Quand les reconstructions religieuses permettent de réécrire l’histoire
Propos recueillis par Alice Papin. - publié le 01/12/2016
Des mausolées de prophètes préislamiques et de compagnons de Mahomet sont en reconstruction sur le territoire jordanien. Derrière ces chantiers se cache une réécriture de l'histoire religieuse du pays par la monarchie hachémite, selon Norig Neveu, anthropologue à l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo), à Amman.
Le roi Abdallah a inauguré cette mosquée monumentale sur le site des Sept dormants en 2006. Elle comprend également une librairie et une salle de conférence.
Comment avez-vous découvert l'existence de ces mausolées ?
Aux prémices de ma recherche, je m'intéressais à la famille royale jordanienne et à son rapport aux lieux saints. La monarchie hachémite, qui n'a de cesse de mettre en avant son rôle religieux, a eu la mainmise sur les monuments saints de Jérusalem-Est une quinzaine d'années durant, jusqu'en 1967. Les ancêtres de la monarchie étaient aussi les anciens chérifs de La Mecque et de Médine, titre donné aux gardiens de ces lieux sacrés.
Étudier ces relations entre religieux et politique constituait un projet ambitieux pour l'étudiante en master que j'étais à l'époque. Par chance, lors de mon enquête sur place, le ministère jordanien du Waqf, en charge des fondations pieuses et qui administre les lieux saints musulmans, m'a permis de visiter ces mausolées. Rénovés dans des proportions monumentales, ils sont l'expression d’une politique importante de reconstruction d'une topologie sacrée.
Vous dénombrez une quarantaine de reconstructions sur le territoire jordanien, principalement le long de la vallée du Jourdain. À quels personnages ces mausolées rendent-ils hommage ?
Malgré les différentes formes de sainteté – de la figure du guérisseur à l'ancêtre tribal – présentes en Jordanie, les mausolées rénovés se restreignent à deux types : les compagnons de Mahomet et les prophètes préislamiques. Les compagnons sont décédés lors de batailles décisives dans le cadre de l'expansion de l’islam. Leurs sépultures, situées sur le territoire jordanien, ont fait l'objet de rénovation.
Suivant une certaine logique, les chantiers les plus monumentaux concernent les figures les plus chères à l'islam : Abu Ubayda bin al-Jarrah, l'un des dix promis au paradis, et Jaafar bin Abi Talib, frère aîné d'Ali bin Abi Talib, quatrième calife et premier imam chiite. La seconde catégorie concerne les mausolées présumés des prophètes qui précèdent l’avènement de la religion d'Allah. Celui d'Aaron, frère de Moïse, se trouve à Petra, celui Noé aux abords de la ville de Kerak. Quant à Moïse et Loth, le neveu d'Abraham, leurs mausolées se trouveraient non loin de la mer Morte.
Pourquoi l’État jordanien limite-t-il ces reconstructions à ces deux catégories de sainteté ?
Cette restriction s'inscrit dans une redéfinition normative de l'islam par la monarchie hachémite. Les pratiques pieuses entourant les lieux saints sont au cœur de débats houleux depuis le XIXe siècle. La prudence est donc de mise et il n'est nullement question de légitimer toute forme de sainteté. Pour les réformistes musulmans, le culte des saints étant une innovation, il est répréhensible. Influent dans le monde musulman, ce discours est aussi très prégnant en Jordanie, surtout parmi les jeunes générations. Aujourd'hui, il est mal vu de visiter des mausolées, signe d'un manque d'éducation religieuse, alors que les personnes âgées s'y rendaient sans se soucier du regard des autres. Pour s'accorder à ce discours, l’État jordanien désacralise ces lieux en rappelant qu'il s'agit non pas d'édifices pieux, mais des monuments liés au patrimoine religieux et historique du pays.
Si les lieux saints constituent un sujet sensible, pourquoi ont-ils été reconstruits ?
L’annexion de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est par la Jordanie, entre 1950 et 1967, a incité cet État musulman à concentrer sa politique en matière de lieux saints sur Jérusalem, censée incarner la capitale symbolique du royaume. Le dôme du Rocher et le Saint-Sépulcre sont rénovés durant cette période. Après la perte de la Cisjordanie, peu à peu, le discours national de la monarchie se recentre sur une identité transjordanienne et bédouine. Suivant cette rhétorique, le paysage jordanien est réinvesti par le symbolique, notamment le religieux. Le territoire doit, lui aussi, participer à l'écriture d'une histoire nationale propre, liée à la famille royale.
