Campagnes de désinformation
Profitant d’événements dramatiques mettant en cause des sectes au cours des années 1990, les associations et militants antisectes ont renforcé leur lobbying auprès des médias et des autorités en vue de l’élimination des mouvements qu’ils dénoncent comme « sectes ». S’ils affichent des buts respectables (aider les victimes de mouvements sectaires, informer sur le sectarisme et protéger contre les groupes dangereux), ils semblent régulièrement « déraper » lorsqu’ils s’en prennent à des confessions religieuses inoffensives, en ne respectant plus, dans les faits, les droits de l’homme [1].
Leurs dérives se constatent notamment lorsqu’ils mènent une lutte acharnée contre les témoins de Jéhovah et propagent des informations douteuses sur leur religion. Outre l’emploi systématique de l’amalgame exagéré avec des groupes dangereux, ces opposants usent souvent de faits isolés pour développer leurs thèses, faute de mieux, à l’aide d’une généralisation abusive. Car on peut toujours trouver dans n’importe quel groupe (religieux ou non) des cas extrêmes, que ce soient des éléments intégristes ou fanatiques, qui suivent leur propre personnalité excessive, ou bien des membres peu engagés qui ne reflètent pas le véritable credo du groupe. C’est ce qu’admet Jean-Claude Pons, porte-parole du Consistoire national des témoins de Jéhovah : « Je ne nie pas que certains fidèles aient des comportements excessifs. Dans une ville de 200 000 habitants, il y a toujours des individus condamnables. Mais nous considérer, en bloc, comme des dangers publics, c’est inadmissible. Toutes les Églises, d’ailleurs, ont de quoi s’inquiéter : si on soumettait à l’Unadfi le code de droit canonique, dans les trois mois, elle ferait campagne en disant que la doctrine de l’Église catholique est monstrueuse et prive les individus de leurs libertés fondamentales [2] ! »
Le professeur de sociologie à Oxford, Bryan Wilson, met également en garde contre le risque de la seule prise en compte des témoignages d’anciens membres d’un groupe religieux : « Le membre déçu et l’apostat, en particulier, sont des informateurs dont les preuves doivent être utilisées avec prudence. L’apostat a généralement besoin de se justifier. Il cherche à reconstruire son passé, à excuser ses affiliations précédentes et à blâmer ceux qui étaient ses collègues les plus proches. Il n’est donc pas rare qu’il apprenne à se fabriquer une “histoire atroce” pour expliquer comment - par la manipulation, la tromperie, la coercition ou les fraudes - il a d’abord été conduit à adhérer, puis on l’a empêché d’abandonner une organisation qu’aujourd’hui il désapprouve et condamne. Les apostats, dont les récits sont publiés dans un contexte sensationnel par la presse, cherchent parfois à tirer profit de leurs expériences en vendant leurs récits aux journaux ou en publiant des livres [3] ».
Dans le cadre de sa thèse intitulée « Les controverses religieuses en démocratie : le cas des Témoins de Jéhovah [4] », Céline Couchouron-Gurung pose avec pertinence la question de la représentativité des personnes qui s’affirment victimes des témoins de Jéhovah. En effet, la Coordination nationale des victimes de l’organisation des Témoins de Jéhovah [5] (CNVOTJ) se vante que quelques milliers de personnes abandonneraient la foi des témoins de Jéhovah chaque année. Pourtant, combien d’entre elles se mobilisent pour témoigner contre leur ancienne religion ? Céline Couchouron-Gurung admet que la Coordination nationale des victimes de l’organisation des Témoins de Jéhovah, après plus d’une dizaine d’années d’existence, ne rassemblerait pas plus de 40 membres. On a donc bien affaire à un groupe très marginal, qui propose toujours les mêmes éléments pour exprimer leur souffrance au sein des témoins de Jéhovah. Il serait donc exagéré de tirer des conclusions hâtives à partir de tels cas isolés.
