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L’infaillibilité de l’Église : une nécessité

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Josué

Josué
Administrateur

OHN HENRY NEWMAN
L’infaillibilité de l’Église : une nécessité
SOURCE : « ESSAI SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE CHRÉTIENNE », GENÈVE, AD SOLEM, 2007, P. 108-126
mardi 21 février 2012, par Blaise
Sommaire















J’ai déjà écrit à ce sujet, bien que d’un point de vue très différent de celui que j’adopte ici : « Les prophètes et les docteurs sont les interprètes de la révélation ; ils en expliquent et définissent les mystères, en éclairent les documents, en harmonisent le contenu, montrent la réalisation de ses promesses. Leur enseignement est un vaste système qui ne saurait être résumé en quelques assertions, ni renfermé dans un code ou un traité, mais qui consiste en un certain corps de vérité, imprégnant l’Eglise comme une atmosphère, et irrégulier dans sa forme en raison même de sa profusion et de son exubérance. Parfois on ne peut le distinguer qu’en pensée de la tradition épiscopale, mais parfois aussi il se perd en légendes et en fables. Il est en partie écrit, et en partie non écrit ; en partie simple interprétation de l’Écriture, en partie son complément ; en partie conservé sous des formes intellectuelles précises, et en partie latent dans le caractère et l’esprit des chrétiens. On le trouve répandu çà et là, dans le secret et sur les toits, dans les liturgies, les oeuvres de controverse, dans d’obscurs fragments, des sermons, dans des préjugés populaires et des coutumes locales. C’est ce que j’appelle la « tradition prophétique » ; elle existe primordialement au sein de l’Eglise elle-même, et reste consignée pour nous, selon la mesure déterminée par la Providence, dans les écrits d’hommes éminents. « Garde le dépôt qui t’a été confié [1] », enjoint saint Paul à Timothée ; il dit cela parce que, en raison de son étendue et de son caractère indéterminé, cette tradition est particulièrement exposée à la corruption, si l’Eglise manque de vigilance. C’est là le corps d’enseignements qui est offert à tous les chrétiens, encore aujourd’hui, bien que sous des formes et à des degrés différents de vérité, dans les diverses parties du monde chrétien ; c’est en partie un commentaire, en partie une addition aux articles du Credo [2] ».

S’il en est vraiment ainsi, on ne peut se passer d’une règle pour coordonner et authentiquer ces diverses expressions et conséquences de la doctrine chrétienne. Personne n’oserait soutenir que tous les points de notre croyance soient d’égale importance. « II y en a que nous pouvons appeler mineurs, les tenant pour vrais sans les imposer comme obligatoires ; il y a des vérités majeures et des vérités moindres, des points de foi nécessaire et d’autres qui ne sont que de pieuses croyances [3] ». La question est simplement celle-ci : comment pouvons-nous discriminer les points majeurs de ceux qui sont mineurs, et la vérité de l’erreur ?

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Ce besoin d’une sanction qui fasse autorité apparaîtra encore davantage, si l’on considère, selon la suggestion de M. Guizot, que le christianisme, quoique présenté dans la prophétie comme un royaume, est entré dans le monde sous la forme d’une idée plutôt que d’une institution, qu’il a eu à s’envelopper d’un vêtement, à se pourvoir d’une armure de sa propre création, et à se forger lui-même des instruments et des méthodes pour sa progression et ses combats. Si les développements que nous avons appelés moraux doivent se produire avec quelque ampleur – et l’on ne voit guère comment le christianisme pourrait exister sans eux –, s’il faut définir, ne serait-ce que ses relations avec le gouvernement civil, ou les détails qui qualifient la vraie profession de foi chrétienne, une autorité est sûrement indispensable ; elle donnera de la précision à ce qui est vague, une assise ferme à ce qui restait empirique ; elle ratifiera les étapes successives d’un progrès si complexe, et garantira la validité des conclusions (inférences) qui doivent servir de prémisses à de nouvelles investigations.

