À Saint-Nicolas-du-Chardonnet, c'est la rentrée
Mikael Corre - publié le 02/10/2013
Dans l’église traditionaliste de Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris, le cours de "doctrine approfondie" a repris mardi 1er octobre. Théologie pour néophytes ou propagande réactionnaire, notre journaliste avait suivi la rentrée de l'année dernière.
Alain PINOGES/CIRIC
« Je suis très heureux de retrouver cette salle de cours, avec un certain nombre d’anciens et quelques nouveaux. » La légère calvitie du professeur le rendrait plutôt avenant, s’il n’avait pas opté pour une rentrée en soutane noire, surmontée d’un col romain. Derrière le bureau, que surplombe un crucifix démesurément grand, il regarde par-dessus ses lunettes sa nouvelle promotion. « Nous n’allons pas nous attarder en amabilités, nous avons l’ambition de faire ici de la théologie. » Un paquet de feuilles intitulées « Introduction générale au cours de “Doctrine approfondie” ou d’initiation à la théologie » circule. Le professeur se lève, tourne le dos à sa petite assemblée et entonne un Je vous salue Marie, en français.
Étonnante infidélité au latin, dans cette petite salle jouxtant l’église Saint-Nicolas du Chardonnet (Paris, Ve arr.), occupée depuis 1977 par des membres de la fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, mouvement catholique schismatique, antimoderne et intégriste, aux liens forts avec l’extrême droite française. « Pour les anciens, je dépose la fin du cours sur le sacrement de pénitence sur la table. Je n’avais pas eu le temps de le finir à la fin de l’année dernière. » Dans l'Église catholique romaine, on parle aujourd'hui plutôt de « sacrement de réconciliation ». Le Saint-Siège ne reconnaît à la Fraternité aucun statut canonique et ses prêtres « n'exercent aucun ministère légitime », selon la lettre apostolique Ecclesia Dei. En 2009, l'excommunication de Mgr Lefebvre, son fondateur, fut levée, sans pour autant que la Fraternité, qui ne reconnaît toujours pas le concile Vatican II, ait réintégré le giron romain.
Une doctrine sur la défensive
En quoi consiste la « doctrine approfondie » ? Le professeur commence par quelques réflexions sur la notion d'apologétique, ce champ d'étude de la théologie qui consiste à défendre, à justifier une position, contre une attaque. Des quinquagénaires alignés comme des écoliers écoutent la voix monocorde du professeur : « La théologie est la science de la foi. […] La science la plus élevée des sciences humaines. […] Aucune science ne peut prétendre à un degré aussi élevé de certitude. » Le prêtre argumente : « L’homme est faillible, tandis que Dieu lui est infaillible. » Avant toute explication de texte, de retour vers le grec ou l'araméen ou de quelques éléments de contexte biblique, le prérequis semble être l'adhésion totale.
« Imaginez quelqu’un qui n’a pas la foi, pourquoi se lancerait-il dans cette étude qu’est la théologie ? », demande le professeur. Le cours est bien réservé aux croyants.
C’est ce qu'explique le chapitre sur la Révélation. « Qu’est-ce que la révélation ? » La question posée est rhétorique. Elles le seront toutes. « L’existence de Dieu est démontrable naturellement, parce qu’il se révèle dans la nature », explique l'enseignant. Seule exception : les bienheureux (les hommes montés au ciel) qui « ont une révélation supplémentaire en plus de celle qu’ils ont déjà eu ici-bas, en plus de leur foi ». Mais la foi est le prérequis de ce cours, celui de la Révélation et celui de l'accès au Paradis. « C’est pour cela que saint Paul va jusqu’à dire que les païens sont inexcusables ! », explique le théologien. Un jeune élève, 25 ans, polo surmonté d’une médaille miraculeuse (il lit d’ailleurs un livre intitulé La Médaille miraculeuse), ricane.