En focalisant leurs recherches sur les anciens adeptes, les associations de lutte contre les sectes adoptent une logique qui revient à établir une règle à partir d’exceptions. Il s’agit souvent de cas marginaux, qui généralement n’impliquent même pas les croyances et pratiques des témoins de Jéhovah. Pourtant, chacun sait qu’une théorie ne peut être construite simplement sur quelques exemples, surtout s’ils s’avèrent isolés ; mais, à l’inverse, elle se révèle fausse dès qu’il existe au moins un contre-exemple. Or, en ce qui concerne les accusations contre les témoins de Jéhovah, il existe souvent plus de contre-exemples qui les infirment que d’exemples qui les confirment ! C’est d’ailleurs ce qui a pu être constaté précédemment grâce aux résultats de l’enquête de la SOFRES, qui montre la bonne intégration sociale de ces chrétiens. Pareillement, alors que l’ADFI met en avant quelques dizaines de témoignages négatifs sur les témoins de Jéhovah [6], ces derniers ont réuni 11 300 témoignages (chiffre attesté par huissier) qui sont favorables à leur Église [7] et qui ont été déposés par des personnes ne partageant pas leur foi. Sans compter ceux que pourraient apporter les dizaines de milliers de fidèles pleinement épanouis dans leur religion...
Mais des activistes antisectes vont encore plus loin, en abusant de la liberté d’expression pour s’attaquer à la réputation des témoins de Jéhovah. À plusieurs reprises, des tribunaux ont jugé que certaines de leurs affirmations relevaient de la diffamation publique. Par exemple, Mme Lydwine Ovigneur, à l’époque présidente de l’ADFI Nord, a été condamnée en diffamation par la Cour d’appel de Douai [8] pour avoir utilisé les expressions « gourous esclavagistes, dealers et proxénètes » à l’encontre des responsables internationaux de l’organisation des témoins de Jéhovah.
De même, la Cour de cassation [9] a estimé que l’assimilation de l’association cultuelle des témoins de Jéhovah à une « association de malfaiteurs » constituait une diffamation. Elle a donc annulé l’arrêt qui avait débouté ces chrétiens de leur action contre Charline Delporte, l’actuelle présidente de l’ADFI Nord. La Cour d’appel de Paris [10], vers qui l’affaire a été renvoyée, a finalement conclu que Charline Delporte a bel et bien commis une diffamation à l’encontre des témoins de Jéhovah et qu’elle ne peut se prévaloir d’une quelconque bonne foi :
« Considérant qu’aux termes de l’assignation en date du 19 janvier 1996, l’Association cultuelle “les Témoins de Jéhovah de France” reproche à Charline DELPORTE d’avoir, au cours de l’émission télévisée “Matin Bonheur” diffusée par la chaîne FRANCE 2 le 16 janvier précédent, indiqué qu’elle considérait les Témoins de Jéhovah comme une secte, ajoutant que pour elle “toute secte est une association de malfaiteurs” ; [...]
« Considérant que par ces propos, [...] Charline DELPORTE imputait nécessairement aux Témoins de Jéhovah des faits ou des comportements précis susceptibles de preuve et d’un débat contradictoire ; que l’expression “association de malfaiteurs”, même pour le sens commun, renvoie en effet à l’existence d’une organisation créée en vue de commettre des agissements non seulement nocifs, mais gravement répréhensibles et dangereux ; qu’ainsi l’expression ne peut que porter atteinte à l’honneur et la considération des Témoins de Jéhovah ;
« Considérant que Charline DELPORTE, même si le but qu’elle poursuit est légitime, n’établit pas avoir procédé à une enquête sérieuse prouvant que le mouvement en cause formerait une association de malfaiteurs ; qu’à supposer Charline DELPORTE dépourvue de toute animosité à l’égard du mouvement en cause, quoiqu’elle admette par ailleurs le combattre et avoir été affectée par le choix de sa fille d’y participer, elle devait, d’autant qu’elle avait été présentée dans l’émission comme co-présidente d’une association reconnue d’utilité publique, contrôler son langage pour ne pas dépasser les limites admissibles de la libre opinion ; que tel n’a pas été le cas en l’espèce ».
Parfois, les prévenus sont relaxés par le juge pour divers motifs, malgré la reconnaissance du caractère diffamatoire des propos. La première raison résulte de la difficulté de bien choisir la qualification des faits reprochés et le texte législatif précis sur lequel repose la plainte. Par exemple, selon l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la diffamation est définie comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé » et l’injure comme « toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait ». Ces deux termes se distinguent principalement par l’existence ou non d’un fait plus ou moins précis (susceptible de preuve du contraire). Or la plainte ne doit mentionner qu’une seule qualification dès le départ de la procédure.
