Mohamed Bajrafil : "L'islam est par essence laïque"
Propos recueillis par Maïté Darnault - publié le 29/10/2015
Dans son dernier ouvrage, Islam de France, l'an I – Il est temps d'entrer dans le XXIe siècle (éditions Plein Jour), l'imam d'Ivry-sur-Seine, natif des Comores, dénonce les amalgames qui entravent selon lui la communauté musulmane et décrypte les enjeux d'un islam de France en devenir, où la foi s'érigerait en une école d'autonomie. Le viatique de ce docteur en linguistique, enseignant à l'université Paris-XII : l'érudition à l'épreuve de la « glaciation » des pensées. Il répond aux questions du Monde des religions.
Exceptionnellement, pour vous faire découvrir la lettre Laïcité & Religions, la rédaction vous propose de lire cet entretien exclusif de Mohamed Bajrafil, imam d'Ivry-sur-Seine.
Mohamed Bajrafil part d'un constat : en France, depuis janvier 2015, « parler d'islam est devenu une entreprise des plus périlleuses ». Cet imam progressiste d'Île-de-France se lance pourtant, sans complaisance, dans un plaidoyer contre l'ignorance de tous bords. Il consacre d'abord un chapitre, clair et étayé, à « l'islam pour les nuls ». Les nuls, ce sont de son point de vue autant ces musulmans pensant « qu'on peut connaître exhaustivement la parole divine » (alors que cela « revient à trahir l'esprit même du Coran et, donc, en un mot, à renoncer à l'islam »), que ces politiques français, dont certains attisent la « laïcite » ambiante, et à qui Mohamed Bajrafil préconise un « Smic », un « savoir minimum indispensable à une conversation ». Car comment prétendre gouverner 6 à 8 millions de ses concitoyens, s'interroge l'imam, quand on ignore tout de leur culture ?
Ainsi, Mohamed Bajrafil ne se contente pas de prendre à partie sa communauté, en particulier les plus jeunes, c'est la France qu'il apostrophe dans un appel vibrant : « Tu es grande par ta capacité à faire tiennes toutes les vagues migratoires qui t'ont sillonnée, écrit-il, sans jamais exiger d'elles qu'elles abandonnent ce qu'elles ont possédé avant de venir à toi. […] Tu n'assimiles pas : tu accumules. […] En cela, tu es le monde. » Un monde « à la croisée des chemins », dit-il, où « tout est encore possible, le meilleur comme le pire : il s'agit de ne pas se tromper ».
De quelle manière démontez-vous les fantasmes nourris au sujet du « califat » ?
Il n'y a pas de système politique prescrit dans le Coran ni dans la tradition du Prophète, même si on voit par la suite des gens essayant d’en rendre un inéluctable dans la vie des musulmans, en prenant au pied de la lettre certains propos apparentés au Prophète, en en sur-glosant d’autres, ou parfois en créant des choses de toutes pièces.
En arabe, le mot « khalîfa » signifie soit « celui que l'on a mis à la place de », soit « celui qui succède à ». Il est utilisé dans le Coran pour désigner, entre autres sens, le vicaire de Dieu sur Terre, dans l'un des versets qui parlent du début de la vie du Patriarche, Adam. Mais le sens politique qui va lui être donné plus tard était inconnu, même desdits compagnons au lendemain de la mort du Prophète. La preuve la plus éloquente est que quand le Prophète décède, les compagnons se trouvent dans un imbroglio des plus kafkaïens. Il y a alors trois factions créées, ce qui témoigne du fait que le Prophète en mourant n'a donné aucune consigne quant à la façon d'organiser sa succession, ni parlé d’un système politique particulier.
J'interprète cela comme la porte ouverte à tout système politique, à condition que ceux qui vont y vivre se mettent d'accord. Je ne soutiens pas l’anarchie politique : dans toute organisation sociale donnée, un dirigeant est toujours nécessaire. Cela peut s'appeler présidence, royauté, etc. Mon propos vise à démontrer que le califat ne repose pas sur quelque chose de sacré, c'est un système qui a pu fonctionner ou qui a correspondu à un moment donné, et qui me semble tout bonnement caduque au vu des réalités d'aujourd'hui.
Vous rappelez que le mot charia signifie d'abord « la voie, le chemin » et vous dîtes que « la France réalise beaucoup mieux la charia que certains pays musulmans », pourquoi ?
