Le "respirianisme", ce "dangereux mouvement sectaire" qui prône le jeûne absolu
Le "respirianisme", ce "dangereux mouvement sectaire" qui prône le jeûne absolu
Image illustrant le jeûne. (Wikimediacommons)
Les "respiriens" jurent bien vivre sans boire ni manger, ou à peine. Leur "secret" ? Ils se "nourriraient" de lumière. Une dérive sectaire qui inquiète les autorités.
Barbara Krief Barbara KriefPublié le 25 juin 2017 à 10h02
Akahi Ricardo et Camila Castello, un couple de jeunes parents installé entre la Californie et l’Equateur, jurent vivre sans manger ni boire depuis des années, tout en étant en parfaite santé mentale et physique. Sur le compte Instagram de Camila, 34 ans, les photos de postures de yoga alternent avec celles de ses deux enfants, des clichés dignes d'une "mom of Instagram" (ces mères qui utilisent le réseau social pour rendre publique leur vie de famille).
A la différence que Camila assure ne pas s'être alimentée une seule fois durant les neuf mois de sa première grossesse et avoir à peine plus mangé pour la seconde. Ce qui ne l'aurait pas empêchée, à l'entendre, de donner naissance à deux enfants en "parfaite santé".
Le couple affirme même ne pas avoir ressenti la faim depuis 2008 et manger très peu, uniquement pour partager des moments avec leurs enfants à qui ils n'imposent pas leur "style de vie". Comme eux, d'autres "respiriens", "breatharian" en anglais, promettent qu'ils sont capables de se soustraire à ces besoins humains fondamentaux. Selon des témoignages, ils se "nourrissent" exclusivement de "l'alimentation cosmique" que leur apporte le "prana", terme sanskrit qui peut être traduit par "le souffle vital respirant".
Un adepte francophone raconte sur YouTube : "Ça fait treize ans que je n’ai pas mangé et je suis toujours vivant." "Le blocage principal [concernant la nourriture] est de croire que 'si on ne mange pas, on va mourir'", assure l'homme qui n'a pas l'apparence squelettique attendue. Un de leurs modèles, le yogi indien Prahlad Jani, assure même jeûner depuis 70 ans.
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Ce mouvement, baptisé le "respirianisme", est risible tant il est aberrant, mais il est néanmoins à prendre au sérieux car il est à l'origine de plusieurs morts.
"Des escrocs aux témoignages bidon"
Le "respirianisme" est porté par la gourou australienne Ellen Greve alias Jasmuheen, auteure de "Vivre de lumière : cinq ans sans nourriture matérielle". Celle qui a bâti sa fortune en affamant ses soi-disant dizaines de milliers d'adeptes vient tous les ans en Europe, en France et en Belgique notamment, pour dispenser ses sornettes devant une audience souvent fragile psychologiquement. Ses conférences et ses ouvrages inquiètent les professionnels de la santé et ceux qui luttent contre les dérives sectaires.
En Belgique, le "respirianisme" est étroitement surveillé par le Centre d’informations et d’avis sur les organisations sectaires nuisibles (CIAOSN). En France aussi, la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) reste très vigilante et affirme avoir constaté au moins une dizaine de décès liés au mouvement.
Contacté par "l'Obs", son président et médecin de formation Serge Blisko dénonce "un mouvement sectaire dangereux" sur lequel il alerte depuis des années. Presque lassé d'entendre les témoignages "bidon" des "pro-respirianisme", il met en garde contre des "escrocs" qui gagnent "énormément d'argent prêchant des bobards".
Les gourous mangent en douce
"Il est scientifiquement impossible de vivre sept ou même treize ans sans avaler le moindre aliment, et encore moins sans s'hydrater", rappelle Serge Blisko.
Les preuves de l'absurdité de la pratique ne manquent d'ailleurs pas. Du yogi indien qui n'aurait pas mangé depuis son enfance à la grande prêtresse Jasmuheen, tous les gourous "respiriens" mangent en douce pour survivre. Ce que ne savent pas toujours les adeptes endoctrinés qui finissent par mettre leur santé en danger.
