Martha Nussbaum, philosophe spécialiste des problèmes de justice sociale, prend ici à bras le corps le débat sur l’expression des particularismes religieux dans l’espace public. Si médias, citoyens et politiques s’en inquiètent tant, c’est que, explique-t-elle, ces singularités sont perçues comme menaçantes par la majorité. Or cette peur et les rejets qu’elle entraîne entrent souvent, dans les faits, en conflit avec les principes de neutralité, de justice et de liberté religieuses défendus par les démocraties libérales, seules concernées par cette étude. Exemples canoniques : l’interdiction prise dans trois pays d’Europe (France, Belgique, Italie) contre le port de la burqa sur la voie publique, et le rejet d’autres formes de voiles à l’école et sur les lieux de travail. La position de M. Nussbaum est tranchée : aucun des arguments avancés à l’appui de ces mesures n’est justifiable, car les lois de ces pays tolèrent des tenues tout aussi couvrantes, du passe-montagne au masque de Mardi gras.
Admettons, et c’est bien pour cela qu’il y a débat permanent. Plus intéressant : l’analyse fine des hésitations de la justice américaine face aux revendications des multiples sectes de ce pays. Que ce soit de manière exceptionnelle (conception républicaine) ou par principe (conception démocrate), les singularités religieuses y trouvent en général un accueil favorable : exemption du service militaire, dérogations à l’usage de drogues illicites ou aux obligations scolaires, etc. Absents de la distribution : ceux qui ne professent aucune religion… De ce point de vue, M. Nussbaum consent que le modèle français, qui fait de la libre pensée une doctrine, est cohérent, bien qu’il autorise des discriminations de fait. L’interdiction de la burqa, qui ne fait que traduire la crainte qu’inspire l’islam radical, en est une. Cette leçon critique est certes argumentée, mais l’auteure confie exclusivement au droit et à la morale démocratiques le soin de s’adapter aux exigences religieuses.