À l’instar des autres sépultures des compagnons de Mahomet, le mausolée de Jaafar bin Abi Talib, par sa présence sur le sol jordanien, démontre une filiation entre Ahl al-Bayt (la lignée des descendants du Prophète) et la monarchie hachémite. Ainsi est créée une continuité historique entre les premiers temps de l'islam et la Jordanie contemporaine. Cette ascendance religieuse, que revendique aussi le roi du Maroc, permet à la monarchie de se prêter un rôle religieux de première importance au sein du monde musulman et de légitimer son pouvoir auprès de ses citoyens.
Ces reconstructions ont-elles entraîné la destruction de formes architecturales plus anciennes ?
Les lieux saints musulmans ne dépendent pas du ministère des Antiquités et du Tourisme comme les sites chrétiens, mais du Waqf. De ce fait, les politiques de rénovation ne sont pas équivalentes. La majorité des mausolées datent probablement de la Contre-Croisade, entre le XIe et le XIIe siècle. Pour autant, sur leurs sites, les fouilles sont inexistantes. Parmi ces mausolées, on peut distinguer deux logiques de reconstruction, voire de destruction. Dans la première, la forme architecturale ancienne étant considérée comme inintéressante, rien ne sert de la préserver. Le bâtiment est détruit, au grand dam des archéologues et des historiens. L’État lance alors un appel à projets auquel répondent des architectes. Le deuxième type de reconstruction correspond à celle du mausolée de Jaafar bin Abi Talib. Dans ce dernier cas, il n'est pas question de destruction, mais de construire un édifice monumental qui regroupe tous les mausolées préexistants, édifiés au fil des siècles.
À quoi ressemblent ces mausolées aujourd'hui ?
Ce sont de vastes complexes religieux, comprenant mosquées, bibliothèques et échoppes dans le but d'être réinvestis par la population locale afin de dynamiser économiquement ces territoires ruraux. Ces monuments constituent aussi des étapes du tourisme musulman, qui s'est accru dans les années 2000, notamment par le biais de tours en bus proposés par des agences commerciales : après les visites incontournables de La Mecque, Médine et Jérusalem, le car s'arrête sur les lieux saints jordaniens.
Des restaurations ont-elles fait l'objet de contestations ?
Les populations locales n'ont pas manqué de se faire entendre. Les contestations n'ont pas lieu au moment des rénovations de l'édifice, mais lors de son réinvestissement par les croyants. L'exemple du mausolée de Jaafar bin Abi Talib mérite le détour. Au moment où le tourisme musulman s’est développé, des accords ont été passés avec l'Iran afin que des pèlerins chiites puissent se recueillir sur la sépulture du frère de leur premier imam. Ces pèlerinages se déroulaient dans le calme jusqu'à la pendaison de Saddam Hussein et l'affirmation progressive dans le monde musulman d'un discours relatif à la structuration d'un « axe chiite » traversant le Moyen-Orient, expression utilisée pour la première fois par le roi jordanien Abdallah en 2004. Suite à ces événements géopolitiques, des frictions avec les chiites ont eu lieu sur le site du mausolée, l’accès a même été empêché à des bus de pèlerins.
Existe-t-il d'autres exemples de réécriture religieuse dans le Moyen-Orient ?
