La maison sublime de Rouen
Par Salomon Malka - publié le 08/07/2016
Construit vers 1100 et découvert en 1976, le plus ancien monument juif de France serait aussi l’unique exemple d’école rabbinique d’époque médiévale conservé au monde.
Situé entre la place du vieux marché et le parvis de la cathédrale, entre la rue Saint-Lô et la rue aux Juifs, c’est le plus ancien monument juif de France. Découverts lors de travaux de rénovation du palais de justice en plein cœur de Rouen, ses vestiges remontent au XIIe siècle. Les origines de cet édifice en pierre demeurèrent longtemps obscures, les savants s’opposant dans d’homériques batailles pour déterminer s’il s’agissait des restes d’une synagogue, d’une école rabbinique ou de la demeure d’un notable juif des environs.
En août 1976, alors qu’on était en train de paver la cour d’honneur du palais de justice, la grue se heurta à une grosse pierre et révéla tout une construction enfouie sous terre. Des fouilles archéologiques furent menées et l’on découvrit des graffitis en hébreu, dont un morceau de citation biblique tirée du Livre des rois : « Que cette maison soit sublime. » On baptisa le monument « Maison sublime ».
Dès sa découverte, les thèses s’affrontèrent. Synagogue ? Résidence privée ? école talmudique ? Norman Golb, un Américain qui s’était déjà illustré dans des controverses antérieures autour du site de Qumran et des manuscrits de la mer Morte, professeur de l’université de Chicago, se lança dans la polémique. Il soutint qu’il s’agissait d’un institut rabbinique. Il eut contre lui toute une théorie de chercheurs du CNRS. Mais il finit par enlever le morceau à cause d’un détail.
Un rayonnement dans toute l’Europe
On fit observer que le bâtiment comportait un escalier intérieur. Or, dans une synagogue, l’escalier est toujours à l’extérieur, pour ne pas perturber les offices. Ce serait donc une yeshiva, mais pas n’importe laquelle : une sorte d’académie qui aurait rayonné sur la Normandie et l’ensemble de l’Europe, attirant étudiants, exégètes, érudits. Ici, auraient enseigné le Champenois Rashbam (Samuel Ben-Méir), petit-fils de Rachi, et l’Andalou Ibn Ezra. C’est la seule yeshiva médiévale au monde dont on ait conservé les vestiges.
Natif de Rouen, économiste et historien d’art, Jacques-Sylvain Klein a été adjoint au maire de 1995 à 2000. Il est l’auteur deNormandie, berceau de l’impressionnisme, assure le commissariat du festival local et a consacré un ouvrage à La Maison sublime : l’école rabbinique et le royaume juif de Rouen (Point de vues, 2006), où il raconte comment une communauté juive s’est implantée en Normandie dès l’époque gallo-romaine, comment un « royaume juif » de Rouen a été mis en place par le pouvoir carolingien et comment l’influence de cette école a essaimé aux quatre coins de l’Europe.
Les Juifs de Normandie
Les premiers Juifs sont arrivés avec les colonisateurs romains, dans les premiers siècles de notre ère. Le quartier juif se trouvait au centre de la ville, non loin de là où se trouve actuellement la cathédrale avec sa flèche immense - la plus haute flèche de France - et dont la façade a inspiré la série des 28 toiles de Monnet, immortalisant le monument à toutes les heures du jour et de la nuit.
Entre 5 000 et 6 000 Juifs vivaient là, ce qui constituait 15 à 20 % de la population locale. Ils étaient commerçants, artisans, agriculteurs, vignerons - comme Rachi de Troyes. Selon Jacques-Sylvain Klein, la cohabitation entre Juifs et chrétiens se passe plutôt bien à l’époque, jusqu’à la période des croisades en tout cas. L’école aurait été construite à peu près à la même époque que la cathédrale et par le même architecte que celui de l’abbaye Saint-Georges de Saint-Martin de Boscheville - la forme des colonnes et des murs est la même. Après l’expulsion des Juifs en 1306 par Philippe le Bel, le quartier juif rouennais est vendu à la ville, et en lieu et place de l’école rabbinique, on a fait construire le palais de justice. En 1977, la yeshiva est classée monument historique. Une association se crée, dotée d’un site Internet, avec l’intention de mettre en valeur les lieux, d’en faire un musée avec des expositions sur les Juifs de Normandie au Moyen-âge.
La Maison sublime est désormais ouverte au public mais doit subir d'important travaux afin d'assurer sa conservation et sa restauration. Aussi, la Fondation du patrimoine, le ministère de la Justice et l’association La Maison Sublime de Rouen lancent une vaste campagne d’appel aux dons en faveur de la restauration de ce monument exceptionnel depuis le 14 juin 2016 ( https://www.fondation-patrimoine.org/fr/haute-normandie-11/tous-les-projets-550/detail-la-maison-sublime-de-rouen-33076 ).
