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L’historiographie de la loi de séparation de 1905

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Josué

Josué
Administrateur

Péguy décrypte le totalitarisme en combattant le « combisme »

L’historiographie de la loi de séparation peine encore à mesurer l’ampleur du tournant de 1905, où l’on quitte la logique de l’État émancipateur pour celle de l’État arbitre. Pourtant, Patrick Cabanel (2007, p. 162 sq.) a posé une question essentielle : pourquoi Péguy, en 1902-1904, a-t-il pu développer des thèmes qui pourraient être regroupés dans « un recueil factice que l’on intitulerait Contre le totalitarisme qui vient [... et constituerait] un des textes les plus précoces et les plus extraordinaires qu’ait suscités, pour la comprendre et pour la dénoncer, la folie totalitaire du XXe siècle ? » Combes n’est pourtant pas Staline, Cabanel en convient volontiers. Qu’est-ce qui entraînait alors la France vers une dérive totalitaire au nom de la laïcité ? Et qu’est-ce qui a fait que cette dérive a été stoppée net et que, cent ans plus tard, on a pu célébrer la loi de 1905 comme « une loi de liberté » ?

Pour le comprendre, adoptons une perspective de sociologie politique qui examine les relations entre « État » et « parti ». Poulat (1987) fait remarquer que l’athéisme de l’URSS était moins un « athéisme d’État » que celui du Parti communiste. Cependant, l’État soviétique se trouvait au service du Parti communiste et de son idéologie. Les intérêts du parti dominaient et celui-ci était très structuré. Dans la France du début du XXe siècle, la logique de l’État émancipateur fait que la mouvance libre-penseuse joue, analogiquement, le rôle du Parti communiste. Sa vitalité et sa puissance peuvent être jaugées à partir de la « Grande journée de la libre-pensée » en faveur de la séparation, organisée à Paris et en province le 17 mai 1903.

Des manifestations eurent lieu dans des villes et aussi de toutes petites bourgades. Les discours prononcés prônaient la séparation et l’avènement du « règne de la Raison ». Ainsi, à Droux (Haute-Vienne), commune de quelques centaines d’habitants où la libre-pensée était dirigée par Jean Baubérot, grand-père d’un des deux auteurs, la motion finale demandait « que le gouvernement fasse tous ses efforts pour séparer la République française de Rome, de Calvin, de Luther et de Jérusalem » et « que la République soit débarrassée des dogmes et des superstitions » au profit de la « libre conscience laïque » (cité par Lalouette, 2005, p. 380). À Paris, au Trocadéro, se déroula la « Grande fête civique de la Raison » où défilèrent, outre les associations et publications libres-penseuses, les partis socialistes, radical et radical-socialiste, les délégations des universités populaires, les jeunesses républicaines et les loges maçonniques. . . La séparation, la référence à la laïcité des forces de gauche au pouvoir s’effectuent sous l’égide de la libre-pensée.

Dans le courant libre-penseur, il existe des forces qui établissent une équivalence entre laïcité, libre-pensée et antireligion. Elles semblent prêtes à tenter d’instrumentaliser l’État au profit des convictions libres-penseuses et, implicitement, c’est cela que Péguy a perçu. Il existe cependant des différences structurelles entre la France de ce temps-là et la future Union soviétique, qui font que paradoxalement Péguy, dans son insistance unilatérale, décrypte des totalitarismes à venir et non la situation française.

On peut rappeler trois de ces différences. D’abord, la libre-pensée est une mouvance, non un parti. Il existe en son sein de fortes divergences et beaucoup de ses dirigeants et intellectuels (de fort bonne tenue) sont « des libres-penseurs étrangers à toute foi mais respectueux des croyances religieuses », comme le note même le combatif chanoine Capéran (1935, p. 171), et comme le relèvent les historiens libres-penseurs d’aujourd’hui (Schiappa, 2005). Ensuite, il faut réhabiliter Emile Combes : ainsi que Gabriel Merle l’a montré (1995), il n’est pas le politicien sectaire et borné que certains ont décrit (par exemple Latreille et Rémond, 1964). Combes ne se laisse déborder ni par les manifestations catholiques, ni par certaines manifestations libres-penseuses [1], qu’il ne craint pas de désavouer à la Chambre (Lalouette, 1997, p. 264). Avec lui, l’État républicain reste maître du jeu. Enfin, si le risque de dérive est réel (les positions se radicalisent), malgré quelques piqûres d’épingle la démocratie parlementaire fonctionne avec ses hauts et ses bas. Et la plus forte velléité de dérive non démocratique doit être cherchée chez Delcassé, adversaire « modéré » de Combes tout en étant son ministre (Combarieu, 1932, p. 229 sq.).