Le cas d’Israël est exemplaire. Dans l’État hébreu, la construction de l'histoire nationale est entièrement basée sur l'archéologie biblique. Pour légitimer sa présence, le gouvernement cherche à tout prix des traces des premiers royaumes hébreux. Cet exemple constitue un cas d'école qui passe aussi par la destruction de la topographie de l'autre, celle des lieux saints musulmans ou chrétiens édifiés sur ces mêmes territoires. L'Arabie saoudite connaît une situation similaire. Cette fois-ci, c'est l'histoire religieuse du pays, antérieure à la construction du royaume en 1932, qui a été gommée. Pour affirmer l'islam officiel saoudien – le wahhabisme –, de nombreux tombeaux majeurs, notamment à La Mecque et Médine, ont été détruits. Auparavant, lors du hajj (le pèlerinage), des croyants venaient se recueillir sur le présumé tombeau d’Ève, figure préislamique, à Djeddah. Encore une fois, comme en Jordanie, cette pratique a été lissée et effacée pour réécrire l'histoire d'un pays et légitimer un gouvernement politique. •
Les Sept dormants : musulmans et chrétiens unis
À une vingtaine de kilomètres d'Amman, la capitale jordanienne, en direction de l'aéroport, se trouve le mausolée des Sept dormants. La légende raconte que ces sept hommes se seraient endormis plusieurs siècles dans une caverne. À leur réveil, ils auraient découvert un monde extraordinaire, qui n'est autre que la société moderne. Ce récit, partagé à la fois par la Bible et le Coran, est invoqué pour symboliser l'unité entre ces deux traditions. En Jordanie, à côté de la grotte, où les Sept dormants seraient décédés, se dresse aujourd'hui une mosquée monumentale, construite en 2006, munie d'une librairie et d'une salle de conférence. Entre ces deux lieux, des panneaux de l'Unesco rappellent l'esprit de tolérance qui traverse la période omeyyade, dynastie dont se revendique la monarchie hachémite. Nul doute, les travaux entrepris sur ce site démontrent la bienfaisance du gouvernement à l'égard des chrétiens.
Abu Ubayda bin al-Jarrah, une mosquée à la taille du compagnon
Abu Ubayda bin al-Jarrah compte parmi les dix musulmans auxquels le Prophète aurait assuré qu'ils iraient au paradis. Ce proche de Mahomet est un chef de guerre ayant commandé les armées musulmanes lors de la conquête de la Syrie. Sa place dans l'histoire musulmane justifie l’importante rénovation dont a joui son mausolée. Situé dans la vallée du Jourdain, le monument prend aujourd'hui la forme d'un complexe réunissant de multiples services : une mosquée avec une salle de prière pour les femmes, une librairie, un musée, un marché, un centre culturel avec des salles de cours, des terres agricoles et même une salle VIP pour recevoir le roi Abdallah II venant se recueillir sur ce site en hélicoptère. Ce colossal édifice permet de s'inscrire dans la descendance de Mahomet, mais aussi de créer un style architectural moderne, agrémenté de cours ombragées et de jardins, propre à la Jordanie.
http://www.lemondedesreligions.fr/une/quand-les-reconstructions-religieuses-permettent-de-reecrire-l-histoire-01-12-2016-5959_115.php
Propos recueillis par Alice Papin. - publié le 01/12/2016
Des mausolées de prophètes préislamiques et de compagnons de Mahomet sont en reconstruction sur le territoire jordanien. Derrière ces chantiers se cache une réécriture de l'histoire religieuse du pays par la monarchie hachémite, selon Norig Neveu, anthropologue à l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo), à Amman.
Le roi Abdallah a inauguré cette mosquée monumentale sur le site des Sept dormants en 2006. Elle comprend également une librairie et une salle de conférence.
Comment avez-vous découvert l'existence de ces mausolées ?
Aux prémices de ma recherche, je m'intéressais à la famille royale jordanienne et à son rapport aux lieux saints. La monarchie hachémite, qui n'a de cesse de mettre en avant son rôle religieux, a eu la mainmise sur les monuments saints de Jérusalem-Est une quinzaine d'années durant, jusqu'en 1967. Les ancêtres de la monarchie étaient aussi les anciens chérifs de La Mecque et de Médine, titre donné aux gardiens de ces lieux sacrés.
Étudier ces relations entre religieux et politique constituait un projet ambitieux pour l'étudiante en master que j'étais à l'époque. Par chance, lors de mon enquête sur place, le ministère jordanien du Waqf, en charge des fondations pieuses et qui administre les lieux saints musulmans, m'a permis de visiter ces mausolées. Rénovés dans des proportions monumentales, ils sont l'expression d’une politique importante de reconstruction d'une topologie sacrée.
Vous dénombrez une quarantaine de reconstructions sur le territoire jordanien, principalement le long de la vallée du Jourdain. À quels personnages ces mausolées rendent-ils hommage ?
Malgré les différentes formes de sainteté – de la figure du guérisseur à l'ancêtre tribal – présentes en Jordanie, les mausolées rénovés se restreignent à deux types : les compagnons de Mahomet et les prophètes préislamiques. Les compagnons sont décédés lors de batailles décisives dans le cadre de l'expansion de l’islam. Leurs sépultures, situées sur le territoire jordanien, ont fait l'objet de rénovation.
