[size=33]À Washington, un sulfureux musée de la Bible ouvre près du Capitole[/size]
Modifié le 15/11/2017 à 12:49 - Publié le 15/11/2017 à 09:21 | Le Point.fr
Steve Green est le fondateur et principal bailleur de fonds du musée qui ouvre ses portes vendredi 17 novembre à Washington. SAUL LOEB / AFP
Rarement un musée aura suscité autant de polémiques et de critiques avant son ouverture, programmée pour ce vendredi 17 novembre. Il y a d'abord son fondateur et principal bailleur de fonds, Steve Green. Les Green ont fait fortune à la tête d'Hobby Lobby, une chaîne de magasins de loisirs créatifs qui compte plus de 500 succursales dans tout le pays et emploie 13 000 personnes. Ce sont des chrétiens évangéliques purs et durs, qui ferment leurs magasins le dimanche, croient en l'interprétation littérale de la Bible et financent toutes sortes de causes chrétiennes, des universités, des films religieux, des librairies…
Les Green sont devenus célèbres en 2014, lorsqu'ils ont tenu tête à l'administration Obama. Ils ont intenté une action en justice en refusant de payer l'assurance santé de leurs employés si elle comportait le remboursement de certains moyens contraceptifs, car ça allait à l'encontre de leurs idées religieuses. La Cour suprême leur a donné gain de cause et ils sont devenus des héros de la droite ultra.
Il y a eu, ensuite, le choix de l'emplacement du musée à Washington, à deux pas du Capitole. Cela a été interprété comme un but de propagande et de lobbying pour les causes conservatrices. Il y a, enfin, l'origine des pièces exposées. Les Green ont commencé à collectionner des tablettes et des textes sacrés en 2009. En un temps remarquablement court, ils ont assemblé plus de 40 000 objets.
Pour notre première visite, on ne savait pas très bien à quoi s'attendre en arrivant devant le bâtiment imposant. Tout d'abord, il est clair que la mission du musée, du moins officiellement, a changé. Le but, lit-on sur le site internet, est d'« inviter tous les gens à s'intéresser à l'histoire, au récit et à l'impact de la Bible ». Devant les journalistes, Steve Green répète en boucle que « le rôle du musée n'est pas d'épouser une foi ou de faire du prosélytisme ». « Nous voulons juste présenter les faits du livre. Et c'est au visiteur de se faire sa propre opinion. »
Il y a une partie Disneyland, où l'on voit une reconstitution de Nazareth sous Jésus avec de faux oliviers et le bêlement enregistré des chèvres. Une plongée son et lumière dans l'Ancien Testament avec Caïn et Abel, le Déluge, le passage de la mer Rouge… Un jardin de l'Eden un peu tristounet, sans doute parce que, comme l'explique le programme, aux latitudes de Washington, il est difficile de faire pousser des plantes de Galilée. Sans oublier un restaurant, baptisé Manne, qui offre, outre de l'houmous et des falafels, des macaronis au fromage et des frites à l'aïoli, nourriture biblique bien connue.
Le dernier étage, lui, s'adresse plutôt à des érudits qui connaissent leur histoire religieuse sur le bout des doigts. On y montre comment la Bible s'est inspirée de textes plus anciens comme L'Épopée de Gilgamesh, limité à un petit nombre jusqu'à devenir, après Gutenberg, le livre le plus lu au monde. Mais il manque des explications sur la manière dont la Bible a été écrite et transmise, sur les variantes, les évangiles apocryphes… Sans doute parce que, si l'on montre les différentes versions et les désaccords entre chrétiens, cela remet en question la fiabilité du texte.
Pour le visiteur lambda, l'étage le plus intéressant est celui qui décrit l'influence de la Bible sur la culture, la musique, l'architecture, la science et, bien sûr, l'histoire américaine. « Le but était de ne pas donner une perspective trop évangélique ou trop américaine », explique le Dr Gordon Campbell, un spécialiste d'études religieuses à l'université de Leicester, qui a conseillé le musée. Les évangéliques ont aussi tendance à ne voir que les apports positifs de la Bible. Les historiens responsables du projet ont donc tenu à rectifier un peu la perspective, sans, disent-ils, avoir subi de pressions de la part des Green. Par exemple, dans le débat sur l'esclavage, la Bible a servi à la fois dans les arguments des deux camps. Dans une des vitrines, on peut voir une bible pour les esclaves expurgée des passages qui pouvaient leur donner espoir comme l'Exode.