Outre le cas de Jean-Pierre Brard qui sera développé plus loin, ce problème s’illustre bien dans une affaire ayant déjà opposé les témoins de Jéhovah à Charline Delporte. Lors d’un congrès annuel des témoins de Jéhovah, elle avait dit à propos de la location du stade que c’était « de l’argent sale, de l’argent de la drogue ». Les témoins de Jéhovah ont alors poursuivi la représentante de l’ADFI pour injure publique, tandis que la Cour de cassation [11] a déduit des circonstances que les propos s’assimilaient plutôt à de la diffamation publique. Concrètement, le désaccord résidait dans le fait de déterminer si les propos incriminés visaient le mode de fonctionnement de l’organisation des témoins de Jéhovah en général (sans fait précis, donc injure) ou s’ils ne s’appliquaient qu’au financement du lieu de rassemblement (élément ponctuel, donc diffamation). Au final, le juge ne pouvant revenir sur la qualification initialement donnée aux faits lors de l’assignation devant le tribunal, l’action en diffamation était prescrite et la militante a évité sa condamnation (ce qui n’empêche pas que la faute a bien été établie par la cour).
L’autre échappatoire à une sanction judiciaire, toujours dans le cas de paroles diffamatoires avérées, reste l’invocation de la « bonne foi ». En effet, si celui qui est coupable de diffamation démontre sa « bonne foi », à partir des critères définis par la jurisprudence [12], il est exonéré de sa responsabilité pénale et civile [13]. Pourtant, comme le rappelle un auteur spécialisé dans le droit des médias [14], cette notion de « bonne foi » est seulement une construction jurisprudentielle sans base légale, puisque seule la preuve de la vérité des faits est prévue par la loi comme moyen de défense. Il ajoutait d’ailleurs fort justement, au sujet d’une affaire impliquant toujours une responsable locale de l’ADFI face à la même association cultuelle, que la « preuve de la vérité des prétendus faits allégués ou reprochés étant — pour des raisons qui tiennent sans doute à l’absence de faits ! — bien difficile à apporter », l’intimée a préféré se prévaloir de sa « bonne foi ». On comprend que la plupart des détracteurs des témoins de Jéhovah préfèrent cette solution de facilité, qui les dispense de prouver la véracité des faits dénoncés, probablement parce que leurs affirmations ne reposent pas sur des éléments concrets...
De toute façon, les rares personnes qui ont essayé ont échoué, tel le député Jacques Myard. Sa tentative d’utiliser l’exception de vérité en apportant la preuve des faits imputés aux Témoins de Jéhovah n’a pas convaincu la Cour d’appel de Versailles [15], qui n’a pas trouvé « une preuve complète, parfaite et corrélative aux imputations ou allégations » diffamatoires.
En outre, des détracteurs des témoins de Jéhovah échappent à leur condamnation grâce à de bons avocats qui trouvent des failles pour annuler la poursuite judiciaire. C’est ainsi que l’arrêt de la Cour d’appel de Rouen du 18 juillet 2007 [16], condamnant Catherine Picard à indemniser les témoins de Jéhovah pour préjudice moral, a été cassé par la Cour de cassation [17] pour un vice de procédure inhabituel. Le juge du fond avait pourtant reconnu le caractère diffamatoire des propos de la présidente de l’UNADFI et avait refusé de lui accorder le bénéfice de la bonne foi [18]. Dans une interview publiée dans la Dépêche d’Evreux en octobre 2005, la conseillère régionale de Haute-Normandie avait nié la reconnaissance du statut d’association cultuelle aux témoins de Jéhovah et affirmé que « ces organisations-là sont structurées de manière pyramidale – comme tous les mouvements mafieux ». Elle les avait accusés par ailleurs d’avoir effectué « un détournement sur les dons et les legs », d’effectuer un « travail déguisé » et de se soustraire au paiement des charges sociales. La cour d’appel avait conclu :
« Catherine PICARD, dénommée dans cet article “Madame Secte” et présentée depuis la loi qui porte son nom comme une spécialiste des sectes, se devait donc redoubler de vigilance et de prudence dans cet interview accordé au journal. Elle était une personne parfaitement informée du fonctionnement du mouvement des Témoins de JÉHOVAH, et ne méconnaissait pas le statut cultuel des associations utilisées par ces derniers ; même si toute son action menée depuis de nombreuses années est motivée par le but de protéger les familles et les individus du danger que représentent les mouvements sectaires, l’intention d’informer le public par cet entretien accordé au journal “la Dépêche” ne l’autorisait pas à s’émanciper d’une prudence dans le choix de ses mots. Or incontestablement, Catherine PICARD, en assimilant le mouvement des témoins de JÉHOVAH à un mouvement mafieux, en lui imputant des détournements de legs et de dons, en l’accusant de mettre en place sous couvert d’une adhésion spirituelle de ses membres “un travail déguisé” évocateur d’un travail dissimulé, à l’origine d’un procès pénal, a de façon outrancière et par une présentation tendancieuse jeté le discrédit sur les témoins de JÉHOVAH et ce faisant tenus des propos excessifs dépassant les limites admissibles de la libre opinion et exclusifs de toute bonne foi. »
Même si la Cour de cassation ne s’est pas prononcée sur le bien-fondé de ces appréciations, cela a permis à Catherine Picard d’éviter de verser 1 500 euros à la Communauté chrétienne des Béthélites, ainsi que 750 euros à chacune des sept ALCTJ en réparation du préjudice moral.
