Élections américaines : Le vote très convoité des hispaniques protestants
Lauric Henneton - publié le 19/10/2012
Lauric Henneton, historien, est maître de conférences à l’Université de Versailles Saint-Quentin. Auteur d'une Histoire religieuse des Etats-Unis, (Flammarion, 2012), il analyse pour La Vie, pendant la campagne électorale américaine, l'influence des religions sur le vote américain. Cette semaine, focus sur les Latinos, les Américains issus de l'immigration hispanique, en majorité catholiques mais qui comptent aussi une forte minorité protestante.
L’hégémonie « WASP » - les protestants blancs d’origine anglo-saxonne – a vécu. Une enquête récente a montré que les protestants n’étaient plus majoritaires aux Etats-Unis et que les « non affiliés » (à ne pas confondre avec les athées !) étaient dorénavant aussi nombreux que les évangéliques blancs et les catholiques (entre 20 et 25% de la population et de l’électorat). Si les effectifs catholiques se maintiennent, par ailleurs, c’est en partie dû à la forte immigration hispanique. Les « Latinos », première minorité ethnique (16%) devant les Noirs (12%) vont grandement peser dans les prochains scrutins.
En 2010, on comptait aux Etats-Unis 50 millions de Latinos, soit 15 de plus qu’en 2000, une progression spectaculaire. Cette année, on estime à 24 millions le nombre d’Hispaniques en âge de voter, mais la participation réelle est toujours en deçà. Cependant, en 2008, ils représentaient près de 10% de l’électorat, soit autant que les électorats juif, musulman et asiatique combinés – une force de frappe que les deux grands partis seraient bien mal inspirés de négliger.
Plusieurs enquêtes ont montré que l’écart entre démocrates et républicains au sein de l’électorat latino s’était tassé entre 1996 et 2004, quand les Hispaniques avaient très majoritairement privilégié George W. Bush à John Kerry.
En 2008, Obama a emporté l’ensemble des Latinos, catholiques comme protestants. En effet, les Hispaniques ne sont pas un groupe homogène : ils sont majoritairement catholiques, mais l’électorat latino compte désormais 25% de protestants, très majoritairement évangéliques (born-again) ou charismatiques.
Cette distinction est loin d’être anecdotique. Lors des élections de mi-mandat en 2010, qui ont vu une large victoire des Républicains, les Latinos catholiques ont voté démocrate dans des proportions de 69% à 19%, alors que chez les protestants, l’écart était réduit à 45%-41%. Cette année, 73% des Hispaniques catholiques déclarent soutenir Obama (19% pour Romney), contre à peine 50% des Latinos évangéliques (39% en faveur de Romney). En d’autres termes, une protestantisation continue de l’électorat hispanique rognerait dangereusement sur un soutien indispensable des Démocrates.
L’assimilation joue un rôle essentiel. Une grande étude du Pew Hispanic Center publiée en avril dernier montre que les catholiques sont surreprésentés parmi les immigrants de la première génération (69% contre 16% de protestants). En revanche, chez les hispaniques de la troisième génération, on ne compte plus que 40% de catholiques pour 30% de protestants (et 20% d’évangéliques). Mais aussi 24% de « non affiliés », un chiffre supérieur à la moyenne nationale. Les nouveaux protestants hispaniques sont majoritairement d’anciens catholiques : on assiste donc à une forme de transfert.
Les protestants, et particulièrement les évangéliques, sont plus assidus dans leur pratique que les catholiques, qui sont globalement plus assidus que la moyenne nationale : ainsi, 70% des évangéliques assistent à un culte au moins une fois par semaine, contre 47% des catholiques hispaniques, et 36% des Américains en général. A la question « Quelle est l’importance de la religion dans votre vie ? », la réponse varie également avec l’affiliation religieuse : 66% des catholiques répondent qu’elle est « très » importante, contre 92% des évangéliques (58% de la population globale). On sait par ailleurs, que, si les Hispaniques sont globalement plus favorables que la moyenne à un Etat plus interventionniste, ils sont aussi plus conservateurs en matière de mœurs, même si c’est moins vrai pour la troisième génération et pour les 18-29 ans, qui sont favorables au droit à l’avortement dans des proportions presque exactement similaires à la moyenne nationale.
On se trouve donc face à une équation à inconnues multiples : les jeunes et la troisième génération semblent plus progressistes, mais également plus largement évangéliques, plus assidus et plus exigeants quant à l’importance de la religion, notamment dans la vie publique. Autre paramètre : les évangéliques votent plus que les catholiques.
On peut donc supposer qu’une immigration soutenue viendra s’ajouter à une population hispanique de plus en plus assimilée, protestante et ouverte à certains arguments du Parti républicain. Si, en 2012, le candidat républicain s’est montré particulièrement maladroit envers les Hispaniques, ces derniers en veulent à Barack Obama de ne pas avoir tenu ses promesses de 2008 en matière de politique migratoire. Les démocrates, s’ils restent le parti naturel des Hispaniques, ne doivent pas les considérer comme un électorat acquis.
L’équation semble particulièrement complexe pour les démocrates, d’ailleurs : ils se trouvent confrontés à la fois à des « non affiliés » de plus en plus nombreux, qui voient d’un mauvais œil l’omniprésence du religieux dans le débat politique, mais également à un électorat évangélique progressiste pour qui la religion est un facteur important de l’action sociale, et des Latinos protestants en croissance constante pour qui la religiosité est une composante essentielle chez un candidat.