La laïcité de 1905 : un équilibre des frustrations

II existe alors un conflit très profond entre des conceptions divergentes de la laïcité (ce qui montre le déni de réalité de ceux pour qui la laïcité n’a nul besoin d’être qualifiée ou typologisée). Progressivement cependant, le rapport de forces change. Les relents de l’affaire Dreyfus s’éloignent, les aspects contreproductifs de l’inflation sémantique concernant le terme de « laïcité » s’avèrent plus manifestes. La lutte anticléricale et anticongréganiste reléguait au second plan les réformes sociales et le « Bloc des gauches » ne mit guère en œuvre son programme social. Certains leaders socialistes (Briand, Jaurès, Pressensé) évoluent et vont réaliser, en 1905, une forme de séparation des Églises et de l’État presque à l’opposé de propositions de loi antérieures, y compris de celle qu’ils avaient co-signée en 1903.

Bien évaluer la loi de 1905 signifie l’étudier en la comparant à ces propositions de loi (Baubérot, 1990). Il importe également de souligner le contraste entre les échanges très vifs, tournant parfois au pugilat, bloc contre bloc, à la Chambre entre 1902 et 1904, et, une fois le principe de séparation adopté par les députés, le climat d’écoute, de dialogue qui présida en général à l’élaboration de la loi. Un centriste, Alexandre Ribot, adversaire déterminé de Combes, collabore activement à cette élaboration – de même que certains parlementaires de centre droit, opposés au principe de séparation mais ne pratiquant pas la politique du pire. En sens inverse, Maurice Allard, député socialiste, partisan d’une « séparation conforme au vieux programme républicain », retire en juin tous les amendements qu’il comptait encore déposer, car il constate, avec amertume, qu’une « majorité n’existe pas » (pour réaliser une telle séparation). Il faut dire que, depuis le début du débat, tous ses amendements ont été repoussés.

L’étude des amendements adoptés et repoussés est d’ailleurs significative (Baubérot, 2006, p. 185-194). Limitons-nous ici à un exemple d’interprétation erronée, liée à l’ignorance de ces débats. En 2010, le Haut Conseil à l’intégration propose des limites à la liberté d’expression religieuse. Après avoir interviewé son président, une journaliste écrit : « La loi de 1905 sépare l’espace public du privé, mais ne dit rien de l’espace civil [2]. Elle n’avait pas anticipé la mutation de la société, l’affirmation chaque jour plus importante des particularismes » (Le Figaro, 17 mars 2010). Quelle ignorance, dont le HCI est hélas coutumier [3] ! Les Cloches de la terre, ouvrage classique d’Alain Corbin (1994), donne au contraire une idée de l’ampleur des disputes politico-religieuses sur la maîtrise dudit « espace civil », jusqu’au plus profond des campagnes françaises du XIXe siècle. En outre, en 1905, de nombreux autres problèmes d’espace dit « civil » (par le HCI) existaient, notamment les processions religieuses et le port de la soutane sur la voie publique. La société a « muté », mais cela ne signifie nullement que les problèmes d’aujourd’hui n’ont pas de précédent.

Ainsi, à propos des processions, la Chambre adopte le 26 juin 1905 un amendement qui en libéralise la législation : elle abroge en effet les dispositions de la loi de 1802 qui interdisait les processions sur la voie publique dans toutes les communes avec plusieurs cultes. La loi municipale de 1884, dans l’article 27, donnait la responsabilité aux maires d’autoriser ou d’interdire s’il y avait atteinte à l’ordre public. Mais certains ayant fait un usage discutable de cette responsabilité, l’arrêt du Conseil d’État du 19 février 1909 indique que le trouble à l’ordre public doit être prouvé et ne saurait être constitué par l’émoi des anticléricaux devant des manifestations religieuses publiques. Cet arrêt fit jurisprudence.

