France, (de nouveau) terre de mission ?
MAHAUT HERRMANN
CRÉÉ LE 31/03/2016 / MODIFIÉ LE 01/04/2016 À 16H25
Un missionnaire nommé évêque en France : le choix n’est pas passé inaperçu. Difficile pour l’heureux élu, Mgr Georges Colomb, supérieur général des Missions étrangères de Paris, nommé le 9 mars à La Rochelle, de résister à une interprétation qui semble s'imposer : « La France est bel et bien un pays de mission car la foi n’y est plus transmise » (entretien avec Églises d'Asie). Et voilà les chrétiens français une fois de plus bousculés dans leur confort spirituel. La France, « fille aînée de l’Église », serait donc une terre de mission au même titre, par exemple, que l’Asie du Sud-Est.
« Les chiffres sont parlants : moins de 5% des Français se disent pratiquants », constate froidement Raphaël Cornu-Thénard, président du mouvement d’évangélisation Anuncio. « Même en comptant les grandes fêtes où les assemblées sont plus nombreuses, on n’arrive qu’à un petit 10% de Français qui ont une forme de fréquentation de l’Eglise. 90% de nos concitoyens sont donc une « terre de mission » ! » L’image de la mission dans des contrées lointaines appartient donc au passé. S’il est vrai que lorsqu’on pense à la mission, « on pense souvent à des pays lointains », explique le père Frédéric Fornos s.j., directeur International du Réseau Mondial de Prière du Pape et du MEJ, « Vatican II a renouvelé la conception de la mission : le document Ad Gentes présente toute l’Église comme missionnaire, ce qui a eu pour conséquence de revaloriser la présence missionnaire de chaque Église locale dans son propre pays. Ce n’est plus seulement le critère géographique qui prime ».
Déjà en 1943 un rapport fameux, « La France, pays de mission ? », constatait la profonde déchristianisation des ouvriers. « Le diagnostic qui avait été posé à l’époque vaut aujourd'hui avec autant de force et peut-être plus encore », estime le blogueur Koz. D’autant plus « qu’un certain milieu catholique oscille entre dramatisation et illusion sur l'état du christianisme en France. » Cette vision n’est pas propre au catholicisme. Selon Gilles Boucomont, pasteur du Temple du Marais (EPUF), « quand le Christ laisse le message d’aller jusqu’aux extrémités de la terre, nous pensons à l’œuvre missionnaire gagnant chaque nation. Mais aujourd’hui ce sont les gens de nos quartiers qui sont les extrémités de la terre ». « Les spirituels disent même que les extrémités de la terre sont à l’intérieur de nous : tant de territoires non conquis par l’Évangile... », ajoute-t-il. L’approche mérite toutefois quelques nuances. « Il ne faut pas s’approcher des gens comme s’il y avait une ignorance globale de l’Évangile », juge Daniel Liechti, vice-président du Conseil national des évangéliques de France, « mais, avec empathie, regarder leurs besoins spirituels ».
Quelles sont donc les priorités de la mission en France ? L’urgence absolue, pour le journaliste et essayiste Patrice de Plunkett, est de redécouvrir l’essence du christianisme. « Beaucoup de Français confondent le christianisme non seulement avec une morale, mais avec une morale hypocrite que les scandales de pédophilie achèveraient de disqualifier ; le résultat est qu'ils considèrent les catholiques comme une survivance fâcheuse et vouée à disparaître... », analyse-t-il. Daniel Liechti abonde en ce sens : « quand nous annonçons l’Évangile, nous constatons que beaucoup de gens pensent déjà avoir entendu le message chrétien mais le confondent avec une espèce de code plus ou moins intéressant, plus ou moins désuet ». Une situation dans laquelle les croyants ont leur part de responsabilité : « certains "cathos" ne s'en rendent pas compte et croient reconquérir la France : ils font l'effet de zombies, selon le mot cruel d'Emmanuel Todd », affirme Patrice de Plunkett.
