Profession:Médiateur religieux.

Le fait religieux s'invite dans les formations universitaires

Depuis quelques années sont apparues des formations professionnelles de niveau master sur les rapports entre les religions et la société, qui répondent à la nécessité de diverses professions de s'ouvrir à ces problématiques

12/9/10 - 15 H 49 - Mis à jour le 12/9/10 - 21 H 57
«Le religieux est un sujet porteur », s'amuse Guy Trolliet. Ce « formateur dans l'interculturel », âgé de 54 ans, est lui-même fraîchement diplômé du master professionnel « Religion et société » de l'Institut d'étude des sciences religieuses (IESR), créé en 2004 en partenariat avec l'École pratique des hautes études (EPHE), à Paris.

Déjà familier du phénomène religieux dans son parcours personnel, Guy Trolliet, s'était d'abord orienté vers un master de recherche en islamologie, avant d'opter pour cette formule plus « pro », afin d'« ajouter une corde à son arc », explique-t-il.

Des cursus de recherche forment depuis longtemps sur un plan théorique des théologiens, ou des spécialistes de sociologie et d'histoire des religions. La création de masters professionnels depuis quelques années, comme à l'Institut d'études politiques (IEP) d'Aix-en-Provence en 2001, à l'IESR en 2004 ou à l'Institut catholique de Paris en 2010, répond à une autre attente : proposer à des étudiants de tous âges et d'horizons intellectuels et culturels très différents une sensibilisation au fait religieux, utile pour leur parcours professionnel. 

La nouveauté de ces formations réside dans l'interdisciplinarité. Le thème du religieux y est effectivement abordé selon différents biais. Les étudiants suivent des cours d'histoire des religions, de sociologie, d'anthropologie, de géopolitique des aires religieuses, de droit, étudiant aussi bien le christianisme, le judaïsme, l'islam, l'hindouisme, que les nouveaux mouvements religieux ou les sectes.

"RÉHABILITER LE CHAMP D'ÉTUDE DES RELIGIONS"
« Il faut réhabiliter le champ d'étude des religions comme un champ d'étude normal », milite Raphaël Lioger, responsable du master « Management interculturel et médiation religieuse » de l'IEP d'Aix-en-Provence. « Il s'agit également de prendre en compte la diffusion de la recherche et de la formation dans la société actuelle », développe de son coté Isabelle Saint-Martin, responsable du master de l'IESR.

« On a trop tendance aujourd'hui, poursuit-elle, à se soucier du religieux lorsqu'il paraît source de conflits ou de problèmes, alors qu'il faut en analyser le développement et les évolutions dans l'histoire pour comprendre ses implications dans le monde contemporain et les mettre à leur juste place. »

« Il faut aussi gérer les réalités humaines », ajoute Raphaël Lioger, soucieux de faire valoir le besoin d'experts en ce domaine sur le marché du travail. En plus de leurs cours, les élèves de son master sont amenés à effectuer des travaux de terrain auprès de groupes religieux dans le but d'acquérir une expérience du fonctionnement de ces structures, que l'on peut parfois juger hermétiques lorsque l'on n'en est pas familier. Ils sont aussi invités à suivre l'actualité des sciences des religions. Cette sensibilisation au phénomène religieux, il faut cependant, analyse Clément Pignon, étudiant au master de l'IEP, « l'intégrer dans une grille d'analyse beaucoup plus large ». Après son master, il voudrait partir travailler à l'étranger et espère que sa formation lui « donnera des outils pour aborder de nouvelles cultures ».

"LA PEUR DE LA FOI REPRÉSENTE TOUJOURS UN OBSTACLE"
Thierry-Marie Courau, chargé de la formation de second cycle « Diversité, dialogue et management » à l'Université catholique de Paris, craint cependant que l'intérêt porté pour les religions, attesté par la création de ces formations, ne méconnaisse la dimension de la foi. « Si l'on fait l'impasse sur la foi, on ne fait que tourner autour de la question de la spiritualité, sans réellement aborder les véritables enjeux, explique-t-il. Je ne suis pas sûr que la société française soit encore mûre sur cette question, à tous les niveaux : la peur de la foi représente toujours un obstacle à la compréhension de la cohérence interne des religions. »

En termes de débouchés sur le marché du travail, pour les jeunes générations qui font le pari de s'embarquer dans cette aventure, le bilan demeure mitigé. La plupart des acteurs de ces masters considèrent qu'ils constituent un atout certain dans une formation, mais « à chacun de l'intégrer et de le valoriser sur son CV », estime Clément Pignon. Si elle est un excellent complément, la formation n'a pas encore de débouché propre.

Dans tous les cas, c'est l'aspect culturel, dans toutes ses acceptions, qui semble sortir renforcé de ces initiatives. « Cela permet de renouer avec notre passé », confie Alice Provansal, 24 ans. Titulaire d'une licence d'histoire, elle a choisi de prolonger sa formation avec le « master pro » d'Aix-en-Provence, qu'elle termine cette année.

Elle n'est pas croyante, mais, dans sa famille, plusieurs personnes l'ont été et elle l'a découvert en leur expliquant ses études. Elle relie d'ailleurs volontiers son point de vue à l'« approche raisonnée des religions comme faits de civilisation » que préconisait le rapport sur « l'enseignement du fait religieux dans l'école laïque », remit en 2002 par Régis Debray, et dont l'actualité récente « montre toute la nécessité ».

 

Pierre-Olivier CAZENAVE
http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/Le-fait-religieux-s-invite-dans-les-formations-universitaires-_NG_-2010-09-12-578448

La religion fait vivre