Employé de manière littérale, la charia désigne le chemin qu'emprunte un cours d'eau d'un point A à un point B. Dieu va utiliser cette expression pour montrer au Prophète qu'il s'engage dans un chemin censé amener l'individu d'un point A, la satisfaction des passions, à un point B, la satisfaction de son Créateur. De là, découle le deuxième sens, donné par les principologistes de l'islam : la charia est miséricorde dans son ensemble.
A partir de là, les principologistes ont décelé cinq objectifs : la protection de la vie humaine, la liberté de croire ou de ne pas croire, le droit à la propriété privée, le libre-arbitre et la perpétuation de l'espèce. Dans quel pays à majorité musulmane ces objectifs peuvent-ils être atteints pour l'individu autant qu'ils peuvent l'être en France ? On a fait de la charia une caricature reposant sur l'exécution des peines, or le Coran nous dit : « Dans l'exécution des peines, il y a la vie. » Le but est clairement de sauver des vies, dans et par l’exécution d’une peine donnée. Pas de les enlever. Ce qui se passe aujourd’hui, c’est qu’on a fait du moyen, l’exécution des peines, la finalité, alors que la finalité est autre, est ailleurs.
Du coup, quand on entend parler d'application de la charia, ça signifie couper des têtes, des mains, alors que la charia est faite pour que l'homme vive mieux. Les allocations familiales, c'est la charia. Aller à l'école, c'est la charia. Que nous soyons soignés, c'est la charia. Qu'il y ait des routes, c'est la charia. En France, l'enfant qui naît a 1000 fois plus de chances de réaliser les objectifs de la charia qu'un enfant qui naît aujourd'hui en Irak ou en Syrie, et pas seulement, qu'un enfant qui naît au Congo, car cela ne concerne pas uniquement les enfants musulmans.
Vous dénoncez une « glaciation » de la part de certains musulmans, qui entretiendraient une « nuit de la pensée ». Qui sont-ils ?
C'est une poignée de personnes, je ne parlerais même pas de musulmans figés, mais plutôt d'une compréhension figée. Aujourd'hui, les musulmans font beaucoup référence au « salaf », voulant dire en arabe« ce qui précède », partant d'un propos du Prophète disant que le meilleur siècle était le sien, puis celui qui l'a suivi, puis celui qui l'a suivi. Je comprends pourquoi ces temps apparaissent comme les meilleurs pour les musulmans : ce sont les trois siècles pendant lesquels on va créer les premiers outils nécessaires à la compréhension des textes, à leur accès, ce que l’on va appeler plus tard les sciences islamiques, qui n’existaient pas en tant que telles, ni du vivant du Prophète, ni de celui des ses compagnons. Ces outils n'ont pas été révélés, et je déplore que nous en soyons aujourd'hui à sacraliser des sciences que des hommes comme vous et moi, aussi intelligents et surdoués qu’ils fussent, ont créées.
Sans pour autant renier ce bel héritage scientifique, lui être fidèle, c'est se lancer dans le même travail, c'est-à-dire essayer de relire les textes, enrichir lesdites sciences islamiques, en créer d’autres, avec l'épistèmé qui est la nôtre, c'est-à-dire les réalités sociales, démographiques, politiques, scientifiques qui participent aujourd'hui de la construction de notre façon de voir le monde. Nous ne pouvons pas accéder au Coran en utilisant les lunettes de gens qui ont vécu il y a quatorze siècles. Le texte est immuable, mais l'accès au texte ne l'est pas.
Vous dîtes que « l'islam est laïque par essence ». Pourquoi ?
L'islam est laïque parce qu'il n'y a que le Prophète qui pouvait déclarer recevoir des ordres divins. Toute personne, à part lui, peut voir sa parole acceptée ou rejetée. En islam, il n'y a jamais eu de monarchie absolue de droit divin, bien que des gens se soient arrogé le droit de commander aux autres. Le juge n'est pas le mufti, le parlementaire n'est pas un religieux, le président de la République non plus. Ainsi, l'islam est par essence laïque, car on n'a pas à recevoir un quelconque ordre se prévalant de Dieu. J'essaie de comprendre ce que Dieu a voulu dire. Mais ma compréhension de ce qu'il a dit est une chose, ce qu'il a « vraiment » dit en est une autre. C’est foncièrement coranique. On n’a d’ailleurs pas le droit de dire avoir une compréhension exhaustive de la parole de Dieu. Un célèbre compagnon du Prophète disait, dans ce sens, qu’il se trouve dans le Coran des versets que seul le temps peut aider à comprendre. Pourquoi, sachant cela, accepter que des gens prennent nos méninges en otage, en nous disant que Dieu « veut » ou « dit que », sans passer cela dans le moule de notre raison, et sans surtout nous dire que le propos tenu n’est qu’une interprétation humaine de la parole divine ?