Il est vrai que l’on peut, comme je le montrerai dans la suite, indiquer des marques pour reconnaître la fidélité des développements en général ; mais, si elles peuvent nous aider dans nos recherches et fortifier nos conclusions sur des points particuliers, elles restent insuffisantes pour guider les individus quand il s’agit d’un problème aussi vaste et aussi complexe que le christianisme. Elles ont un caractère scientifique, pour la controverse, mais non un caractère pratique ; elles sont des instruments pour arriver à des décisions correctes plutôt qu’une garantie de leur rectitude. Disons plus : elles permettent de répondre aux objections faites contre les décisions actuelles de l’autorité, plutôt qu’elles n’apportent des preuves de leur légitimité. Si donc il est probable, d’un côté, que des moyens nous seront accordés par Dieu pour reconnaître les développements vrais et légitimes de la révélation, il apparaît, de l’autre, que ces moyens doivent nécessairement être extérieurs aux développements eux-mêmes.

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Nous allons donner dans cette section des raisons qui permettent de conclure que, dans la mesure où il y a probabilité de développements vrais, de doctrine et de pratique, au sein du plan divin, dans cette même mesure il y aura probabilité pour que ce plan ait ménagé une autorité extérieure pour en juger, pour les séparer de la masse de spéculations purement humaines, d’extravagances, de corruptions et d’erreurs au milieu de laquelle ils se produisent. Ce n’est pas autre chose que la doctrine de l’infaillibilité de l’Église ; car on entend par infaillibilité, je le suppose, le pouvoir de décider si telles ou telles assertions théologiques ou morales, en quelque quantité que ce soit, sont vraies.

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Examinons avec soin l’état de la question. Si la doctrine chrétienne, telle qu’elle a été enseignée dès l’origine, est susceptible de développements fidèles et importants, comme nous l’avons soutenu dans la section précédente, c’est a priori un très fort argument en faveur de l’institution par Dieu d’un pouvoir qui mette le sceau de son autorité sur ces développements. La probabilité pour qu’ils soient reconnus comme vrais varie avec celle de leur vérité. Je dois concéder qu’il y a une différence entre l’idée de révéler et celle de garantir une vérité, et les deux choses sont souvent distinctes en fait. On trouve de par le monde des révélations diverses qui n’apportent avec elles aucune preuve de leur origine divine. Telles sont les suggestions intérieures et les lumières secrètes accordées à un si grand nombre de personnes ; telles sont les doctrines transmises chez les païens par tradition, cette « famille vague et dispersée de vérités religieuses, venues de Dieu à l’origine, mais errant de-ci de-là dans le monde, sans l’appui d’un miracle ou d’une demeure fixe, comme des pèlerins, et que seule une intelligence spirituelle peut discerner et séparer des légendes corrompues dont elles sont entremêlées [4] ».

Il n’y a rien de contradictoire dans la notion d’une révélation qui arriverait sans apporter la preuve qu’elle en est une ; exactement comme les sciences humaines, qui sont un don divin, mais auxquelles nous parvenons par nos facultés naturelles, sans qu’elles aient un titre à s’imposer à notre foi. Mais il n’en va pas de même du christianisme : c’est une révélation qui vient à nous comme telle, en bloc, objectivement, et en proclamant son infaillibilité ; et la seule question à résoudre pour nous concerne le contenu de cette révélation. Si donc les doctrines professées à l’origine entraînent comme conséquences naturelles et légitimes certaines grandes vérités, certains devoirs, certaines observances, il n’est que raisonnable d’inclure ces conséquences dans l’idée de la révélation elle-même, de les considérer comme en faisant partie ; et si la révélation n’est pas seulement vraie, mais garantie comme vraie, il faut admettre qu’elles tombent elles-mêmes sous le privilège de cette garantie. Le christianisme, à la différence des autres révélations de la volonté divine – sauf le judaïsme, dont il est la continuation –, est une religion objective, ou une révélation avec lettres de créance ; il est naturel, dis-je, de le regarder comme tel en bloc, et non pas seulement comme en partie sui generis, et en partie semblable aux autres. Tel il est au commencement, tel nous devons croire qu’il continue d’être ; si l’on accorde que certains amples développements sont vrais, ils doivent sûrement être accrédités comme tels.