Un des premiers décès liés au "respirianisme" a été constaté en 1999. Verity Linn, une Australienne de 49 ans qui suivait le programme en 21 jours de Jasmuheen, a été retrouvée morte affamée. L'effrayant rituel encore pratiqué aujourd'hui consiste à "jeûner à sec pendant la première semaine" (sans eau donc) puis à consommer uniquement de l'eau parfumée ou des jus de fruits les jours suivants.
Ce qui n'a rien à voir avec un jeûne ponctuel médicalement encadré. Pour Serge Blisko, il est important de faire le lien entre l'anorexie et les principes dispensés par le "respirianisme". D'ailleurs, si les gourous appliquaient la méthode qu'ils prônent, ils seraient sévèrement maigres et n'auraient pas l'apparence physique saine de leurs photos.
"Il suffit de voir des hommes et des femmes souffrant d'anorexie ou sortant d'une grève de la faim pour conclure de l'absurdité scientifique du 'respirianisme'", assène Serge Blisko.
Un mouvement sectaire qui dure
Considérée comme une escroc dans son pays, Jasmuheen continue à trouver de nouveaux adeptes en Europe et à gagner de l'argent sur leur santé. Notamment grâce à la visibilité, parfois sans même un avertissement, qu'offrent les médias aux nouvelles figures du mouvement. Comme ce couple récemment médiatisé qui a rappelé l'existence du "respirianisme" vieux de plus de vingt ans, déplore le président de la Miviludes.
Alors, que faire pour endiguer le mouvement ? Les conférences des gourous se tenant souvent dans des lieux privés, comme des hôtels, "il n'est pas toujours possible d'intervenir. Et raconter n'importe quoi dans un cadre privé n'est pas interdit par la loi", explique Serge Blisko.
La seule chose que la Miviludes puisse faire, c'est alerter sur la secte et demander à ce que ces conférences soient interdites aux mineurs, qui ne sont néanmoins "pas le public principal".
B.K.
Le "respirianisme", ce "dangereux mouvement sectaire" qui prône le jeûne absolu
Image illustrant le jeûne. (Wikimediacommons)
Les "respiriens" jurent bien vivre sans boire ni manger, ou à peine. Leur "secret" ? Ils se "nourriraient" de lumière. Une dérive sectaire qui inquiète les autorités.
Barbara Krief Barbara KriefPublié le 25 juin 2017 à 10h02
Akahi Ricardo et Camila Castello, un couple de jeunes parents installé entre la Californie et l’Equateur, jurent vivre sans manger ni boire depuis des années, tout en étant en parfaite santé mentale et physique. Sur le compte Instagram de Camila, 34 ans, les photos de postures de yoga alternent avec celles de ses deux enfants, des clichés dignes d'une "mom of Instagram" (ces mères qui utilisent le réseau social pour rendre publique leur vie de famille).
A la différence que Camila assure ne pas s'être alimentée une seule fois durant les neuf mois de sa première grossesse et avoir à peine plus mangé pour la seconde. Ce qui ne l'aurait pas empêchée, à l'entendre, de donner naissance à deux enfants en "parfaite santé".
Le couple affirme même ne pas avoir ressenti la faim depuis 2008 et manger très peu, uniquement pour partager des moments avec leurs enfants à qui ils n'imposent pas leur "style de vie". Comme eux, d'autres "respiriens", "breatharian" en anglais, promettent qu'ils sont capables de se soustraire à ces besoins humains fondamentaux. Selon des témoignages, ils se "nourrissent" exclusivement de "l'alimentation cosmique" que leur apporte le "prana", terme sanskrit qui peut être traduit par "le souffle vital respirant".
Un adepte francophone raconte sur YouTube : "Ça fait treize ans que je n’ai pas mangé et je suis toujours vivant." "Le blocage principal [concernant la nourriture] est de croire que 'si on ne mange pas, on va mourir'", assure l'homme qui n'a pas l'apparence squelettique attendue. Un de leurs modèles, le yogi indien Prahlad Jani, assure même jeûner depuis 70 ans.