L’amendement proposant l’interdiction du port de la soutane dans les lieux publics – ce vêtement était considéré comme un « emblème » plus politique que religieux et symbolisait l’enfermement du prêtre dans sa condition cléricale – est défendu au nom de la liberté des prêtres, obligés de porter l’habit noir : selon les tenants de l’amendement, le « plus grand nombre » d’entre eux espèrent une loi d’interdiction « qui les rendra libres » ; la soutane « sépare » en effet le prêtre des autres hommes, le rend « prisonnier de son milieu étroit », modifie « son attitude et par suite son état d’âme et sa pensée ». C’est pourquoi l’interdire dans les lieux publics est « une œuvre de paix » et « d’humanité » (Chabert, député radical-socialiste, 26 juin 1905). L’amendement sera repoussé à une large majorité.

Cela ne signifie pas que la loi de 1905 ait été consensuelle, contrairement à ce qu’a pu laisser croire la façon dont elle a été exaltée lors du centenaire de 2005. Au contraire, réalisant un équilibre des frustrations, la loi avait de quoi déplaire à tout le monde. Le 3 juillet, à la séance finale de la Chambre, Briand fut bien seul à louer « une loi libérale. [...] Une loi de liberté [...] qui fera honneur à la République ». De fait, l’article premier proclame que « la République assure la liberté de conscience » et « garantit le libre exercice des cultes » [4]. Mais cette loi eut, alors, plus d’adversaires et de mécontents que de partisans.

La droite et le centre, hostiles à la suppression du Concordat et du régime des « cultes reconnus » (article 2), qui marque la fin de tout caractère officiel de toute religion, votèrent contre le texte qu’ils avaient contribué à façonner. La gauche vota pour la loi, en indiquant qu’il faudrait la durcir. En septembre, le convent du Grand Orient avait souhaité la voir promulguée avant les élections de mai 1906, mais affirma nécessaire « qu’elle soit ensuite amendée par le Parlement républicain, dans un sens plus nettement laïque » (Lalouette, 2005, p. 414). Les réactions de certains catholiques face à la loi s’expliquent, moins par son contenu que par la peur qu’elle ne constitue qu’une première étape. Au contraire, ceux qui la comparèrent avec les projets antérieurs sont rassurés. Brunetière affirma que la loi « nous permet de croire ce que nous voulons » et « de pratiquer ce que nous croyons ».

L’article 4 : Locke contre l’optique de la Révolution française

La gauche ne précise pas ce qui devrait être modifié, mais on peut penser à une « exception de taille à l’interdiction de financement du culte : les aumôneries situées dans les établissements scolaires sous forme d’internat, les asiles, hospices et prisons, lieux clos dans lesquels leur présence est indispensable à l’exercice effectif de la liberté de culte » (Agier-Cabanes, 2007, p. 138). Ces aumôneries, instituées par l’article 2, manifestent une présence (facultative) de la religion dans la sphère publique institutionnelle pour mieux « garantir le libre exercice des cultes » (article premier). Il est encore plus certain que certains songent à modifier l’article 4, auquel s’étaient en vain opposés les radicaux, pourtant au pouvoir. Cet article impose à tout ministre du culte ayant la jouissance d’un édifice religieux appartenant au domaine public (la plupart des églises catholiques) de « respecter les règles d’organisation générale du culte dont il se propose d’assurer l’exercice ». C’était, commente Poulat (2010, p. 259) « reconnaître l’autorité de l’évêque sur son clergé dans son diocèse et l’autorité de Rome sur l’épiscopat ».

Contrairement à ce que prétend Jean-Paul Scot (2005, p. 240), les adversaires de l’article 4 ne sont pas forcément adeptes d’un « anticléricalisme intolérant ». Ils défendent une conception de la démocratie où l’association est perçue comme le prolongement de la liberté individuelle. Ainsi, le président de la commission parlementaire, Buisson, a œuvré pour une loi globalement libérale. « Avec la séparation, indique-t-il cependant, l’État ne connaît plus l’Église catholique en tant qu’entité ou que hiérarchie officielle », mais « des citoyens français catholiques » qui ont le droit de s’associer pour former une Église. Dans le même sens, Clemenceau ajoute que pour « faire une loi qui ne soit pas en contradiction avec les règles générales de l’Église romaine, où le pouvoir vient de haut en bas », l’article 4 se situe « en contradiction avec les règles générales de la démocratie française où le pouvoir vient de bas en haut ». La religion doit donc, dans cette perspective, s’acculturer avec la société et le catholicisme devenir, autant que faire se peut, un « catholicisme républicain ».

