes. Mais faire le Ramadan est un défi à des latitudes où le jour ne cède à la nuit que vingt minutes sur 24 heures en été. Certains essaient tant bien que mal. « Il faut manger et boire à toute vitesse, ce qui déchire l’estomac » rétréci par le jeûne, témoigne Haula, une jeune Somalienne de 22 ans, le visage ceint du drapé jaune de son voile.
D’autres s’accordent plus de souplesse en se calant sur l’heure de la Turquie ou de La Mecque. Comme Ahmad et Majed. Pour les cinq prières par jour aussi, ils s’adaptent. « Nous avons des applications sur nos smartphones, Salatuk (prie) ou Athan, avec des alertes automatiques en fonction de l’évolution du soleil », expliquent-ils.
S’inscrire à l’université et apprendre le finnois
Les Alhamwi n’ont aucun mal à entrevoir leur « vie heureuse » à Kemi. Ahmad a passé un mois en stage au centre informatique de la ville, où toutes les données, tous les réseaux locaux sont regroupés. Il vient de s’inscrire à l’université locale de sciences appliquées. Il réfléchit au métier d’ingénieur.
Majed a décroché un contrat de trois mois comme traducteur au plus fort de la crise des réfugiés. Puis une autre mission d’interprète fin 2016 pour la Croix-Rouge. « Il faut encore que je progresse en finnois pour prétendre à un emploi stable », explique-t-il. Pourquoi pas un jour reprendre les affaires ?
ENTRETIEN : « Nous devons améliorer l’accueil des réfugiés irakiens en France »
La famille nourrit patiemment un rêve pour l’été prochain. « J’économise pour acheter une caravane d’occasion. Si Dieu le veut, nous ferons la route jusqu’à Disneyland, la tour Eiffel et Paris », déclare Majed sous le regard gourmand de ses enfants. Une parenthèse enchantée avant de reprendre la vie à Kemi. Un juste retour, aussi. « Jusqu’à présent, j’ai toujours été dans le camp de ceux qui donnent, pas dans celui de ceux qui reçoivent. C’est dur pour moi, avoue le chef de famille. J’ai hâte de pouvoir payer des impôts dans notre nouveau pays. »
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► La Finlande entre accueil et repli
Avec 32 476 demandeurs d’asile en 2015 pour 4,5 millions d’habitants, la Finlande a été le troisième pays le plus touché d’Europe par la crise des migrants, rapporté à sa population.
Diverses voies d’accès ont été empruntées pour arriver jusqu’en Finlande. Beaucoup d’Afghans ont passé la frontière russe, tandis que les réfugiés du Moyen-Orient ont d’abord tenté leur chance en Suède, avant de se rabattre sur la Finlande moins encombrée. D’autres sont venus en avion, par le biais d’un programme d’accueil.
En 2016, après avoir rétabli le contrôle aux frontières avec d’autres pays européens sur la route des migrants, les arrivées ont été réduites à 6 651 demandeurs d’asile. Plusieurs milliers de migrants, les Irakiens notamment, ont préféré retourner dans leur pays. Actuellement, 13 000 demandeurs d’asile pouvant prétendre à une allocation de 314 euros par mois sont présents dans les centres d’accueil du pays.
[Seuls les administrateurs ont le droit de voir ce lien] François, envoyé spécial à Kemi (Finlande)
Jean-Baptiste François, envoyé spécial à Kemi (Finlande), le 24/07/2017 à 11h19 Envoyer par email
UNE NOUVELLE TERRE, UNE NOUVELLE VIE (1/5). Cette famille syrienne, à la différence de nombreux migrants accueillis en bordure du cercle polaire, ne s’est pas ruée vers le sud après l’obtention du statut de réfugié. C’est dans la petite ville de Kemi, dans le nord de la Finlande, qu’elle envisage de démarrer une nouvelle vie.
Majed et son fils Ahmad rivalisent d’arguments pour défendre leur ville d’adoption. / Jouni Porsanger pour La Croix
Le salon oriental a été soigneusement reconstitué, dans l’appartement scandinave, avec ses canapés moelleux, disposés autour de tapis ouvragés. Les Alhamwi occupent le premier étage d’un immeuble en bordure de forêt, dans la ville de Kemi, en Laponie finlandaise.
Majed, le chef de cette famille syrienne de Damas, ouvre la porte. Derrière lui se cache Ragad, la petite dernière de ce foyer de sept personnes. La seule à être née ici, vingt-huit jours seulement après leur arrivée, il y a un an et dix mois. Ils n’ont pas cherché longtemps avant de trouver le prénom. « Ragad veut dire ”vie heureuse” en arabe. Ça lui va bien à elle… et à nous aussi », sourit-il.
Les migrants qui préfèrent quitter le Grand Nord
Des 350 migrants de cette commune de 20 000 habitants, les Alhamwi sont sans doute les plus déterminés à y rester. « Tout le monde n’encaisse pas le choc de vivre ici. Beaucoup finissent par tenter leur chance plus au sud, à Helsinki », explique Virpi Pakisjärvi, en charge du premier accueil des demandeurs d’asile pour la Croix-Rouge.