Ces textes figurent dans notre hors-série numéro 16 « Les hauts lieux spirituels, 50 sites sacrés en France
Par Salomon Malka - publié le 08/07/2016
Construit vers 1100 et découvert en 1976, le plus ancien monument juif de France serait aussi l’unique exemple d’école rabbinique d’époque médiévale conservé au monde.
Situé entre la place du vieux marché et le parvis de la cathédrale, entre la rue Saint-Lô et la rue aux Juifs, c’est le plus ancien monument juif de France. Découverts lors de travaux de rénovation du palais de justice en plein cœur de Rouen, ses vestiges remontent au XIIe siècle. Les origines de cet édifice en pierre demeurèrent longtemps obscures, les savants s’opposant dans d’homériques batailles pour déterminer s’il s’agissait des restes d’une synagogue, d’une école rabbinique ou de la demeure d’un notable juif des environs.
En août 1976, alors qu’on était en train de paver la cour d’honneur du palais de justice, la grue se heurta à une grosse pierre et révéla tout une construction enfouie sous terre. Des fouilles archéologiques furent menées et l’on découvrit des graffitis en hébreu, dont un morceau de citation biblique tirée du Livre des rois : « Que cette maison soit sublime. » On baptisa le monument « Maison sublime ».
Dès sa découverte, les thèses s’affrontèrent. Synagogue ? Résidence privée ? école talmudique ? Norman Golb, un Américain qui s’était déjà illustré dans des controverses antérieures autour du site de Qumran et des manuscrits de la mer Morte, professeur de l’université de Chicago, se lança dans la polémique. Il soutint qu’il s’agissait d’un institut rabbinique. Il eut contre lui toute une théorie de chercheurs du CNRS. Mais il finit par enlever le morceau à cause d’un détail.
Un rayonnement dans toute l’Europe
On fit observer que le bâtiment comportait un escalier intérieur. Or, dans une synagogue, l’escalier est toujours à l’extérieur, pour ne pas perturber les offices. Ce serait donc une yeshiva, mais pas n’importe laquelle : une sorte d’académie qui aurait rayonné sur la Normandie et l’ensemble de l’Europe, attirant étudiants, exégètes, érudits. Ici, auraient enseigné le Champenois Rashbam (Samuel Ben-Méir), petit-fils de Rachi, et l’Andalou Ibn Ezra. C’est la seule yeshiva médiévale au monde dont on ait conservé les vestiges.
Natif de Rouen, économiste et historien d’art, Jacques-Sylvain Klein a été adjoint au maire de 1995 à 2000. Il est l’auteur deNormandie, berceau de l’impressionnisme, assure le commissariat du festival local et a consacré un ouvrage à La Maison sublime : l’école rabbinique et le royaume juif de Rouen (Point de vues, 2006), où il raconte comment une communauté juive s’est implantée en Normandie dès l’époque gallo-romaine, comment un « royaume juif » de Rouen a été mis en place par le pouvoir carolingien et comment l’influence de cette école a essaimé aux quatre coins de l’Europe.
Les Juifs de Normandie
Les premiers Juifs sont arrivés avec les colonisateurs romains, dans les premiers siècles de notre ère. Le quartier juif se trouvait au centre de la ville, non loin de là où se trouve actuellement la cathédrale avec sa flèche immense - la plus haute flèche de France - et dont la façade a inspiré la série des 28 toiles de Monnet, immortalisant le monument à toutes les heures du jour et de la nuit.
Entre 5 000 et 6 000 Juifs vivaient là, ce qui constituait 15 à 20 % de la population locale. Ils étaient commerçants, artisans, agriculteurs, vignerons - comme Rachi de Troyes. Selon Jacques-Sylvain Klein, la cohabitation entre Juifs et chrétiens se passe plutôt bien à l’époque, jusqu’à la période des croisades en tout cas. L’école aurait été construite à peu près à la même époque que la cathédrale et par le même architecte que celui de l’abbaye Saint-Georges de Saint-Martin de Boscheville - la forme des colonnes et des murs est la même. Après l’expulsion des Juifs en 1306 par Philippe le Bel, le quartier juif rouennais est vendu à la ville, et en lieu et place de l’école rabbinique, on a fait construire le palais de justice. En 1977, la yeshiva est classée monument historique. Une association se crée, dotée d’un site Internet, avec l’intention de mettre en valeur les lieux, d’en faire un musée avec des expositions sur les Juifs de Normandie au Moyen-âge.
La Maison sublime est désormais ouverte au public mais doit subir d'important travaux afin d'assurer sa conservation et sa restauration. Aussi, la Fondation du patrimoine, le ministère de la Justice et l’association La Maison Sublime de Rouen lancent une vaste campagne d’appel aux dons en faveur de la restauration de ce monument exceptionnel depuis le 14 juin 2016 ( https://www.fondation-patrimoine.org/fr/haute-normandie-11/tous-les-projets-550/detail-la-maison-sublime-de-rouen-33076 ).
Ces textes figurent dans notre hors-série numéro 16 « Les hauts lieux spirituels, 50 sites sacrés en France