L’ironie dans tout cela, c’est que l’on va jusqu’à leur reprocher d’être trop procéduriers : c’est désormais un délit d’utiliser des moyens prévus par la loi pour se défendre. D’ailleurs, en plus d’avoir relaxé la personne (associée à l’UNADFI) qui les avait publiquement accusé d’être responsables du suicide de son fils [19], un arrêt de la Cour d’appel de Grenoble avait même condamné les Témoins de Jéhovah pour « procédure abusive ». La Cour de cassation [20] a censuré à juste titre cette décision en estimant d’abord que les propos incriminés constituaient bien une diffamation envers l’association dans son ensemble et qu’à partir de là « l’action fondée sur des faits reconnus diffamatoires ne peut constituer un abus du droit d’ester en justice ». Un commentateur expliquait le bien fondé de cette correction par la cour suprême : « Chacun sait combien pour une victime, le procès de presse est semé d’embûches. [...] On peut se demander s’il était opportun d’ajouter à ces difficultés une arme de dissuasion telle que l’action en réparation pour procédure abusive. [...]Lorsque l’élément matériel de la diffamation résulte de propos entrant dans les prévisions des articles 29 et 32 de la loi de 1881, il paraît exagéré de considérer que l’action en diffamation dégénère en abus en cas de rejet. C’était même très exagéré en l’espèce, eu égard aux conditions dans lesquelles l’action en diffamation a été rejetée [21]. »
Bref, le droit des témoins de Jéhovah de se défendre contre la désinformation a été reconnu, d’autant plus que les déclarations qui font l’objet de poursuites sont généralement reconnues diffamatoires, même si les responsables échappent à la condamnation de quelque façon que ce soit.
Sectarisme et refus du contradictoire
Par ailleurs, il devient de plus en plus manifeste que ces militants antisectes adoptent un comportement sectaire semblable à celui qu’ils croient dénoncer, comme l’a remarqué le journaliste Henri Tincq dans Le Monde : « La logique militante, d’abord : c’est principalement celle des associations antisectes (comme en France l’Association de défense de la famille et de l’individu et le Centre Roger-Ikor contre les manipulations mentales), qui manifestent parfois le même sectarisme que celui qu’elles prétendent combattre, au risque de créer un climat de “chasse aux sorcières”. Cette logique, selon les spécialistes universitaires, rejoindrait de plus en plus celle des médias, qui jouent sur l’émotion légitimement soulevée dans l’opinion par les affaires d’embrigadement de mineurs ou par les suicides collectifs. Mais elle repose sur des analyses très réductrices et aboutit à des conclusions (“Il faut interdire les sectes”) dangereusement péremptoires [22]. »
Janine Tavernier, qui a présidé l’UNADFI pendant huit ans, dénonce aujourd’hui les dérives de cet organisme de lutte contre les sectes, pourtant reconnu d’utilité publique. Elle explique pourquoi elle a pris ses distances :
« En 2001, je sentais qu’on s’engageait dans une chasse aux sorcières. Plusieurs dérapages ont eu lieu. [...]