Comment combattre l'ignorance que vous dénoncez, tant du fait des politiques et des « laïcards », qui suscitent islamophobie et exclusion, que du fait des « musulmans gelés », enclins à « l'hérésie de l'antisémitisme » et à l'auto-exclusion ? Comment relever le « défi de l'équité », réaliser cette « diversité inclusive » que vous préconisez ?
La meilleure arme contre toutes les dérives est la connaissance, le savoir. Quand on ne se connaît pas, on fait du tort à soi et surtout à ceux qui nous entourent. Aux politiques, je propose le SMIC, le « savoir minimum indispensable à une conversation ». Ils ne peuvent pas se payer le luxe de ne pas connaître le B.A-ba, l'abécédaire de près de 6 à 8 millions de leurs concitoyens. Aux musulmans — minoritaires — qui souffriraient de cette glaciation, je dis qu'il faut qu'ils relisent leur histoire, qu'ils arrivent à distinguer la part humaine de ce qui relève du divin. A partir de là, beaucoup de voiles se lèveront.
L'école de la République doit être l'endroit dans lequel les valeurs humaines les plus élémentaires sont enseignées. La première d'entre elles est : je n'existe que parce que l'Autre existe. C'est fondamental d'enseigner cela. Par ailleurs, il faut accepter, définitivement, que la marche du monde est que les gens ne vivent plus les uns à côté des autres, mais les uns dans les autres. Près de 600 millions de musulmans, si je ne m’abuse, vivent dans des pays qui ne sont pas majoritairement musulmans.
Autrefois, il y avait des mondes chrétiens, des mondes juifs ou des mondes musulmans. Aujourd'hui, l'histoire n'a jamais connu autant de proximité, ces mondes-là s'entremêlent à un tel point. Nous ne sommes pas condamnés à vire ensemble, nous sommes déjà ensemble. Ceux qui veulent que nous fassions marche arrière sont des gens à contre-courant de l'histoire, qui ont déjà perdu la bataille. Il faut montrer que le monde est en marche et magnifier l'idée du bien, meilleur moyen de lutter contre le mal, contre la sinistrose ambiante.
[Seuls les administrateurs ont le droit de voir ce lien]
Propos recueillis par Maïté Darnault - publié le 29/10/2015
Dans son dernier ouvrage, Islam de France, l'an I – Il est temps d'entrer dans le XXIe siècle (éditions Plein Jour), l'imam d'Ivry-sur-Seine, natif des Comores, dénonce les amalgames qui entravent selon lui la communauté musulmane et décrypte les enjeux d'un islam de France en devenir, où la foi s'érigerait en une école d'autonomie. Le viatique de ce docteur en linguistique, enseignant à l'université Paris-XII : l'érudition à l'épreuve de la « glaciation » des pensées. Il répond aux questions du Monde des religions.
Exceptionnellement, pour vous faire découvrir la lettre Laïcité & Religions, la rédaction vous propose de lire cet entretien exclusif de Mohamed Bajrafil, imam d'Ivry-sur-Seine.
Mohamed Bajrafil part d'un constat : en France, depuis janvier 2015, « parler d'islam est devenu une entreprise des plus périlleuses ». Cet imam progressiste d'Île-de-France se lance pourtant, sans complaisance, dans un plaidoyer contre l'ignorance de tous bords. Il consacre d'abord un chapitre, clair et étayé, à « l'islam pour les nuls ». Les nuls, ce sont de son point de vue autant ces musulmans pensant « qu'on peut connaître exhaustivement la parole divine » (alors que cela « revient à trahir l'esprit même du Coran et, donc, en un mot, à renoncer à l'islam »), que ces politiques français, dont certains attisent la « laïcite » ambiante, et à qui Mohamed Bajrafil préconise un « Smic », un « savoir minimum indispensable à une conversation ». Car comment prétendre gouverner 6 à 8 millions de ses concitoyens, s'interroge l'imam, quand on ignore tout de leur culture ?
Ainsi, Mohamed Bajrafil ne se contente pas de prendre à partie sa communauté, en particulier les plus jeunes, c'est la France qu'il apostrophe dans un appel vibrant : « Tu es grande par ta capacité à faire tiennes toutes les vagues migratoires qui t'ont sillonnée, écrit-il, sans jamais exiger d'elles qu'elles abandonnent ce qu'elles ont possédé avant de venir à toi. […] Tu n'assimiles pas : tu accumules. […] En cela, tu es le monde. » Un monde « à la croisée des chemins », dit-il, où « tout est encore possible, le meilleur comme le pire : il s'agit de ne pas se tromper ».