Un raisonnement par équations
Le professeur en soutane s’est levé, il trace d’énigmatiques lettres au tableau, organisées en systèmes mathématiques. S’en suit un exposé complexe. Une vieille femme fronce les sourcils. La conclusion de l'exposé arrive : le syllogisme « est la base du raisonnement humain, sauf pour les esprits angéliques qui raisonnent par intuition ». À défaut d'être un esprit angélique, on doit (la majorité des phrases du cours se rapportent au champ lexical du devoir) raisonner par syllogisme. Le pédagogue en soutane ne tarit pas d’exemples, scrupuleusement pris en notes par la vieille femme aux sourcils toujours froncés. Certains sont simples : « Les hommes sont mortels, or Pierre est un homme, donc Pierre est mortel » (on notera que Socrate a été remplacé par un évangéliste). D'autres plus obscurs : « La Révélation surnaturelle faite par Jésus-Christ ne peut être contestée raisonnablement, or elle a tous les critères d’une vraie Révélation, donc Jésus est la Voie, la Vérité et la Vie. »
La Tradition supérieure à la Bible
Le professeur se rasseoit sous le crucifix. « Qu’est-ce que la Tradition ? », demande-t-il, avant de reformuler la question : « Deux mille ans après la vie du Christ comment être sûr que l’enseignement qu’on en fait [la tradition] est la Tradition divine authentique ? » Le prêtre traditionaliste explique : « Dieu merci, des critères existent pour en être sûr, ils ont été définis par l’Église et par un docteur, saint Vincent de Lérins. » On ne saura rien des arguments de ce moine du Ve siècle. Il s'agit sans doute de son Commonitorium, écrit après le concile d'Éphèse (431), un énoncé de critères permettant de savoir si une doctrine est hérétique ou orthodoxe. Il énonce principalement trois critères : l’universalité, l’antiquité et l’unanimité. Mais l'histoire, le contexte ou même la lecture ne sont pas au cœur du cours : « La Tradition est très importante. Elle est antérieure et donc supérieure au Livre. » Et l'enseignant de poursuivre : « Notre religion n’est pas une religion du Livre, c’est pour cela que j’ai mis la tradition avant le Livre [sur le polycopié]. Quand il y a un écrit, encore faut-il qu’il soit interprété. »
Outre les critères, il existe une « raison profonde » qui permet d’être sûr qu’il s’agit bien de la « vraie tradition » : « Humainement parlant, il est impossible qu’une doctrine puisse être tenue partout, depuis toujours, et par tous quasiment », sans être vraie. « Si vous regardez dans les sociétés humaines, qu’une doctrine se transmette comme cela, ça n’existe pas. C’est donc que c’est Dieu qui l’a fait. »
Un enseignement tourné vers l'entre-soi
Si l'universalisme semble être le critère d'une Révélation vraie, qu'en était-il, dans les premiers siècles avant Jésus-Christ des systèmes de croyances des civilisations babyloniennes et égyptiennes ? Qu'en est-il aujourd'hui de l'hindouisme, né avant l'ère chrétienne, qui, selon le Pew Forum, compte un milliard de fidèles, soit 15 % de la population mondiale totale ? Lors de sa découverte de la Démocratie en Amérique, dans la première moitié du XIXe siècle, Alexis de Tocqueville parlait de l’« esprit de religion », qui poussait l’homme vers les autres, vers l’avenir et vers le haut.
Après un cours de « Doctrine approfondie », on sait qu’à Saint-Nicolas-du-Chardonnet, on est plutôt tourné vers le passé et vers un entre-soi. Pour ce qui est du haut, il n’y a qu’à observer l'assemblée en prière, lors d'une messe en latin : à genoux, tête penchée vers le sol, recouverte – pour les femmes – de ce foulard appelé mantille.
Mikael Corre - publié le 02/10/2013
Dans l’église traditionaliste de Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris, le cours de "doctrine approfondie" a repris mardi 1er octobre. Théologie pour néophytes ou propagande réactionnaire, notre journaliste avait suivi la rentrée de l'année dernière.
Alain PINOGES/CIRIC
« Je suis très heureux de retrouver cette salle de cours, avec un certain nombre d’anciens et quelques nouveaux. » La légère calvitie du professeur le rendrait plutôt avenant, s’il n’avait pas opté pour une rentrée en soutane noire, surmontée d’un col romain. Derrière le bureau, que surplombe un crucifix démesurément grand, il regarde par-dessus ses lunettes sa nouvelle promotion. « Nous n’allons pas nous attarder en amabilités, nous avons l’ambition de faire ici de la théologie. » Un paquet de feuilles intitulées « Introduction générale au cours de “Doctrine approfondie” ou d’initiation à la théologie » circule. Le professeur se lève, tourne le dos à sa petite assemblée et entonne un Je vous salue Marie, en français.
Étonnante infidélité au latin, dans cette petite salle jouxtant l’église Saint-Nicolas du Chardonnet (Paris, Ve arr.), occupée depuis 1977 par des membres de la fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, mouvement catholique schismatique, antimoderne et intégriste, aux liens forts avec l’extrême droite française. « Pour les anciens, je dépose la fin du cours sur le sacrement de pénitence sur la table. Je n’avais pas eu le temps de le finir à la fin de l’année dernière. » Dans l'Église catholique romaine, on parle aujourd'hui plutôt de « sacrement de réconciliation ». Le Saint-Siège ne reconnaît à la Fraternité aucun statut canonique et ses prêtres « n'exercent aucun ministère légitime », selon la lettre apostolique Ecclesia Dei. En 2009, l'excommunication de Mgr Lefebvre, son fondateur, fut levée, sans pour autant que la Fraternité, qui ne reconnaît toujours pas le concile Vatican II, ait réintégré le giron romain.
Une doctrine sur la défensive
En quoi consiste la « doctrine approfondie » ? Le professeur commence par quelques réflexions sur la notion d'apologétique, ce champ d'étude de la théologie qui consiste à défendre, à justifier une position, contre une attaque. Des quinquagénaires alignés comme des écoliers écoutent la voix monocorde du professeur : « La théologie est la science de la foi. […] La science la plus élevée des sciences humaines. […] Aucune science ne peut prétendre à un degré aussi élevé de certitude. » Le prêtre argumente : « L’homme est faillible, tandis que Dieu lui est infaillible. » Avant toute explication de texte, de retour vers le grec ou l'araméen ou de quelques éléments de contexte biblique, le prérequis semble être l'adhésion totale.