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On fait cependant souvent, in limine, à la doctrine de l’infaillibilité, une objection trop importante pour n’être pas prise en considération. Comme toute connaissance religieuse, dit-on, repose sur une preuve morale et non sur une démonstration, la croyance à l’infaillibilité de l’Eglise doit porter ce même caractère. Mais y a-t-il chose plus absurde qu’une infaillibilité probable, ou une certitude qui reposerait sur le doute ? – Je crois parce que je suis sûr, et je suis sûr parce que je suppose ! Admettons que le privilège de l’infaillibilité soit apte, quand on y croit, à unir tous les esprits dans une même confession ; le fait qu’il ait été accordé est aussi difficile à prouver que les développements qu’il doit prouver ; c’est donc une plaisanterie, et il est peu probable qu’il entre dans un plan divin. Les partisans de Rome, a-t-on allégué, « insistent sur la nécessité d’un guide en matière religieuse, comme argument pour prouver qu’un tel guide a réellement été accordé. Mais il est naturel de demander comment les individus sauront avec certitude que Rome est infaillible... Comment peut-il y avoir un moyen de convaincre infailliblement l’esprit de l’infaillibilité de Rome ? Quelle preuve peut-on concevoir qui aboutisse à autre chose qu’à la probabilité du fait ? Et quel avantage présente un guide infaillible, si ceux qui doivent être guidés n’ont après tout qu’une opinion – c’est le terme des théologiens romains –, sur son infaillibilité ? [5] »

7

Cet argument cependant, – excepté quand on l’emploie, comme c’était le cas dans ce passage, contre des adversaires qui voudraient exiger pour la vérité religieuse des preuves absolument parfaites –, est certainement fallacieux. Car alors, puisque, de l’aveu de tous, les apôtres étaient infaillibles, l’argument porte contre leur infaillibilité, ou celle de l’Écriture, aussi fortement que contre celle de l’Eglise ; personne n’osera dire que les apôtres étaient infaillibles en vain, et cependant nous n’avons de ce privilège qu’une certitude morale. Bien plus, si nous ne pouvons invoquer que des raisons probables en faveur de l’infaillibilité de l’Eglise, nous n’en avons pas davantage pour affirmer que certaines choses sont impossibles, d’autres nécessaires, d’autres encore vraies et certaines ; et par conséquent les mots infaillibilité, nécessité, vérité, certitude, devraient être rayés du vocabulaire. Mais pourquoi est-il plus illogique de parler d’une infaillibilité incertaine que d’une vérité douteuse, ou d’une nécessité contingente, expressions qui traduisent pourtant des idées claires et indéniables ? En réalité, nous jouons sur des mots lorsque nous employons des arguments de ce genre. Quand nous disons qu’une personne est infaillible, nous entendons simplement que ce qu’elle dit est toujours vrai, qu’on doit toujours le croire, ou toujours le faire. Ces propositions sont équivalentes à la première ; ou elles sont inadmissibles, ou il faut renoncer à l’idée d’infaillibilité. Une infaillibilité probable, c’est le privilège probable de ne jamais se tromper ; accepter la doctrine d’une infaillibilité probable, c’est montrer foi et obéissance à une personne, en se fondant sur la probabilité qu’elle ne se trompe jamais dans ses déclarations ou ses commandements. Qu’y a-t-il de contradictoire dans cette idée ? Quels que soient les moyens particuliers de déterminer l’infaillibilité, nous pouvons laisser de côté cette objection abstraite [6].

chico.

chico.

C’est ce que j’appelle la « tradition prophétique » ; elle existe primordialement au sein de l’Eglise elle-même, et reste consignée pour nous, selon la mesure déterminée par la Providence, dans les écrits d’hommes éminents. « Garde le dépôt qui t’a été confié [1] », enjoint saint Paul à Timothée ; il dit cela parce que, en raison de son étendue et de son caractère indéterminé, cette tradition est particulièrement exposée à la corruption, si l’Eglise manque de vigilance. C’est là le corps d’enseignements qui est offert à tous les chrétiens, encore aujourd’hui, bien que sous des formes et à des degrés différents de vérité, dans les diverses parties du monde chrétien ; c’est en partie un commentaire, en partie une addition aux articles du Credo [2] »
le credo n'est pas biblique et de quel credo il parle celui des apôtres ou celui de Nicée Constantinople ?