Au contraire, Briand, Jaurès et Pressensé se situent dans une perspective « lockéenne », où une Église doit pouvoir garder ses propres règles, notamment un pouvoir d’excommunication. La liberté collective n’est pas seulement une extension : elle constitue une dimension de la liberté individuelle, possède sa propre consistance et ses propres contraintes. La culture socialiste de ces trois hommes politiques les fait rompre avec l’optique dominante de la Révolution française. Pour eux, l’action collective (syndicale et politique) est nécessaire à l’accomplissement de l’individu. La nouveauté consiste, en rupture avec le thème de la « République menacée », à accepter d’étendre cette logique de l’action politique à la religion. Avec l’article 4, inspiré par le Royaume-Uni et les États-Unis (Larkin, 1974, p. 175 sq.), les Églises sont respectées en tant qu’entités collectives, et non comme simple juxtaposition d’individus. Les Églises possèdent des « constitutions », martela Briand dans les débats, « et notre premier devoir, à nous législateurs [...] consiste à ne rien faire qui soit une atteinte à la libre constitution de ces Églises ». Plus tard, Briand réaffirma cette conviction en précisant à ses « amis » : même s’il s’agit de « mots qui peuvent écorcher les lèvres de certains d’entre vous » (cité par Mayeur, 1966, p. 63 et 75).

La laïcité française est constituée par ce paradoxe : donner une liberté de type associatif à l’Église catholique, tout en tenant compte du fait qu’elle se pense comme une institution, avec sa hiérarchie non élective (« monarchique », disaient alors républicains et catholiques), son droit propre (le « droit canon », dont les tribunaux civils tiendront compte pour juger des affaires internes)... Cela induit deux conséquences, totalement incompatibles avec la logique du « citoyen abstrait » et la dénégation des groupements dits « intermédiaires ». D’une part, l’Église catholique, libérée de son incorporation à l’État, n’est pas sans exercer une influence politique (Déloye, 2006), comme d’ailleurs d’autres groupes, les obédiences maçonnes par exemple. D’autre part, dans des provinces peu sécularisées, comme la Bretagne, l’Église catholique (et ses relais) continue à encadrer culturellement et socialement les populations rurales, un peu à la manière du système belge ou néerlandais des piliers (Lambert, 1985 ; Lagrée, 1992). On peut regretter ces deux aspects en tant que citoyen, mais c’est le prix à payer pour éviter d’imposer la sécularisation par la laïcité, et (au bout du compte) de transformer la sécularisation en un nouvel enchantement qui serait de l’ordre d’une religion civile. C’est cette voie qu’avait suivie la Révolution française, avec le « transfert de sacralité » constitué par « la fête révolutionnaire » (Ozouf, 1976, p. 317 sq.) et le projet de créer un « homme régénéré » (Ozouf, 1989).

Josué

Josué
Administrateur

La loi de 1905 et ses suites

La loi de 1905 ne sera pas durcie. Au contraire, suite à l’interdiction faite aux catholiques par le pape de former les associations cultuelles créées par la loi (contrairement aux vœux des évêques français et, on le sait grâce à Larkin, 1974, surtout par crainte d’une contagion dans la dénonciation des concordats, suivant la théorie des dominos), elle va être encore libéralisée ; dans la logique déjà impulsée, de nouvelles lois seront votées en 1907 et 1908 (Baubérot, 2004, p. 99 sq.). Ce processus, joint à une application en douceur des lois anticongréganistes, contraste avec les mesures rigoureuses de 1901-1904 (Delpal, 2005), et il avait certes de quoi mécontenter certains laïques.

