Les béguines : des féministes «avant l’heure»
Publié le 6 décembre 2012 par Carolle Anne Dessureault
Quand on lit la vie des béguines, ces femmes libres de pensée qui se rassemblaient pour échapper au contrôle d’un couvent ou d’un mari – on ne peut qu’admirer la force de leur courage et de leur engagement.
De nos jours, des femmes qui se rassembleraient pour vivre dans une parfaite autonomie, même dans la pauvreté, dans le seul but d’être libres et d’aider les plus démunis, ne dérangeraient aucunement le système. Au contraire, on les verrait comme des bénévoles qui déchargeraient la lourdeur du système.
Au XIVe siècle, on pensait différemment. Ces femmes qui se faisaient appeler «Sœurs de la secte du Libre Esprit et de la Pauvreté Volontaire» n’obéissaient qu’à la Grande Demoiselle, et c’est tout. Le reste était affaire de conscience intérieure.
La naissance du mouvement des béguines débute au XIIe siècle. Vers 1300, le mouvement est bien organisé et se répand en Alsace, en Belgique, en Allemagne, aux Pays-Bas et en France.
En 1326, la principauté de Strasbourg est envahie par un nombre considérable de béguinages, plus de 85 dans la ville même. Chaque béguinage forme un enclos groupant des maisonnettes où des femmes pieuses, mais dangereusement émancipées, tentent l’aventure des saints. Au lieu de vœux, elles ne font que des promesses, de simples déclarations d’intention renouvelables chaque année.
Qui étaient les femmes béguines?
Des femmes qui transportaient dans l’âme un mouvement féministe «avant l’heure»!
Ces femmes qui, à l’époque, n’avaient que deux choix, soit celui de se marier (contrat de soumission) ou de rentrer au couvent (vœux de pauvreté, d’obéissance et de chasteté, cette dernière souvent confondue avec la continence), aspiraient à une autonomie économique, intellectuelle, spirituelle et sociale.
Elles ne se mariaient pas, mais ne faisaient pas de vœux de chasteté. Elles ne prononçaient aucun vœu, seulement des intentions de s’investir pendant une année, après quoi elles évalueraient la situation. Elles se considéraient libres. D’ailleurs, leur secte s’appelait «Libre Esprit». Elles étaient présentes dans plusieurs secteurs de l’économie : santé (hôpitaux, sages-femmes), l’éducation, l’artisanat (tissu,broderie d’art, tapisserie), le soin aux mourants, les enterrements.
Les béguines étaient des femmes pieuses qui se vouaient à Dieu et aux bonnes oeuvres, sans être bigotes. Elles évitaient le scandale et recherchaient la vie naturelle.
La perception des femmes à cette époque
De douteuses perceptions sur la femme! Commençons par sa Sainteté le Pape Innocent III qui, un siècle plus tôt, proclamait que la femme était un cloaque.
La valeur d’une femme à l’époque moyenâgeuse ne valait pas grand chose, puisqu’elle n’était pas perçue comme un être humain valable, mais une sorte de sous-produit.
La science des médecins définissait l’homme et la femme selon la science des causes et la thèse abstraite d’Avicennes – pour ne pas dire nébuleuse. Albert le Grand soutenait également cette thèse.
Ce qu’on pensait de l’homme :
l’homme est chaud et humide; ainsi son organisme est capable de purifier les composantes de son corps pour en faire une semence blanche, générative
le sperme de l’homme est un aliment parvenu au quatrième stade de purification
la chaleur de sa nature lui a donné le pouvoir de générateur du feu
à disséminer son sperme, l’homme épuise son cerveau, ses yeux et sa moelle
l’homme a un dégoût naturel pour le sexe. S’il cède, c’est qu’il a été tenté par la femme qui est concupiscence et danger, qui en est la seule coupable
Ce qu’on pensait de la femme :
la femme est froide et sèche; donc en manquant de feu, elle ne peut purifier les constituants de son corps
la femme ne peut atteindre que le troisième stade de purification
même avec son lait, elle ne peut le produire que si l’homme la féconde. Si son lait nourrit et permet de vivre, il n’a pas d’état génératif
la femme prend l’homme dans son esprit pour l’affaiblir, puis, dans son corps pour l’abattre.
Conclusion. Comme la femme ne fournissait que la matière indéterminée (menstruelle par le fœtus et lactée pour le nourrisson) alors que l’homme déterminait l’organisation de la vie, on voyait la femme dangereusement plus proche du chaos que l’homme! Des contorsions intellectuelles à vision étroite et subjective qui permirent de les considérer comme des sorcières, si elles osaient s’éloigner de l’obéissance aux institutions et aux hommes.
On peut aussi se demander honnêtement aujourd’hui si nos inconscients collectifs n’ont pas conservé trace de ces aberrantes croyances? Sans doute encore …
Les béguines dérangent autant l’État que l’Église – on les accuse d’hérésie