Psalmiste

Psalmiste

Si le 1er pape était l'apotre Pierre (St Pierre), alors il était loin d'etre infaillible !

Josué

Josué
Administrateur



Infaillibilité de l’Eglise et jugement privé

Source : « Apologia Pro Vita Sua », Genève, Ad Solem, 2003, p. 434-442

vendredi 17 octobre 2008, par Blaise















Envisagé dans sa plénitude, ce pouvoir [l’infaillibilité] est aussi énorme que le mal gigantesque qui l’a fait naître. Il faut qu’il soit amené à s’exercer de façon légitime ; sans cela il reste, bien entendu, en veilleuse. Cette condition étant observée, il prétend connaître avec certitude, et dans les moindres détails, le sens exact de toutes les parties du message divin confié par Notre-Seigneur à ses apôtres. Il prétend connaître ses propres limites et décider ce qu’il peut ou ne peut pas déterminer d’une manière absolue. Il prétend, en outre, avoir prise sur des questions qui ne sont pas directement religieuses, tout au moins pour déterminer si elles ont un rapport direct avec la religion, et pour juger tout simplement dans certains cas particuliers si elles sont d’accord avec la vérité révélée. Il prétend décider en maître si tels ou tels principes, soit au-dedans, soit au-dehors de sa juridiction, sont ou ne sont pas, préjudiciables au depositum de la foi dans leur esprit ou leurs conséquences, et d’après cela, les autoriser ou les condamner et les interdire. Il prétend imposer silence à son gré sur toutes les manières ou controverses doctrinales qu’il déclarerait dangereuses, inutiles ou inopportunes, d’après son propre ipse dixit. Quel que soit le jugement des catholiques sur tels de ses actes, il prétend que ceux-ci doivent être reçus par eux avec les marques de respect, de soumission et de fidélité, que les Anglais par exemple, doivent à la présence de leur souverain, sans les critiquer, sous prétexte qu’ils sont au fond inopportuns ou violents et sévères dans leur façon. Il prétend enfin avoir le droit d’infliger des châtiments spirituels, de supprimer les secours habituels qui mènent à la vie divine, et tout simplement d’excommunier ceux qui refusent de se soumettre à ses déclarations formelles. Telle est, vue sous son aspect extérieur, revêtue et entourée des attributs de sa haute souveraineté, l’infaillibilité qui réside dans l’Eglise catholique. C’est, comme je l’ai dit, un pouvoir suréminent et prodigieux envoyé sur la terre pour combattre et maîtriser un mal gigantesque.

Et maintenant, après l’avoir ainsi décrit, je professe ma soumission absolue au droit que réclame l’Eglise catholique. Je crois tout le dogme révélé comme enseigné par les apôtres, confié par eux à l’Eglise, et imposé par l’Eglise à moi-même. Je le prends tel qu’il est infailliblement interprété par l’autorité à laquelle il a été confié, et (implicitement) tel qu’il sera interprété de nouveau par cette même autorité, jusqu’à la fin des temps. De plus, je me soumets aux traditions de l’Eglise universellement reçues, dans lesquelles se trouve la matière des nouvelles définitions dogmatiques qui sont faites de temps à autre, et qui sont à toutes les époques, la façon de présenter et d’expliquer le dogme catholique déjà défini. Je me soumets également à ces autres décisions du Saint-Siège, théologiques ou non, transmises par les organes qu’il a lui-même désignés, décisions qui ont le droit de se présenter à moi en demandant à être reconnues et obéies, même si j’écarte la question de leur infaillibilité et qu’elles se présentent avec des titres très modestes à mon assentiment. J’admets aussi, qu’au cours des âges, la recherche de la vérité catholique a pris peu à peu certaines formes déterminées, et s’est constituée comme une science, avec une méthode et un vocabulaire qui lui sont propres, sous la direction intellectuelle de grands esprits tels que saint Athanase, saint Augustin et saint Thomas ; je ne me sens nullement tenté de mettre en pièces ce legs intellectuel qui nous a été ainsi transmis pour les temps présents.