Suivant une certaine logique, les chantiers les plus monumentaux concernent les figures les plus chères à l'islam : Abu Ubayda bin al-Jarrah, l'un des dix promis au paradis, et Jaafar bin Abi Talib, frère aîné d'Ali bin Abi Talib, quatrième calife et premier imam chiite. La seconde catégorie concerne les mausolées présumés des prophètes qui précèdent l’avènement de la religion d'Allah. Celui d'Aaron, frère de Moïse, se trouve à Petra, celui Noé aux abords de la ville de Kerak. Quant à Moïse et Loth, le neveu d'Abraham, leurs mausolées se trouveraient non loin de la mer Morte.
Pourquoi l’État jordanien limite-t-il ces reconstructions à ces deux catégories de sainteté ?
Cette restriction s'inscrit dans une redéfinition normative de l'islam par la monarchie hachémite. Les pratiques pieuses entourant les lieux saints sont au cœur de débats houleux depuis le XIXe siècle. La prudence est donc de mise et il n'est nullement question de légitimer toute forme de sainteté. Pour les réformistes musulmans, le culte des saints étant une innovation, il est répréhensible. Influent dans le monde musulman, ce discours est aussi très prégnant en Jordanie, surtout parmi les jeunes générations. Aujourd'hui, il est mal vu de visiter des mausolées, signe d'un manque d'éducation religieuse, alors que les personnes âgées s'y rendaient sans se soucier du regard des autres. Pour s'accorder à ce discours, l’État jordanien désacralise ces lieux en rappelant qu'il s'agit non pas d'édifices pieux, mais des monuments liés au patrimoine religieux et historique du pays.
Si les lieux saints constituent un sujet sensible, pourquoi ont-ils été reconstruits ?
L’annexion de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est par la Jordanie, entre 1950 et 1967, a incité cet État musulman à concentrer sa politique en matière de lieux saints sur Jérusalem, censée incarner la capitale symbolique du royaume. Le dôme du Rocher et le Saint-Sépulcre sont rénovés durant cette période. Après la perte de la Cisjordanie, peu à peu, le discours national de la monarchie se recentre sur une identité transjordanienne et bédouine. Suivant cette rhétorique, le paysage jordanien est réinvesti par le symbolique, notamment le religieux. Le territoire doit, lui aussi, participer à l'écriture d'une histoire nationale propre, liée à la famille royale.
À l’instar des autres sépultures des compagnons de Mahomet, le mausolée de Jaafar bin Abi Talib, par sa présence sur le sol jordanien, démontre une filiation entre Ahl al-Bayt (la lignée des descendants du Prophète) et la monarchie hachémite. Ainsi est créée une continuité historique entre les premiers temps de l'islam et la Jordanie contemporaine. Cette ascendance religieuse, que revendique aussi le roi du Maroc, permet à la monarchie de se prêter un rôle religieux de première importance au sein du monde musulman et de légitimer son pouvoir auprès de ses citoyens.
Ces reconstructions ont-elles entraîné la destruction de formes architecturales plus anciennes ?
Les lieux saints musulmans ne dépendent pas du ministère des Antiquités et du Tourisme comme les sites chrétiens, mais du Waqf. De ce fait, les politiques de rénovation ne sont pas équivalentes. La majorité des mausolées datent probablement de la Contre-Croisade, entre le XIe et le XIIe siècle. Pour autant, sur leurs sites, les fouilles sont inexistantes. Parmi ces mausolées, on peut distinguer deux logiques de reconstruction, voire de destruction. Dans la première, la forme architecturale ancienne étant considérée comme inintéressante, rien ne sert de la préserver. Le bâtiment est détruit, au grand dam des archéologues et des historiens. L’État lance alors un appel à projets auquel répondent des architectes. Le deuxième type de reconstruction correspond à celle du mausolée de Jaafar bin Abi Talib. Dans ce dernier cas, il n'est pas question de destruction, mais de construire un édifice monumental qui regroupe tous les mausolées préexistants, édifiés au fil des siècles.
À quoi ressemblent ces mausolées aujourd'hui ?
Ce sont de vastes complexes religieux, comprenant mosquées, bibliothèques et échoppes dans le but d'être réinvestis par la population locale afin de dynamiser économiquement ces territoires ruraux. Ces monuments constituent aussi des étapes du tourisme musulman, qui s'est accru dans les années 2000, notamment par le biais de tours en bus proposés par des agences commerciales : après les visites incontournables de La Mecque, Médine et Jérusalem, le car s'arrête sur les lieux saints jordaniens.