Il y a un seul tableau que le musée a absolument tenu à exposer malgré l'avis hostile des experts. C'est la fameuse peinture d'Arnold Friberg, La Prière à Valley Forge, où on voit George Washington en train de prier à genoux près de son cheval. C'est sans doute historiquement faux. Le premier président des États-Unis n'était pas religieux et ne priait pas à genoux. Mais le tableau est devenu un symbole. La notice remarque tout de même que ses sentiments religieux « sont un sujet de débat » et que ce tableau dépeint un « moment imaginaire ». Ce qui risque fort de déplaire aux évangéliques…
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Un gigantesque musée financé par une famille évangélique controversée sera inauguré vendredi. Avec de faux oliviers, de l'houmous et des falafels...
DE NOTRE CORRESPONDANTE À WASHINGTON, HÉLÈNE VISSIÈREModifié le 15/11/2017 à 12:49 - Publié le 15/11/2017 à 09:21 | Le Point.fr
Steve Green est le fondateur et principal bailleur de fonds du musée qui ouvre ses portes vendredi 17 novembre à Washington. SAUL LOEB / AFP
Rarement un musée aura suscité autant de polémiques et de critiques avant son ouverture, programmée pour ce vendredi 17 novembre. Il y a d'abord son fondateur et principal bailleur de fonds, Steve Green. Les Green ont fait fortune à la tête d'Hobby Lobby, une chaîne de magasins de loisirs créatifs qui compte plus de 500 succursales dans tout le pays et emploie 13 000 personnes. Ce sont des chrétiens évangéliques purs et durs, qui ferment leurs magasins le dimanche, croient en l'interprétation littérale de la Bible et financent toutes sortes de causes chrétiennes, des universités, des films religieux, des librairies…
Les Green sont devenus célèbres en 2014, lorsqu'ils ont tenu tête à l'administration Obama. Ils ont intenté une action en justice en refusant de payer l'assurance santé de leurs employés si elle comportait le remboursement de certains moyens contraceptifs, car ça allait à l'encontre de leurs idées religieuses. La Cour suprême leur a donné gain de cause et ils sont devenus des héros de la droite ultra.
Une vue de l'arche d'Alliance à la Museum of the Bible, à Washington. © SAUL LOEB / AFP
À deux pas du Capitole
Lorsqu'ils ont annoncé la construction d'un musée de la Bible à Washington, certains ont pensé qu'ils allaient en faire un temple à la gloire du fondamentaliste chrétien. La nation est « en danger », avait déclaré Steve Green, « à cause de l'ignorance des enseignements de Dieu ». Selon lui, la mission du musée était de « donner vie à la parole vivante de Dieu », d'« inspirer confiance dans l'autorité absolue et la fiabilité de la Bible ». Il avait même pensé distribuer à la sortie des tracts religieux aux visiteurs.Il y a eu, ensuite, le choix de l'emplacement du musée à Washington, à deux pas du Capitole. Cela a été interprété comme un but de propagande et de lobbying pour les causes conservatrices. Il y a, enfin, l'origine des pièces exposées. Les Green ont commencé à collectionner des tablettes et des textes sacrés en 2009. En un temps remarquablement court, ils ont assemblé plus de 40 000 objets.