Telle est la profession de foi que je fais ex animo, à la fois pour moi, et, autant que je sache, au nom de l’ensemble des catholiques. On déclarera à première vue que l’intelligence sans cesse en mouvement de l’humanité ordinaire, que tout effort personnel et toute action indépendante seront désormais réprimés ; si tel doit être le moyen de maintenir la raison dans l’ordre, elle ne s’y maintiendra que pour être détruite… Mais cela est loin d’être le résultat réel, loin de ce qui est, à mon sens, l’intention de cette sublime Providence qui a fourni un grand remède pour un grand mal. Ce n’est pas du tout, en effet, ce qui se dégage historiquement du conflit entre l’infaillibilité et la raison dans le passé, ni la perspective de ce qu’il sera dans l’avenir. L’énergie de l’intelligence humaine « croît en raison de l’opposition » ; elle se développe avec joie et avec vigueur, rude et souple, sous les terribles coups de l’arme forgée par la main divine, et n’est jamais plus en possession d’elle-même que lorsqu’elle vient d’être terrassée.

Les écrivains protestants ont coutume de penser que deux grands principes agissent dans l’histoire de la religion, l’autorité et le jugement privé, et que ce dernier leur est spécialement attribué, tandis que nous héritons entièrement de l’autorité et que nous sommes écrasés par elle. Mais il n’en est pas ainsi ; c’est le vaste corps catholique lui-même, et lui seul, qui a les moyens de fournir l’arène aux deux combattants pour ce duel terrible et sans fin. Il est nécessaire, pour la vie même de la religion considérée dans ses grandes œuvres et dans son histoire, que cette guerre continue sans interruption. Chaque fois que l’infaillibilité s’exerce, son action résulte d’un déploiement intense et varié de la raison, tour à tour son alliée et son adversaire ; son œuvre accomplie, elle provoque encore une réaction de la raison contre elle. De même que dans un gouvernement civil, l’Etat existe et se soutient grâce aux rivalités et aux heurts, aux succès et aux défaites des partis qui le composent, de même la chrétienté catholique offre à nos regards, non pas un simple tableau d’absolutisme religieux, mais le spectacle du flux et du reflux constant de l’autorité et du jugement privé, avançant et se retirant alternativement comme la marée. C’est une vaste réunion d’êtres humains, doués d’intelligences opiniâtres et de passions sauvages, qui sont réunis par la beauté et la majesté d’un pouvoir surhumain, dans ce qu’on pourrait appeler une grande école de correction ou d’apprentissage. Ces êtres sont rassemblés là, non comme dans un hôpital pour y être couchés ou dans une prison pour y être ensevelis vivants, mais s’il m’est permis de changer de métaphore, comme dans un atelier moral destiné à fondre, à épurer, et à mouler, par un procédé continuel et éclatant, la matière brute de la nature humaine, si excellente, si dangereuse, si capable d’accomplir les desseins de Dieu.

Saint Paul dit à un endroit que le pouvoir apostolique lui a été donné pour édifier et non pour détruire. Rien ne peut mieux définir le rôle de l’infaillibilité de l’Eglise. C’est un pouvoir créé pour un besoin et il ne s’exerce pas au-delà. Son objet, de même que son effet, n’est pas d’affaiblir la liberté ou la vigueur de la pensée humaine dans les spéculations religieuses, mais d’en contenir et d’en contrôler les excès. Quelles grandes besognes l’infaillibilité n’a-t-elle pas accomplies dans le domaine de la théologie : renverser l’arianisme, l’eutychianisme, le pélagianisme, le manichéisme, le luthérianisme, le jansénisme ! Telle est l’ampleur du résultat obtenu dans le passé ; et, à présent, venons aux garanties qui nous sont données qu’elle agira toujours de même, en temps voulu, dans l’avenir.