« Je me suis battue pour qu’on distingue les nouveaux mouvements religieux, comme les communautés charismatiques, et les vraies sectes. A cette époque, les choses étaient plus nettes. Aujourd’hui, on ne sait plus où l’on en est. Si des travaux sérieux avaient été entrepris, on y verrait plus clair [23]. »
Leur état d’esprit sectaire est particulièrement évident dans leur manque d’ouverture à tout débat et dans leur opposition à un quelconque contradictoire. Voici par exemple ce qu’ont remarqué Frédéric Lenoir et Nathalie Luca, lors de leur enquête sur le phénomène sectaire : « Notre première surprise fut de constater qu’il était beaucoup plus difficile d’obtenir la participation des associations de lutte contre les sectes et des principaux acteurs engagés dans ce combat que celle des sectes elles-mêmes ! Autant les principaux groupes contactés, tels les Témoins de Jéhovah ou l’Église de Scientologie, acceptaient, non sans réticence, sachant évidemment qu’ils seraient fermement contredits, de participer aux émissions, autant les acteurs de la mouvance antisectes commencèrent par s’excuser les uns après les autres. Il était hors de question pour eux de participer à des émissions où l’on donnerait la parole à des adeptes... et pire encore, à des sociologues des religions [24] ! »
Pour illustrer leur profond sectarisme, nous allons évoquer plusieurs affaires qui dévoilent comment les militants antisectes cherchent à entraver la liberté d’expression de leurs contradicteurs.
Premièrement, ils ont cherché à censurer des informations positives au sujet des témoins de Jéhovah. Le 24 novembre 1995, un colloque juridique était organisé dans les locaux de l’Assemblée nationale. Son thème : « Actualité des associations cultuelles : Faut-il modifier la loi de séparation des Églises et de l’État [25] ? ». Du fait de la participation de deux avocats conviés à présenter un exposé sur l’intégration juridique des témoins de Jéhovah [26], une vive opposition des milieux « secticides » s’est manifestée contre la tenue de cette réunion. La CNVOTJ a plus particulièrement fait pression sur diverses personnalités pour empêcher ces avocats du Barreau de Paris de se joindre aux intervenants [27]. À tel point que l’historien Bernard Blandre évoque franchement « une ambiance empoisonnée par la pression de la Coordination des victimes des Témoins de Jéhovah [28] ». À son tour, le président de la commission d’enquête parlementaire sur les sectes, Alain Gest, est intervenu contre cette manifestation juridique [29]. Pourtant, comme l’ont rappelé successivement les différents intervenants, cette attitude non démocratique est regrettable dans un État de droit, d’autant plus que ce colloque offrait une occasion de débattre sereinement, puisque la parole était également laissée aux assistants. La preuve : Marie Maurel, membre du bureau de la CNVOTJ, s’est vu offrir la possibilité de s’exprimer lors de la première séance de débats [30]. Mais, ces prétendus défenseurs des libertés publiques refusent le droit de parole à tous ceux qui risquent de les contredire...
Comble de tout, moins de quatre ans après s’être opposées à la tenue d’un colloque PUBLIC et OUVERT au contradictoire, une vingtaine d’associations de lutte contre les sectes se sont réunies dans ces mêmes locaux parlementaires pour un colloque européen, qui s’est déroulé, quant à lui, à HUIS CLOS [31] ! Peut-on imaginer qu’une telle réunion quasi-secrète puisse s’organiser à l’Assemblée nationale et, en plus, par des groupes de pression qui s’étaient opposés à un autre colloque, qui était, pour sa part, public et ouvert à toute intervention et aux échanges contradictoires ! Finalement, on se demande qui est véritablement la secte, c’est-à-dire celle qui n’admet pas que l’on remette en cause ses prétentions et qui organise des réunions secrètes...