Des restaurations ont-elles fait l'objet de contestations ?
Les populations locales n'ont pas manqué de se faire entendre. Les contestations n'ont pas lieu au moment des rénovations de l'édifice, mais lors de son réinvestissement par les croyants. L'exemple du mausolée de Jaafar bin Abi Talib mérite le détour. Au moment où le tourisme musulman s’est développé, des accords ont été passés avec l'Iran afin que des pèlerins chiites puissent se recueillir sur la sépulture du frère de leur premier imam. Ces pèlerinages se déroulaient dans le calme jusqu'à la pendaison de Saddam Hussein et l'affirmation progressive dans le monde musulman d'un discours relatif à la structuration d'un « axe chiite » traversant le Moyen-Orient, expression utilisée pour la première fois par le roi jordanien Abdallah en 2004. Suite à ces événements géopolitiques, des frictions avec les chiites ont eu lieu sur le site du mausolée, l’accès a même été empêché à des bus de pèlerins.
Existe-t-il d'autres exemples de réécriture religieuse dans le Moyen-Orient ?
Le cas d’Israël est exemplaire. Dans l’État hébreu, la construction de l'histoire nationale est entièrement basée sur l'archéologie biblique. Pour légitimer sa présence, le gouvernement cherche à tout prix des traces des premiers royaumes hébreux. Cet exemple constitue un cas d'école qui passe aussi par la destruction de la topographie de l'autre, celle des lieux saints musulmans ou chrétiens édifiés sur ces mêmes territoires. L'Arabie saoudite connaît une situation similaire. Cette fois-ci, c'est l'histoire religieuse du pays, antérieure à la construction du royaume en 1932, qui a été gommée. Pour affirmer l'islam officiel saoudien – le wahhabisme –, de nombreux tombeaux majeurs, notamment à La Mecque et Médine, ont été détruits. Auparavant, lors du hajj (le pèlerinage), des croyants venaient se recueillir sur le présumé tombeau d’Ève, figure préislamique, à Djeddah. Encore une fois, comme en Jordanie, cette pratique a été lissée et effacée pour réécrire l'histoire d'un pays et légitimer un gouvernement politique. •
Les Sept dormants : musulmans et chrétiens unis
À une vingtaine de kilomètres d'Amman, la capitale jordanienne, en direction de l'aéroport, se trouve le mausolée des Sept dormants. La légende raconte que ces sept hommes se seraient endormis plusieurs siècles dans une caverne. À leur réveil, ils auraient découvert un monde extraordinaire, qui n'est autre que la société moderne. Ce récit, partagé à la fois par la Bible et le Coran, est invoqué pour symboliser l'unité entre ces deux traditions. En Jordanie, à côté de la grotte, où les Sept dormants seraient décédés, se dresse aujourd'hui une mosquée monumentale, construite en 2006, munie d'une librairie et d'une salle de conférence. Entre ces deux lieux, des panneaux de l'Unesco rappellent l'esprit de tolérance qui traverse la période omeyyade, dynastie dont se revendique la monarchie hachémite. Nul doute, les travaux entrepris sur ce site démontrent la bienfaisance du gouvernement à l'égard des chrétiens.
Abu Ubayda bin al-Jarrah, une mosquée à la taille du compagnon
Abu Ubayda bin al-Jarrah compte parmi les dix musulmans auxquels le Prophète aurait assuré qu'ils iraient au paradis. Ce proche de Mahomet est un chef de guerre ayant commandé les armées musulmanes lors de la conquête de la Syrie. Sa place dans l'histoire musulmane justifie l’importante rénovation dont a joui son mausolée. Situé dans la vallée du Jourdain, le monument prend aujourd'hui la forme d'un complexe réunissant de multiples services : une mosquée avec une salle de prière pour les femmes, une librairie, un musée, un marché, un centre culturel avec des salles de cours, des terres agricoles et même une salle VIP pour recevoir le roi Abdallah II venant se recueillir sur ce site en hélicoptère. Ce colossal édifice permet de s'inscrire dans la descendance de Mahomet, mais aussi de créer un style architectural moderne, agrémenté de cours ombragées et de jardins, propre à la Jordanie.
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