De quelle manière démontez-vous les fantasmes nourris au sujet du « califat » ?
Il n'y a pas de système politique prescrit dans le Coran ni dans la tradition du Prophète, même si on voit par la suite des gens essayant d’en rendre un inéluctable dans la vie des musulmans, en prenant au pied de la lettre certains propos apparentés au Prophète, en en sur-glosant d’autres, ou parfois en créant des choses de toutes pièces.
En arabe, le mot « khalîfa » signifie soit « celui que l'on a mis à la place de », soit « celui qui succède à ». Il est utilisé dans le Coran pour désigner, entre autres sens, le vicaire de Dieu sur Terre, dans l'un des versets qui parlent du début de la vie du Patriarche, Adam. Mais le sens politique qui va lui être donné plus tard était inconnu, même desdits compagnons au lendemain de la mort du Prophète. La preuve la plus éloquente est que quand le Prophète décède, les compagnons se trouvent dans un imbroglio des plus kafkaïens. Il y a alors trois factions créées, ce qui témoigne du fait que le Prophète en mourant n'a donné aucune consigne quant à la façon d'organiser sa succession, ni parlé d’un système politique particulier.
J'interprète cela comme la porte ouverte à tout système politique, à condition que ceux qui vont y vivre se mettent d'accord. Je ne soutiens pas l’anarchie politique : dans toute organisation sociale donnée, un dirigeant est toujours nécessaire. Cela peut s'appeler présidence, royauté, etc. Mon propos vise à démontrer que le califat ne repose pas sur quelque chose de sacré, c'est un système qui a pu fonctionner ou qui a correspondu à un moment donné, et qui me semble tout bonnement caduque au vu des réalités d'aujourd'hui.
Vous rappelez que le mot charia signifie d'abord « la voie, le chemin » et vous dîtes que « la France réalise beaucoup mieux la charia que certains pays musulmans », pourquoi ?
Employé de manière littérale, la charia désigne le chemin qu'emprunte un cours d'eau d'un point A à un point B. Dieu va utiliser cette expression pour montrer au Prophète qu'il s'engage dans un chemin censé amener l'individu d'un point A, la satisfaction des passions, à un point B, la satisfaction de son Créateur. De là, découle le deuxième sens, donné par les principologistes de l'islam : la charia est miséricorde dans son ensemble.
A partir de là, les principologistes ont décelé cinq objectifs : la protection de la vie humaine, la liberté de croire ou de ne pas croire, le droit à la propriété privée, le libre-arbitre et la perpétuation de l'espèce. Dans quel pays à majorité musulmane ces objectifs peuvent-ils être atteints pour l'individu autant qu'ils peuvent l'être en France ? On a fait de la charia une caricature reposant sur l'exécution des peines, or le Coran nous dit : « Dans l'exécution des peines, il y a la vie. » Le but est clairement de sauver des vies, dans et par l’exécution d’une peine donnée. Pas de les enlever. Ce qui se passe aujourd’hui, c’est qu’on a fait du moyen, l’exécution des peines, la finalité, alors que la finalité est autre, est ailleurs.
Du coup, quand on entend parler d'application de la charia, ça signifie couper des têtes, des mains, alors que la charia est faite pour que l'homme vive mieux. Les allocations familiales, c'est la charia. Aller à l'école, c'est la charia. Que nous soyons soignés, c'est la charia. Qu'il y ait des routes, c'est la charia. En France, l'enfant qui naît a 1000 fois plus de chances de réaliser les objectifs de la charia qu'un enfant qui naît aujourd'hui en Irak ou en Syrie, et pas seulement, qu'un enfant qui naît au Congo, car cela ne concerne pas uniquement les enfants musulmans.
Vous dénoncez une « glaciation » de la part de certains musulmans, qui entretiendraient une « nuit de la pensée ». Qui sont-ils ?
C'est une poignée de personnes, je ne parlerais même pas de musulmans figés, mais plutôt d'une compréhension figée. Aujourd'hui, les musulmans font beaucoup référence au « salaf », voulant dire en arabe« ce qui précède », partant d'un propos du Prophète disant que le meilleur siècle était le sien, puis celui qui l'a suivi, puis celui qui l'a suivi. Je comprends pourquoi ces temps apparaissent comme les meilleurs pour les musulmans : ce sont les trois siècles pendant lesquels on va créer les premiers outils nécessaires à la compréhension des textes, à leur accès, ce que l’on va appeler plus tard les sciences islamiques, qui n’existaient pas en tant que telles, ni du vivant du Prophète, ni de celui des ses compagnons. Ces outils n'ont pas été révélés, et je déplore que nous en soyons aujourd'hui à sacraliser des sciences que des hommes comme vous et moi, aussi intelligents et surdoués qu’ils fussent, ont créées.