D’abord, l’infaillibilité ne peut pas sortir d’un domaine bien déterminé de pensées, et elle doit dans toutes ses décisions ou définitions, ainsi qu’on les nomme, déclarer qu’elle s’y maintient. Les grandes vérités de la loi morale, de la religion naturelle et de la foi apostolique sont à la fois ses bornes et sa base. Elle ne doit pas les dépasser et elle doit toujours s’y référer. Son objet et les articles de cet objet lui sont fixés. Elle doit toujours déclarer qu’elle est guidée par l’Ecriture et la tradition. Elle doit s’en référer à celle des vérités apostoliques qu’elle met en relief, ou (d’après le terme le plus courant) qu’elle définit. Donc rien, à l’avenir, ne peut m’être présenté comme faisant partie de la foi sinon des vérités que j’aurais dû admettre précédemment mais que – si tel est le cas – je n’ai pas eu la possibilité d’admettre pour la seule raison qu’elles n’ont pas été portées à ma connaissance. Rien qui soit d’une nature différente de mes croyances actuelles, et bien moins encore d’une nature opposée, ne peut m’être imposé. La nouvelle vérité qui est promulguée, si toutefois elle doit être appelée nouvelle, doit du moins être homogène, analogue, implicite, par rapport à l’ancienne vérité. Elle doit être telle, que j’aie même pu deviner qu’elle était comprise dans la révélation apostolique, ou souhaiter qu’elle le fût ; enfin cette vérité devra au moins être d’une nature telle, que mes pensées s’accorderont avec elle, ou s’y rattacheront, aussitôt entendue. Il se peut que d’autres, comme moi, aient toujours cru à cette vérité nouvellement promulguée ; et la seule chose qui est réglée désormais en ma faveur, c’est que j’ai maintenant la satisfaction de savoir que j’ai toujours tenu pour la vérité ce que les apôtres ont tenu pour telle avant moi.

Ainsi, considérons la doctrine qui, pour les protestants, est notre plus grande difficulté, celle de l’Immaculée Conception. Ici, je prie instamment le lecteur de suivre mon idée directrice qui est celle-ci : je n’éprouve aucune difficulté à accepter cette doctrine, et cela parce qu’elle est en intime harmonie avec le cycle des vérités dogmatiques reconnues, dans lequel elle vient d’être récemment admise. Mais, si je n’éprouve aucune difficulté, pourquoi un autre ne serait-il pas comme moi ? Pourquoi n’y en aurait-il pas cent ? Pourquoi pas mille ? Pour moi, je suis convaincu que les catholiques en général n’éprouvent aucune difficulté intellectuelle au sujet de l’Immaculée Conception, et qu’ils n’ont aucune raison d’en éprouver. Les prêtres n’éprouvent aucune difficulté. On a beau dire qu’ils devraient en éprouver, ils n’en éprouvent pas. Ayez l’esprit assez large pour croire qu’il existe des hommes qui peuvent raisonner et sentir de façon très différente de la vôtre. Comment se fait-il que les hommes, lorsqu’ils sont abandonnés à eux-mêmes, finissent par adopter des formes de religion si diverses, si ce n’est parce qu’il y a parmi eux des esprits aux tournures diverses, très distinctes les unes des autres ? Si vous croyez en mon propre témoignage, jugez-en de même pour d’autres catholiques. Nous ne trouvons pas de difficultés là où vous en trouvez dans les thèses que nous admettons ; et nous ne voyons aucune difficulté intellectuelle dans cette thèse particulière que vous appelez une nouveauté du jour. Nous, prêtres, nous n’avons pas besoin d’être des hypocrites parce qu’il nous est demandé de croire en l’Immaculée Conception. Pour les nombreux croyants de ce type, qui adhèrent au christianisme à notre manière, c’est-à-dire avec les dispositions, l’esprit et la lumière (quel que soit le mot dont on se serve) selon lesquels les catholiques y croient, pour tous ceux-là, ce n’est pas une lourde épreuve d’admettre que la Bienheureuse Vierge Marie ait été conçue sans la tache du péché originel ; au fond, c’est la pure vérité de fait que les catholiques n’ont pas été amenés à croire en cette doctrine parce qu’elle a été définie, mais qu’elle l’a été parce qu’ils y croyaient.