Autre impératif : sortir d’un entre-soi confortable et endormi. Alex Lauriot-Prévost, délégué diocésain à la nouvelle évangélisation du diocèse d’Avignon avec sa femme Maud, voit « une condition pour que la mission se développe en France » : « réveiller l’esprit et la ferveur missionnaire de nos paroisses, de nos mouvements, des diocèses, des pratiquants, des plus engagés ». Le but ? « "Sortir", aller vers les "périphéries", rayonner et confesser l’Évangile afin de le rendre ‘contagieux et attractif’, comme dit le pape François. » Les catholiques français fonctionnent en vase clos. « Notre monde est tout petit, et nous retrouvons sans cesse les mêmes personnes de paroisses en pèlerinages et cercles de réflexion, sans parler des manifestations », remarque Koz. « Le pape a parlé d'une Église auto-référentielle, mais ne pourrions-nous pas parler de fidèles auto-référentiels ? », demande-t-il. Et le blogueur de s’interroger. « Il y a certes des initiatives intéressantes mais combien de fois ne s'adresse-t-on qu'aux proches et semblables, voire à soi-même par d'éternelles formations personnelles ? »
Pour autant, le tableau n’est pas tout noir. Fort de son expérience, Raphaël Cornu-Thénard se veut optimiste. « Nous constatons que de nombreuses personnes rencontrées ont soif de Dieu et attendent plus ou moins consciemment qu’on leur annonce qu’ils sont aimés de Dieu », explique-t-il. « Face à cette soif, il y a heureusement une prise de conscience et un réveil missionnaire de l’Eglise : de plus en plus de paroisses demandent à se former à l’évangélisation directe. L’Église qui jusqu’à présent développait des pastorales de préservation principalement orientées vers les pratiquants se tourne aujourd’hui vers ce peuple qui cherche Dieu. » Pour lui, « l’Église en France semble admettre que la France est redevenu un pays de première annonce de la foi, une terre de mission ».
Reste une question. La mission chrétienne est-elle une activité spécifique des communautés ou est-elle le cœur de la vie chrétienne ? « L’évangélisation devrait spontanément émaner de notre vie, des chrétiens individuels au travail ou dans leurs études, et de l’église dans tout ce qu’elle fait au niveau de son culte, de ses réunions », estime Daniel Liechti. « Tout cela devrait être une expression de l’Évangile. » Sa conclusion est sans appel : « plutôt que faire de l’évangélisation, nous devrions être une évangélisation ».
http://www.lavie.fr/debats/chretiensendebats/france-de-nouveau-terre-de-mission-31-03-2016-71935_431.php
MAHAUT HERRMANN
CRÉÉ LE 31/03/2016 / MODIFIÉ LE 01/04/2016 À 16H25
Un missionnaire nommé évêque en France : le choix n’est pas passé inaperçu. Difficile pour l’heureux élu, Mgr Georges Colomb, supérieur général des Missions étrangères de Paris, nommé le 9 mars à La Rochelle, de résister à une interprétation qui semble s'imposer : « La France est bel et bien un pays de mission car la foi n’y est plus transmise » (entretien avec Églises d'Asie). Et voilà les chrétiens français une fois de plus bousculés dans leur confort spirituel. La France, « fille aînée de l’Église », serait donc une terre de mission au même titre, par exemple, que l’Asie du Sud-Est.
« Les chiffres sont parlants : moins de 5% des Français se disent pratiquants », constate froidement Raphaël Cornu-Thénard, président du mouvement d’évangélisation Anuncio. « Même en comptant les grandes fêtes où les assemblées sont plus nombreuses, on n’arrive qu’à un petit 10% de Français qui ont une forme de fréquentation de l’Eglise. 90% de nos concitoyens sont donc une « terre de mission » ! » L’image de la mission dans des contrées lointaines appartient donc au passé. S’il est vrai que lorsqu’on pense à la mission, « on pense souvent à des pays lointains », explique le père Frédéric Fornos s.j., directeur International du Réseau Mondial de Prière du Pape et du MEJ, « Vatican II a renouvelé la conception de la mission : le document Ad Gentes présente toute l’Église comme missionnaire, ce qui a eu pour conséquence de revaloriser la présence missionnaire de chaque Église locale dans son propre pays. Ce n’est plus seulement le critère géographique qui prime ».