On les comprend. L’hiver, la nuit pèse sur le manteau neigeux sans discontinuer. Les rafales de vent transpercent jusqu’à l’os, dans cette contrée où la mer gèle. Le mercure peut chuter à – 40 °C. Au printemps, les bouleaux restent sans feuilles jusqu’en juin. L’éclat du jour harcèle presque 24 heures sur 24. Il fait perdre la notion du temps, surtout quand on ne sait pas comment occuper ses journées.
RÉCIT : Les migrants oubliés des Balkans affrontent le froid
Le calme et les grands espaces après la guerre
Ahmad, l’aîné de la famille Alhamwi, s’est inscrit à l’université de sciences appliquées de Kemi. / Jouni Porsanger pour La Croix
Ahmad, l’aîné de la famille Alhamwi, s’est inscrit à l’université de sciences appliquées de Kemi. / Jouni Porsanger pour La Croix
Majed et son fils aîné Ahmad en ont tiré leur parti. Ils rivalisent d’arguments pour défendre leur ville d’adoption. « En Syrie, dans les montagnes autour de Damas, nous n’avions de la neige qu’un mois par an. Alors quand l’hiver est arrivé, c’était la fête », explique le père qui souligne l’excellence des écoles et du système de santé. Le fils renchérit : « Moi c’est facile, j’ai la peau claire. Je n’ai jamais aimé le soleil. Alors l’hiver, c’est ce que je préfère ! »
Sans compter les vertus du silence. « Au début, nous comptions bien déguerpir à Helsinki dès que possible. Mais après un repérage rapide là-bas, on a vite trouvé ça bruyant, agité. Nous n’avions pas mesuré à quel point, après la guerre, nous avions besoin de ce calme et de ces grands espaces », enchaîne Majed.
En Finlande, « je ne connaissais même pas le nom d’une ville »
Kemi pourtant ne fut pas une destination choisie. C’est au Caire que ce cadre commercial dans la presse s’est d’abord retranché, au tout début du conflit en Syrie avec 264 000 euros à investir. « Je me suis associé à des Égyptiens pour monter une société qui fabrique des fours à pain arabes, mais j’ai été naïf. Ils m’ont tout volé », grommelle-t-il. Sans le sou, il a fini par déposer un dossier au Haut Commissariat pour les réfugiés afin d’obtenir le statut de réfugié.
« Quand on m’a proposé une réinstallation en Finlande, je n’avais même pas le nom d’une ville, mais j’ai dit oui. Nous n’avions plus aucun avenir là-bas », poursuit Majed. À 52 ans, l’homme pleure sa ruine, celle de son pays, la désunion du monde arabe. Pas question de revenir en Syrie. La seule évocation de leur nom de famille en fait des ennemis du régime.
De l’Irak, aller toujours plus au nord
Tout le monde, néanmoins, ne supporte pas Kemi sur la durée. Les Alsaadi, une famille irakienne, par exemple. Déboutés de l’asile en première instance, ils attendent le verdict de leur appel. Mohammed a déboursé 25 000 dollars (21 700 euros) pour mettre à l’abri sa femme et leurs deux enfants. Après la traversée de la mer Égée, puis de la Grèce, ils sont allés toujours plus au nord.
« Au départ, je visais la Belgique. Je cherchais un lieu sans réfugiés, se souvient-il. J’ai pris la direction du nord jusqu’à la Suède, puis je me suis décidé à traverser la frontière pour la Finlande, où on disait qu’il y avait moins de monde qu’ailleurs. » À Kemi, la plupart des migrants ont emprunté cette route. D’autres, souvent des Afghans, sont passés en marchant par la Russie, dans la neige, engelures aux mains et aux pieds, avant que la frontière ne soit fermée.
LIRE AUSSI : Trente migrants Afghans accueillis à Serquigny
Les nuits interminables et les jours sans fin
Mohammed a la mine fatiguée. Les nuits interminables l’hiver et les jours sans fin l’été ont eu raison de son rythme biologique. Moins mobile qu’avant, il voudrait perdre du poids. « Lorsque je n’ai pas les enfants à emmener à l’école, mes “nuits”, c’est entre 2 heures du matin et midi », explique-t-il. En arrivant, il avait commencé à calfeutrer les fenêtres avec des sacs-poubelles pour s’octroyer des répits de pénombre. Des voisins ont protesté, les travailleurs sociaux leur ont installé des rideaux.