La définition qui en a été donnée en 1854, loin d’avoir été imposée tyranniquement au monde catholique, a été reçue partout avec le plus grand enthousiasme lorsqu’elle fut promulguée. Ce fut par suite de la demande présentée de toutes parts au Saint-Siège, afin d’obtenir une déclaration ex cathedra, proclamant cette doctrine comme apostolique, que cette déclaration fut faite. Je n’ai jamais entendu parler d’un seul catholique qui eût des difficultés à accepter cette doctrine, et dont la foi ne fût pas déjà suspecte sur d’autres points. Il y eut, bien entendu, des hommes graves et pieux qui se demandèrent avec inquiétude s’il pouvait être prouvé formellement, soit par l’Ecriture, soit par la tradition, que cette doctrine était apostolique. En conséquence, ces hommes, tout en la croyant eux-mêmes, ne voyaient pas comment elle pouvait être définie avec cette autorité et imposée à tous les catholiques comme article de foi ; mais cela est une autre question. Le point dont il s’agit est de savoir si cette doctrine est un fardeau. Je ne le crois pas. Elle semble si loin d’en être un, que saint Bernard et saint Thomas (qui, de leur temps, s’étaient fait un scrupule de la reconnaître), s’ils vivaient aujourd’hui se réjouiraient, je le crois sincèrement, de l’accepter pour elle-même. C’était, à mon sens, une affaire de mots, d’idées et d’arguments qui les embarrassait. Ils croyaient cette doctrine incompatible avec d’autres ; ceux qui la défendaient à cette époque n’avaient pas cette précision dans la manière de la concevoir qui n’a pu être atteinte qu’après les longues disputes des siècles suivants. C’est de ce manque de précision que provenaient la divergence d’opinions et la controverse.

L’exemple que j’ai choisi me suggère une autre remarque : nous ne risquons pas d’être accablés par la multiplicité de ces nouvelles doctrines (ainsi qu’on les nomme) s’il faut huit siècles pour en promulguer une seule. Tel est à peu près le temps durant lequel s’est préparée la définition de l’Immaculée Conception. Il est évident qu’il s’agit d’un cas extraordinaire, mais il est difficile de préciser ce que serait un cas ordinaire, si l’on considère le petit nombre d’occasions précises dans lesquelles l’infaillibilité s’est solennellement fait entendre. C’est le pape à la tête du Concile œcuménique que nous regardons comme le siège normal de l’infaillibilité ; or, il n’y a eu que dix-huit conciles œcuméniques depuis que le christianisme existe –en moyenne un par siècle. Parmi ces conciles, certains ne rendirent pas de décret doctrinal, d’autres ne s’occupèrent que d’un seul, et plusieurs ne s’intéressèrent qu’à des points élémentaires du symbole. Certes, le concile de Trente embrassa un vaste ensemble doctrinal, mais je pourrais appliquer à ses canons une remarque tirée d’un sermon universitaire [1] dont la brochure qui me fait écrire ce livre a fait la critique avec tant d’ignorance. J’ai dit dans ce sermon, que les différents articles du symbole de saint Athanase n’étaient que des répétitions, sous différentes formes, d’une seule et même idée ; de même les décrets du concile de Trente ne sont pas isolés les uns des autres, mais ont pour but d’exposer en détail, par un certain nombre de déclarations séparées, et, pour en faire une sorte d’ensemble organique, un petit nombre de vérités nécessaires. Je ferai la même remarque à propos des différentes censures théologiques promulguées par les papes et reçues par l’Eglise, et à propos de leurs décisions dogmatiques en général. J’avoue qu’à première vue, ces décisions semblent, par leur grand nombre, être un plus lourd fardeau pour la foi des individus que les canons des conciles ; cependant je ne crois pas qu’en fait, il en soit du tout ainsi, et voici la raison que j’en donne : ce n’est pas qu’un catholique, laïque ou prêtre, soit indifférent à ce sujet ou que, par une sorte d’insouciance, il accepte tout ce qu’on lui présente, ou encore qu’il soit, comme un avocat, toujours prêt à parler suivant le besoin de la cause ; mais, c’est que par de telles censures, le Saint-Siège s’engage la plupart du temps à condamner une ou deux grandes lignes d’erreurs telles que le luthéranisme ou le jansénisme, erreurs plutôt morales que doctrinales, qui s’écartent de l’esprit du catholicisme. Il ne fait qu’exprimer ce que tout bon catholique d’intelligence courante, même si ce n’est pas un érudit, dirait lui-même, par simple bon sens si la question pouvait lui être soumise.

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