Deuxièmement, l’UNADFI a également engagé des procès contre ceux qui ont osé remettre en cause son activité. Par exemple, le journaliste Louis Pauwels a parlé de la documentation qui lui a été transmise sur les origines et les dérives de ces association antisectes :
« Depuis 1975 se sont instaurées des associations antisectes, qui accusent globalement leurs adversaires de déstructurer les individus et de menacer les familles. La plus virulente d’entre elles est l’ADFI (Association pour la défense de la famille et de l’individu). Elle catalyse, sinon promeut les attaques contre les groupes spirituels non conformes. J’apprends qu’elle s’inspire d’un courant de la psychiatrie américaine, visant à la normalisation de la société par la destruction des nouvelles religions. C’est du moins ce que révèle la documentation qu’on me fait parvenir. Les travaux de M. Régis Dericquebourg, maître de conférences à l’université de Lille et membre du Groupe de sociologie des religions et de la laïcité, et ceux de Me Christian Paturel, montrent que cette guerre contre les sectes réveille l’esprit d’Inquisition et s’apparente, dans bien des cas, aux procès en sorcellerie, où la rumeur tenait lieu de preuve.
« Il suffit désormais d’accuser un groupe de captation de la personnalité et manipulation mentale pour qu’il se trouve rangé au nombre des sectes et, par là même, mobiliser contre lui l’opinion générale. Cette nouvelle chasse aux sorcières bénéficie des subsides de l’État et, sauf exceptions, du soutien sans réflexion des médias [32]. »
Cet article courageux et franc a valu à l’éditorialiste du quotidien Le Figaro un procès en diffamation, dont il n’aura pas connu la décision de son vivant. Le 12 septembre 1997, le Tribunal correctionnel de Paris a débouté l’UNADFI de toutes ses demandes. Selon les juges, l’article en question a traduit « de la part du journaliste, une mise en garde contre les excès pouvant porter atteinte à la liberté de pensée et d’expression, ainsi qu’un appel à la tolérance dans la légalité. Or, dans une société démocratique, la manifestation d’un tel point de vue doit, à l’évidence, pouvoir contribuer, au même titre que d’autres prises de position, au débat public sur le phénomène sectaire ».
Pareillement, Christian Paturel, avocat spécialiste en droit public et libertés publiques à l’époque, a rencontré de nombreux soucis suite à la publication à compte d’auteur de son ouvrage Sectes, religions et libertés publiques à La Pensée Universelle en février 1996 [33]. Dans ce réquisitoire, sont dénoncés en particulier les comportements attentatoires aux libertés de ces lobbies antisectes, subventionnées par l’État, qui sont comparés à une nouvelle forme d’inquisition contre les mouvements religieux minoritaires. Suite à la plainte de l’UNADFI, l’auteur et l’éditeur de ce livre ont été condamnés pour diffamation et, en dernier ressort, leur pourvoi en cassation a été rejeté [34]. En conséquence, l’auteur s’est tourné vers la CEDH, qui a conclu à l’unanimité que la France avait violé l’article 10 [35] (liberté d’expression) de la Convention européenne dans l’affaire Paturel contre France [36]. La Cour européenne a motivé sa décision comme suit : « En conclusion, la Cour estime qu’en exigeant du requérant qu’il prouve la véracité des extraits litigieux, au demeurant sortis du contexte général de l’ouvrage, tout en écartant systématiquement les nombreux documents produits à l’appui de celles-ci et ce, en lui opposant de manière récurrente une prétendue partialité et une animosité personnelle principalement déduites de sa qualité de membre d’une association qualifiée de secte par la partie civile, les juridictions françaises ont excédé la marge d’appréciation dont elles disposaient. La condamnation du requérant s’analyse donc en une ingérence disproportionnée dans la liberté d’expression de l’intéressé. »
Dans cet arrêt du 22 décembre 2005, les juges européens adressent au passage un message aux organismes publics, en particulier à l’UNADFI : « La Cour rappelle à ce titre que les associations s’exposent à un contrôle minutieux lorsqu’elles descendent dans l’arène du débat public et que, dès lors qu’elles sont actives dans le domaine public, elles doivent faire preuve d’un plus grand degré de tolérance à l’égard des critiques formulées par des opposants au sujet de leurs objectifs et des moyens mis en œuvre dans le débat ».
À nouveau, les ADFI ont appris qu’elles doivent rester ouvertes à la critique et au débat contradictoire ! En tireront-elles cette fois-ci la leçon ?
Toutes ces embûches semées par les militants antisectes expliquent certainement pourquoi l’ouvrage L’activisme anti-sectes : de l’assistance à l’amalgame de l’avocat du Barreau de Paris Alain Garay, dont les articles paraissent régulièrement dans la presse juridique, a été refusé par 28 maisons d’édition en France. Il a dû finalement se tourner vers un éditeur outre-manche...