Déjà en 1943 un rapport fameux, « La France, pays de mission ? », constatait la profonde déchristianisation des ouvriers. « Le diagnostic qui avait été posé à l’époque vaut aujourd'hui avec autant de force et peut-être plus encore », estime le blogueur Koz. D’autant plus « qu’un certain milieu catholique oscille entre dramatisation et illusion sur l'état du christianisme en France. » Cette vision n’est pas propre au catholicisme. Selon Gilles Boucomont, pasteur du Temple du Marais (EPUF), « quand le Christ laisse le message d’aller jusqu’aux extrémités de la terre, nous pensons à l’œuvre missionnaire gagnant chaque nation. Mais aujourd’hui ce sont les gens de nos quartiers qui sont les extrémités de la terre ». « Les spirituels disent même que les extrémités de la terre sont à l’intérieur de nous : tant de territoires non conquis par l’Évangile... », ajoute-t-il. L’approche mérite toutefois quelques nuances. « Il ne faut pas s’approcher des gens comme s’il y avait une ignorance globale de l’Évangile », juge Daniel Liechti, vice-président du Conseil national des évangéliques de France, « mais, avec empathie, regarder leurs besoins spirituels ».
Quelles sont donc les priorités de la mission en France ? L’urgence absolue, pour le journaliste et essayiste Patrice de Plunkett, est de redécouvrir l’essence du christianisme. « Beaucoup de Français confondent le christianisme non seulement avec une morale, mais avec une morale hypocrite que les scandales de pédophilie achèveraient de disqualifier ; le résultat est qu'ils considèrent les catholiques comme une survivance fâcheuse et vouée à disparaître... », analyse-t-il. Daniel Liechti abonde en ce sens : « quand nous annonçons l’Évangile, nous constatons que beaucoup de gens pensent déjà avoir entendu le message chrétien mais le confondent avec une espèce de code plus ou moins intéressant, plus ou moins désuet ». Une situation dans laquelle les croyants ont leur part de responsabilité : « certains "cathos" ne s'en rendent pas compte et croient reconquérir la France : ils font l'effet de zombies, selon le mot cruel d'Emmanuel Todd », affirme Patrice de Plunkett.
Autre impératif : sortir d’un entre-soi confortable et endormi. Alex Lauriot-Prévost, délégué diocésain à la nouvelle évangélisation du diocèse d’Avignon avec sa femme Maud, voit « une condition pour que la mission se développe en France » : « réveiller l’esprit et la ferveur missionnaire de nos paroisses, de nos mouvements, des diocèses, des pratiquants, des plus engagés ». Le but ? « "Sortir", aller vers les "périphéries", rayonner et confesser l’Évangile afin de le rendre ‘contagieux et attractif’, comme dit le pape François. » Les catholiques français fonctionnent en vase clos. « Notre monde est tout petit, et nous retrouvons sans cesse les mêmes personnes de paroisses en pèlerinages et cercles de réflexion, sans parler des manifestations », remarque Koz. « Le pape a parlé d'une Église auto-référentielle, mais ne pourrions-nous pas parler de fidèles auto-référentiels ? », demande-t-il. Et le blogueur de s’interroger. « Il y a certes des initiatives intéressantes mais combien de fois ne s'adresse-t-on qu'aux proches et semblables, voire à soi-même par d'éternelles formations personnelles ? »
Pour autant, le tableau n’est pas tout noir. Fort de son expérience, Raphaël Cornu-Thénard se veut optimiste. « Nous constatons que de nombreuses personnes rencontrées ont soif de Dieu et attendent plus ou moins consciemment qu’on leur annonce qu’ils sont aimés de Dieu », explique-t-il. « Face à cette soif, il y a heureusement une prise de conscience et un réveil missionnaire de l’Eglise : de plus en plus de paroisses demandent à se former à l’évangélisation directe. L’Église qui jusqu’à présent développait des pastorales de préservation principalement orientées vers les pratiquants se tourne aujourd’hui vers ce peuple qui cherche Dieu. » Pour lui, « l’Église en France semble admettre que la France est redevenu un pays de première annonce de la foi, une terre de mission ».
Reste une question. La mission chrétienne est-elle une activité spécifique des communautés ou est-elle le cœur de la vie chrétienne ? « L’évangélisation devrait spontanément émaner de notre vie, des chrétiens individuels au travail ou dans leurs études, et de l’église dans tout ce qu’elle fait au niveau de son culte, de ses réunions », estime Daniel Liechti. « Tout cela devrait être une expression de l’Évangile. » Sa conclusion est sans appel : « plutôt que faire de l’évangélisation, nous devrions être une évangélisation ».
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