Sans pour autant renier ce bel héritage scientifique, lui être fidèle, c'est se lancer dans le même travail, c'est-à-dire essayer de relire les textes, enrichir lesdites sciences islamiques, en créer d’autres, avec l'épistèmé qui est la nôtre, c'est-à-dire les réalités sociales, démographiques, politiques, scientifiques qui participent aujourd'hui de la construction de notre façon de voir le monde. Nous ne pouvons pas accéder au Coran en utilisant les lunettes de gens qui ont vécu il y a quatorze siècles. Le texte est immuable, mais l'accès au texte ne l'est pas.
Vous dîtes que « l'islam est laïque par essence ». Pourquoi ?
L'islam est laïque parce qu'il n'y a que le Prophète qui pouvait déclarer recevoir des ordres divins. Toute personne, à part lui, peut voir sa parole acceptée ou rejetée. En islam, il n'y a jamais eu de monarchie absolue de droit divin, bien que des gens se soient arrogé le droit de commander aux autres. Le juge n'est pas le mufti, le parlementaire n'est pas un religieux, le président de la République non plus. Ainsi, l'islam est par essence laïque, car on n'a pas à recevoir un quelconque ordre se prévalant de Dieu. J'essaie de comprendre ce que Dieu a voulu dire. Mais ma compréhension de ce qu'il a dit est une chose, ce qu'il a « vraiment » dit en est une autre. C’est foncièrement coranique. On n’a d’ailleurs pas le droit de dire avoir une compréhension exhaustive de la parole de Dieu. Un célèbre compagnon du Prophète disait, dans ce sens, qu’il se trouve dans le Coran des versets que seul le temps peut aider à comprendre. Pourquoi, sachant cela, accepter que des gens prennent nos méninges en otage, en nous disant que Dieu « veut » ou « dit que », sans passer cela dans le moule de notre raison, et sans surtout nous dire que le propos tenu n’est qu’une interprétation humaine de la parole divine ?
Comment combattre l'ignorance que vous dénoncez, tant du fait des politiques et des « laïcards », qui suscitent islamophobie et exclusion, que du fait des « musulmans gelés », enclins à « l'hérésie de l'antisémitisme » et à l'auto-exclusion ? Comment relever le « défi de l'équité », réaliser cette « diversité inclusive » que vous préconisez ?
La meilleure arme contre toutes les dérives est la connaissance, le savoir. Quand on ne se connaît pas, on fait du tort à soi et surtout à ceux qui nous entourent. Aux politiques, je propose le SMIC, le « savoir minimum indispensable à une conversation ». Ils ne peuvent pas se payer le luxe de ne pas connaître le B.A-ba, l'abécédaire de près de 6 à 8 millions de leurs concitoyens. Aux musulmans — minoritaires — qui souffriraient de cette glaciation, je dis qu'il faut qu'ils relisent leur histoire, qu'ils arrivent à distinguer la part humaine de ce qui relève du divin. A partir de là, beaucoup de voiles se lèveront.
L'école de la République doit être l'endroit dans lequel les valeurs humaines les plus élémentaires sont enseignées. La première d'entre elles est : je n'existe que parce que l'Autre existe. C'est fondamental d'enseigner cela. Par ailleurs, il faut accepter, définitivement, que la marche du monde est que les gens ne vivent plus les uns à côté des autres, mais les uns dans les autres. Près de 600 millions de musulmans, si je ne m’abuse, vivent dans des pays qui ne sont pas majoritairement musulmans.
Autrefois, il y avait des mondes chrétiens, des mondes juifs ou des mondes musulmans. Aujourd'hui, l'histoire n'a jamais connu autant de proximité, ces mondes-là s'entremêlent à un tel point. Nous ne sommes pas condamnés à vire ensemble, nous sommes déjà ensemble. Ceux qui veulent que nous fassions marche arrière sont des gens à contre-courant de l'histoire, qui ont déjà perdu la bataille. Il faut montrer que le monde est en marche et magnifier l'idée du bien, meilleur moyen de lutter contre le mal, contre la sinistrose ambiante.
[Seuls les administrateurs ont le droit de voir ce lien]