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Ce mouvement, baptisé le "respirianisme", est risible tant il est aberrant, mais il est néanmoins à prendre au sérieux car il est à l'origine de plusieurs morts.
"Des escrocs aux témoignages bidon"
Le "respirianisme" est porté par la gourou australienne Ellen Greve alias Jasmuheen, auteure de "Vivre de lumière : cinq ans sans nourriture matérielle". Celle qui a bâti sa fortune en affamant ses soi-disant dizaines de milliers d'adeptes vient tous les ans en Europe, en France et en Belgique notamment, pour dispenser ses sornettes devant une audience souvent fragile psychologiquement. Ses conférences et ses ouvrages inquiètent les professionnels de la santé et ceux qui luttent contre les dérives sectaires.
En Belgique, le "respirianisme" est étroitement surveillé par le Centre d’informations et d’avis sur les organisations sectaires nuisibles (CIAOSN). En France aussi, la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) reste très vigilante et affirme avoir constaté au moins une dizaine de décès liés au mouvement.
Contacté par "l'Obs", son président et médecin de formation Serge Blisko dénonce "un mouvement sectaire dangereux" sur lequel il alerte depuis des années. Presque lassé d'entendre les témoignages "bidon" des "pro-respirianisme", il met en garde contre des "escrocs" qui gagnent "énormément d'argent prêchant des bobards".
Les gourous mangent en douce
"Il est scientifiquement impossible de vivre sept ou même treize ans sans avaler le moindre aliment, et encore moins sans s'hydrater", rappelle Serge Blisko.
Les preuves de l'absurdité de la pratique ne manquent d'ailleurs pas. Du yogi indien qui n'aurait pas mangé depuis son enfance à la grande prêtresse Jasmuheen, tous les gourous "respiriens" mangent en douce pour survivre. Ce que ne savent pas toujours les adeptes endoctrinés qui finissent par mettre leur santé en danger.
Un des premiers décès liés au "respirianisme" a été constaté en 1999. Verity Linn, une Australienne de 49 ans qui suivait le programme en 21 jours de Jasmuheen, a été retrouvée morte affamée. L'effrayant rituel encore pratiqué aujourd'hui consiste à "jeûner à sec pendant la première semaine" (sans eau donc) puis à consommer uniquement de l'eau parfumée ou des jus de fruits les jours suivants.
Ce qui n'a rien à voir avec un jeûne ponctuel médicalement encadré. Pour Serge Blisko, il est important de faire le lien entre l'anorexie et les principes dispensés par le "respirianisme". D'ailleurs, si les gourous appliquaient la méthode qu'ils prônent, ils seraient sévèrement maigres et n'auraient pas l'apparence physique saine de leurs photos.
"Il suffit de voir des hommes et des femmes souffrant d'anorexie ou sortant d'une grève de la faim pour conclure de l'absurdité scientifique du 'respirianisme'", assène Serge Blisko.
Un mouvement sectaire qui dure
Considérée comme une escroc dans son pays, Jasmuheen continue à trouver de nouveaux adeptes en Europe et à gagner de l'argent sur leur santé. Notamment grâce à la visibilité, parfois sans même un avertissement, qu'offrent les médias aux nouvelles figures du mouvement. Comme ce couple récemment médiatisé qui a rappelé l'existence du "respirianisme" vieux de plus de vingt ans, déplore le président de la Miviludes.
Alors, que faire pour endiguer le mouvement ? Les conférences des gourous se tenant souvent dans des lieux privés, comme des hôtels, "il n'est pas toujours possible d'intervenir. Et raconter n'importe quoi dans un cadre privé n'est pas interdit par la loi", explique Serge Blisko.
La seule chose que la Miviludes puisse faire, c'est alerter sur la secte et demander à ce que ces conférences soient interdites aux mineurs, qui ne sont néanmoins "pas le public principal".
B.K.