« Imaginez quelqu’un qui n’a pas la foi, pourquoi se lancerait-il dans cette étude qu’est la théologie ? », demande le professeur. Le cours est bien réservé aux croyants.
C’est ce qu'explique le chapitre sur la Révélation. « Qu’est-ce que la révélation ? » La question posée est rhétorique. Elles le seront toutes. « L’existence de Dieu est démontrable naturellement, parce qu’il se révèle dans la nature », explique l'enseignant. Seule exception : les bienheureux (les hommes montés au ciel) qui « ont une révélation supplémentaire en plus de celle qu’ils ont déjà eu ici-bas, en plus de leur foi ». Mais la foi est le prérequis de ce cours, celui de la Révélation et celui de l'accès au Paradis. « C’est pour cela que saint Paul va jusqu’à dire que les païens sont inexcusables ! », explique le théologien. Un jeune élève, 25 ans, polo surmonté d’une médaille miraculeuse (il lit d’ailleurs un livre intitulé La Médaille miraculeuse), ricane.
Un raisonnement par équations
Le professeur en soutane s’est levé, il trace d’énigmatiques lettres au tableau, organisées en systèmes mathématiques. S’en suit un exposé complexe. Une vieille femme fronce les sourcils. La conclusion de l'exposé arrive : le syllogisme « est la base du raisonnement humain, sauf pour les esprits angéliques qui raisonnent par intuition ». À défaut d'être un esprit angélique, on doit (la majorité des phrases du cours se rapportent au champ lexical du devoir) raisonner par syllogisme. Le pédagogue en soutane ne tarit pas d’exemples, scrupuleusement pris en notes par la vieille femme aux sourcils toujours froncés. Certains sont simples : « Les hommes sont mortels, or Pierre est un homme, donc Pierre est mortel » (on notera que Socrate a été remplacé par un évangéliste). D'autres plus obscurs : « La Révélation surnaturelle faite par Jésus-Christ ne peut être contestée raisonnablement, or elle a tous les critères d’une vraie Révélation, donc Jésus est la Voie, la Vérité et la Vie. »
La Tradition supérieure à la Bible
Le professeur se rasseoit sous le crucifix. « Qu’est-ce que la Tradition ? », demande-t-il, avant de reformuler la question : « Deux mille ans après la vie du Christ comment être sûr que l’enseignement qu’on en fait [la tradition] est la Tradition divine authentique ? » Le prêtre traditionaliste explique : « Dieu merci, des critères existent pour en être sûr, ils ont été définis par l’Église et par un docteur, saint Vincent de Lérins. » On ne saura rien des arguments de ce moine du Ve siècle. Il s'agit sans doute de son Commonitorium, écrit après le concile d'Éphèse (431), un énoncé de critères permettant de savoir si une doctrine est hérétique ou orthodoxe. Il énonce principalement trois critères : l’universalité, l’antiquité et l’unanimité. Mais l'histoire, le contexte ou même la lecture ne sont pas au cœur du cours : « La Tradition est très importante. Elle est antérieure et donc supérieure au Livre. » Et l'enseignant de poursuivre : « Notre religion n’est pas une religion du Livre, c’est pour cela que j’ai mis la tradition avant le Livre [sur le polycopié]. Quand il y a un écrit, encore faut-il qu’il soit interprété. »
Outre les critères, il existe une « raison profonde » qui permet d’être sûr qu’il s’agit bien de la « vraie tradition » : « Humainement parlant, il est impossible qu’une doctrine puisse être tenue partout, depuis toujours, et par tous quasiment », sans être vraie. « Si vous regardez dans les sociétés humaines, qu’une doctrine se transmette comme cela, ça n’existe pas. C’est donc que c’est Dieu qui l’a fait. »
Un enseignement tourné vers l'entre-soi
Si l'universalisme semble être le critère d'une Révélation vraie, qu'en était-il, dans les premiers siècles avant Jésus-Christ des systèmes de croyances des civilisations babyloniennes et égyptiennes ? Qu'en est-il aujourd'hui de l'hindouisme, né avant l'ère chrétienne, qui, selon le Pew Forum, compte un milliard de fidèles, soit 15 % de la population mondiale totale ? Lors de sa découverte de la Démocratie en Amérique, dans la première moitié du XIXe siècle, Alexis de Tocqueville parlait de l’« esprit de religion », qui poussait l’homme vers les autres, vers l’avenir et vers le haut.
Après un cours de « Doctrine approfondie », on sait qu’à Saint-Nicolas-du-Chardonnet, on est plutôt tourné vers le passé et vers un entre-soi. Pour ce qui est du haut, il n’y a qu’à observer l'assemblée en prière, lors d'une messe en latin : à genoux, tête penchée vers le sol, recouverte – pour les femmes – de ce foulard appelé mantille.