Le pèlerinage à la Mecque est devenu un enjeu de la guerre diplomatique qui, depuis près de deux mois, oppose le Qatar à l’Arabie saoudite et à ses alliés. Prévu à la fin du mois d’août, le hajj, l’un des cinq piliers de l’islam, s’annonce en effet délicat pour les croyants qatariens.
Les frontières terrestres et maritimes sont fermées, les liaisons aériennes suspendues et les échanges économiques gelés entre le Qatar et l’Arabie saoudite depuis que celle-ci, imitée par le Bahreïn, l’Égypte et les Émirats arabes unis, a rompu ses relations avec l’émirat gazier, lundi 5 juin. Aussi, les Qatariens ne sont pas les bienvenus sur le territoire saoudien. Comment, dans ces conditions, ces derniers pourraient-ils accomplir leur pèlerinage à la Mecque, que tout musulman est censé réaliser une fois dans sa vie s’il en a les moyens ?
Inquiétudes du Qatar
Doha a exprimé de telles inquiétudes, dimanche 30 juillet, refusant de se contenter des garanties saoudiennes selon lesquelles les pèlerins qatariens seront les bienvenus à la Mecque, mais ne pourront s’y rendre par la compagnie Qatar Airways. Dans un communiqué, le ministère des affaires islamiques du Qatar a ainsi indiqué que l’Arabie saoudite « a refusé de communiquer au sujet des garanties de sécurité des pèlerins (qatariens, NDLR) et de leur assistance pour leur hajj ». Il a ajouté vouloir « connaître les entités haut-placées compétentes en Arabie saoudite, capables d’offrir ces garanties (de sécurité, NDLR) et exprime ses regrets de voir la politique mêlée à l’un des piliers de l’islam, ce qui pourrait empêcher de nombreux musulmans d’accomplir ce devoir sacré ».
L’Arabie saoudite indignée
De telles déclarations ont piqué au vif l’Arabie saoudite et ses alliés, où elles ont été interprétées comme un appel à « internationaliser » la gestion du hajj. Assurée par des descendants du prophète jusqu’à l’avènement de la monarchie Saoud, dans les années 1930, l’organisation de cet événement religieux d’une ampleur sans précédent – la Mecque accueille plus de trois millions de pèlerins chaque année – est, depuis, entre les mains de Riyad. Mais régulièrement, cette distribution des rôles est contestée. « Cela donne à l’Arabie saoudite une prérogative très importante au sein de l’islam alors qu’elle n’en représente qu’une fraction minoritaire », explique Sylvia Chiffoleau, chargée de recherche en histoire contemporaine au CNRS et auteure de Le voyage à la Mecque, un pèlerinage mondial en terre d’islam (1).
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De nombreux pays musulmans ne s’identifient pas au wahhabisme, version rigoriste de l’islam sunnite qu’observe l’Arabie saoudite et à laquelle le hajj offre une occasion unique de s’exprimer. « Dans l’organisation du pèlerinage, il y a une forme d’incitation à se conformer au wahhabisme, visible notamment dans le contrôle de la façon de réaliser les rituels », ajoute Sylvia Chiffoleau.
Cette empreinte wahhabite nourrit la contestation. « Des voix de plus en plus nombreuses, en Indonésie notamment, réclament une internationalisation de la gestion du hajj, par une structure dont la forme reste à définir », poursuit la chercheuse.
Le hajj, source de légitimité pour l’Arabie saoudite
Dans le même temps, l’organisation du hajj étant un défi immense, qui implique des mesures de sécurité pour éviter les bousculades meurtrières (plus de 2 000 personnes sont mortes ainsi en 2015), mais aussi de prévention sanitaire pour éviter la propagation des virus, l’Arabie saoudite en retire une forte légitimité. Pour cette raison, elle se montre sensible à la moindre contestation de sa prérogative, ce qui explique l’interprétation des propos qatariens comme un appel à « internationaliser » la gestion du hajj.
« Aucune démarche n’a été faite pour discuter du hajj à un niveau international », a soutenu le ministre qatarien des affaires étrangères, cheikh Mohamed ben Abderrahmane al-Thani en répondant à la mise en garde de son homologue saoudien, qui a prévenu que tout appel à une internationalisation du hajj reviendrait à « déclarer la guerre à Riyad ».
Marianne Meunier
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