L’irritation continua après la guerre de 1914-1918, jusqu’au Bureau des cultes du ministère de l’Intérieur. En témoignent deux notes, dépouillées par Maryline Guitton (1999). La première, en 1917, estime que « la loi de séparation, en enlevant au gouvernement tout contrôle sur le recrutement du clergé », a rendu la loi de 1901 sur les congrégations [5] « à peu près inopérante à leur égard ». La seconde, de 1921, déclare que la « loi de 1905 [...] a été une loi antilaïque. Beaucoup de Républicains reconnaissent aujourd’hui l’erreur commise. Il est trop tard et jamais Rome ne voudra consentir à rétablir un concordat qui consacrait les avantages obtenus au cours de dix siècles par l’Ancien Régime sur la papauté ». « Antilaïque », certes, pour une conception autoritaire de la laïcité ! Car la loi de 1905 a créé « une situation inédite dans l’histoire de la France » ; « l’enterrement républicain du gallicanisme ». Et « ce ne sont pas ses survivances observables qui lui rendront vie » (Poulat, 2010, p. 259, 265).

Pour comprendre une telle analyse, il faut ne pas être dupe de la fanfaronnade de certains acteurs. Durant les débats parlementaires, l’un d’eux, M. Lasies, avait lancé : « La foi religieuse tient aux âmes, comme les étoiles tiennent au ciel. Eteignez-les donc si vous le pouvez ! » (15 mai 1905). Une fois la loi votée, René Viviani lui rétorque (8 novembre 1906) : « Ensemble, et d’un geste magnifique, nous avons éteint dans le ciel des lumières qu’on ne rallumera plus ! (Vifs applaudissements à gauche et à l’extrême gauche.) Voilà notre œuvre révolutionnaire. » Ce propos est souvent colporté pour indiquer que la séparation aurait été antireligieuse. Mais on le prend alors au premier degré. En fait, c’est précisément parce que la séparation n’est pas cela (malgré l’envie que certains en avaient), et aussi parce qu’on se trouve à la veille d’effectuer de nouvelles concessions [6], que Viviani fait dans l’enflure pour donner du cœur au ventre à la majorité parlementaire !

Significativement, on ne cite jamais la présentation faite par Briand, quelques semaines plus tard (21 décembre), de la loi (qui sera promulguée le 2 janvier 1907). Après avoir indiqué que l’Église catholique « a violé la loi », le ministre déclare : « Nous vous disons : pas de représailles, ni de violence, ni de brutalités inutiles ; nous venons vous demander de faire une législation telle que, quoi que fasse Rome et quelle que soit l’attitude qu’on adopte, il lui soit impossible de sortir de la légalité. Voilà notre violence et notre tyrannie (Vifs applaudissements à gauche et à l’extrême gauche) [7]. » Et au Sénat, le 28 décembre, Briand réitère ses propos : la loi « que nous vous demandons de voter aura pour effet de mettre – et c’est toute notre tactique – l’Église catholique dans l’impossibilité, même quand elle le désirerai ! d’une volonté tenace, de sortir de la légalité. Nous avons compris son jeu (Très bien ! Très bien ! à gauche). Ce qu’elle demande, c’est la seule chose que nous sommes bien décidés à lui refuser : la persécution (Nouvelles marques d’approbation et applaudissements à gauche – Protestations et murmures à droite) » (cité par Mayeur, 1966, p. 175 sq.).

Tant qu’un amalgame sera effectué entre la période 1899-1904 et la période 1905-1908, on ne comprendra rien à l’histoire de la laïcité française. Tant que l’on refusera de voir que, si le contexte idéologique de la séparation a été très conflictuel, les lois votées de 1905 à 1908 ont su prendre une distance structurelle avec ce contexte, on restera dans une optique de méconnaissance – qu’on critique (essentiellement hors de France) ou qu’on loue (dans un consensus faux) la séparation française. Mais s’il existe tant de résistances à analyser l’ambivalence de ce moment décisif de l’histoire, c’est sans doute parce qu’un tel décryptage conduirait à se poser une question que beaucoup veulent maintenir dans l’impensé : et si, par la suite, et encore maintenant, la laïcité française relevait de ce double héritage paradoxal (qui n’a pas échappé à un analyste comme Brugger, 2009), à la fois une certaine hostilité à la religion et une séparation accommodante à son égard ?

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