Deux choses le retiennent. La réussite de son fils Rami, qui à 10 ans a appris les bases du finnois en trois mois au lieu d’un an en moyenne pour les enfants du même âge. Il y a aussi la communauté pentecôtiste dans laquelle il a été accueilli. « Nous sommes arrivés à Kemi un dimanche sous la neige. Il n’y avait pas d’hébergement d’ouvert. Nous avons passé la première nuit dans l’église », se souvient-il, à présent converti au christianisme sans pour autant avoir convaincu son épouse. « La religion est aussi ce que les gens en font. L’islam était ma religion de culture et de cœur, mais elle a été détournée. »
La difficulté de briser la glace avec les Finlandais
Il reconnaît aussi que c’est grâce à sa paroisse qu’il s’est lié d’amitié avec Kim, Rebecca, Katja, Kallo, Andrea, alors qu’il n’est pas toujours facile de briser la glace avec les Finlandais. L’association expérimentale d’insertion sociale Mikseri (« le mixeur » en français) leur donne les ficelles pour approcher les natifs. C’est sans doute à cela que les Alhamwi doivent encore travailler.
« Notre professeur de langues nous a dit de ne pas nous inquiéter si aucun regard ne s’échangeait dans les rues. Les gens sont plus ouverts à la discussion dans les pubs ou au sauna public », explique le jeune Ahmad, qui pour l’heure n’a pas réussi à dépasser le stade de l’amitié Facebook. Pas évident, avec d’un côté une religion qui prohibe l’alcool, et de l’autre une pudeur qui marie péniblement nudité et conversation.
Comment faire Ramadan dans un pays sans nuit ?
Pour les cinq prières par jour, Ahmad et Majed s’adaptent aussi en utilisant une application avec des alertes automatiques en fonction de l’évolution du soleil. / Jouni Porsanger pour La Croix
Pour les cinq prières par jour, Ahmad et Majed s’adaptent aussi en utilisant une application avec des alertes automatiques en fonction de l’évolution du soleil. / Jouni Porsanger pour La Croix
En Laponie, appliquer les règles strictes de l’islam relève de l’exploit. Pas pour trouver de la nourriture hallal : il existe un magasin tenu par un Afghan. Ni pour trouver où prier : une mosquée a récemment ouvert ses portes. Mais faire le Ramadan est un défi à des latitudes où le jour ne cède à la nuit que vingt minutes sur 24 heures en été. Certains essaient tant bien que mal. « Il faut manger et boire à toute vitesse, ce qui déchire l’estomac » rétréci par le jeûne, témoigne Haula, une jeune Somalienne de 22 ans, le visage ceint du drapé jaune de son voile.
D’autres s’accordent plus de souplesse en se calant sur l’heure de la Turquie ou de La Mecque. Comme Ahmad et Majed. Pour les cinq prières par jour aussi, ils s’adaptent. « Nous avons des applications sur nos smartphones, Salatuk (prie) ou Athan, avec des alertes automatiques en fonction de l’évolution du soleil », expliquent-ils.
S’inscrire à l’université et apprendre le finnois
Les Alhamwi n’ont aucun mal à entrevoir leur « vie heureuse » à Kemi. Ahmad a passé un mois en stage au centre informatique de la ville, où toutes les données, tous les réseaux locaux sont regroupés. Il vient de s’inscrire à l’université locale de sciences appliquées. Il réfléchit au métier d’ingénieur.
Majed a décroché un contrat de trois mois comme traducteur au plus fort de la crise des réfugiés. Puis une autre mission d’interprète fin 2016 pour la Croix-Rouge. « Il faut encore que je progresse en finnois pour prétendre à un emploi stable », explique-t-il. Pourquoi pas un jour reprendre les affaires ?
ENTRETIEN : « Nous devons améliorer l’accueil des réfugiés irakiens en France »
La famille nourrit patiemment un rêve pour l’été prochain. « J’économise pour acheter une caravane d’occasion. Si Dieu le veut, nous ferons la route jusqu’à Disneyland, la tour Eiffel et Paris », déclare Majed sous le regard gourmand de ses enfants. Une parenthèse enchantée avant de reprendre la vie à Kemi. Un juste retour, aussi. « Jusqu’à présent, j’ai toujours été dans le camp de ceux qui donnent, pas dans celui de ceux qui reçoivent. C’est dur pour moi, avoue le chef de famille. J’ai hâte de pouvoir payer des impôts dans notre nouveau pays. »
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► La Finlande entre accueil et repli
Avec 32 476 demandeurs d’asile en 2015 pour 4,5 millions d’habitants, la Finlande a été le troisième pays le plus touché d’Europe par la crise des migrants, rapporté à sa population.
Diverses voies d’accès ont été empruntées pour arriver jusqu’en Finlande. Beaucoup d’Afghans ont passé la frontière russe, tandis que les réfugiés du Moyen-Orient ont d’abord tenté leur chance en Suède, avant de se rabattre sur la Finlande moins encombrée. D’autres sont venus en avion, par le biais d’un programme d’accueil.
En 2016, après avoir rétabli le contrôle aux frontières avec d’autres pays européens sur la route des migrants, les arrivées ont été réduites à 6 651 demandeurs d’asile. Plusieurs milliers de migrants, les Irakiens notamment, ont préféré retourner dans leur pays. Actuellement, 13 000 demandeurs d’asile pouvant prétendre à une allocation de 314 euros par mois sont présents dans les centres d’accueil du pays.
[Seuls les administrateurs ont le droit de voir ce lien] François, envoyé spécial à Kemi (Finlande)