Antiquités exportées illégalement
Mais, il y a quelques mois, ils ont dû payer 3 millions de dollars d'amende pour avoir acquis des antiquités exportées illégalement d'Irak et ont rendu plus de 5 000 objets. Il reste cependant des doutes sur l'authenticité de certaines pièces, dont quelques manuscrits de la mer Morte qu'ils ont exposés dans le musée. Du coup, dans les vitrines, une notice précise : « Est-ce que ces fragments sont vrais ? La recherche continue. »Des visiteurs regardent des textes sur la Mer mort au Musée de la Bible, à Washington. © SAUL LOEB / AFP
Pour notre première visite, on ne savait pas très bien à quoi s'attendre en arrivant devant le bâtiment imposant. Tout d'abord, il est clair que la mission du musée, du moins officiellement, a changé. Le but, lit-on sur le site internet, est d'« inviter tous les gens à s'intéresser à l'histoire, au récit et à l'impact de la Bible ». Devant les journalistes, Steve Green répète en boucle que « le rôle du musée n'est pas d'épouser une foi ou de faire du prosélytisme ». « Nous voulons juste présenter les faits du livre. Et c'est au visiteur de se faire sa propre opinion. »
Jésus, les faux oliviers et le bêlement des chèvres
Et il est vrai que les différences expositions n'essaient pas de donner d'interprétation ou d'évangéliser les foules. Sans doute car le musée a embauché des experts et des universitaires respectés qui se sont efforcés d'offrir des perspectives plus balancées. Finalement, on ne sort ni converti ni convaincu. Le musée est un mélange de bric et de broc un peu déroutant, qui semble avoir été conçu pour différents publics et laisse sur sa faim.Il y a une partie Disneyland, où l'on voit une reconstitution de Nazareth sous Jésus avec de faux oliviers et le bêlement enregistré des chèvres. Une plongée son et lumière dans l'Ancien Testament avec Caïn et Abel, le Déluge, le passage de la mer Rouge… Un jardin de l'Eden un peu tristounet, sans doute parce que, comme l'explique le programme, aux latitudes de Washington, il est difficile de faire pousser des plantes de Galilée. Sans oublier un restaurant, baptisé Manne, qui offre, outre de l'houmous et des falafels, des macaronis au fromage et des frites à l'aïoli, nourriture biblique bien connue.
Partie du musée de la Bible où l’on voit une reconstitution de Nazareth sous Jésus avec de faux oliviers et le bêlement enregistré des chèvres. © SAUL LOEB / AFP
Le dernier étage, lui, s'adresse plutôt à des érudits qui connaissent leur histoire religieuse sur le bout des doigts. On y montre comment la Bible s'est inspirée de textes plus anciens comme L'Épopée de Gilgamesh, limité à un petit nombre jusqu'à devenir, après Gutenberg, le livre le plus lu au monde. Mais il manque des explications sur la manière dont la Bible a été écrite et transmise, sur les variantes, les évangiles apocryphes… Sans doute parce que, si l'on montre les différentes versions et les désaccords entre chrétiens, cela remet en question la fiabilité du texte.
Pour le visiteur lambda, l'étage le plus intéressant est celui qui décrit l'influence de la Bible sur la culture, la musique, l'architecture, la science et, bien sûr, l'histoire américaine. « Le but était de ne pas donner une perspective trop évangélique ou trop américaine », explique le Dr Gordon Campbell, un spécialiste d'études religieuses à l'université de Leicester, qui a conseillé le musée. Les évangéliques ont aussi tendance à ne voir que les apports positifs de la Bible. Les historiens responsables du projet ont donc tenu à rectifier un peu la perspective, sans, disent-ils, avoir subi de pressions de la part des Green. Par exemple, dans le débat sur l'esclavage, la Bible a servi à la fois dans les arguments des deux camps. Dans une des vitrines, on peut voir une bible pour les esclaves expurgée des passages qui pouvaient leur donner espoir comme l'Exode.
Marie a son pan de mur
Pour prouver qu'il ne s'agit pas d'un musée uniquement évangélique, il y a, par exemple, un pan de mur consacré à Marie, dont le rôle est nettement plus important chez les catholiques. Parmi les images de madones, on trouve également une photo d'une Indienne avec son bébé, d'une immigrée à Ellis Island. Pas très politiquement correct pour les conservateurs.La fameuse peinture de La prière à Valley Forge, où on voit George Washington à genoux en train de prier près de son cheval, fait polémique © Image of George Washington, "The Prayer at Valley" by Arnold Friberg
Il y a un seul tableau que le musée a absolument tenu à exposer malgré l'avis hostile des experts. C'est la fameuse peinture d'Arnold Friberg, La Prière à Valley Forge, où on voit George Washington en train de prier à genoux près de son cheval. C'est sans doute historiquement faux. Le premier président des États-Unis n'était pas religieux et ne priait pas à genoux. Mais le tableau est devenu un symbole. La notice remarque tout de même que ses sentiments religieux « sont un sujet de débat » et que ce tableau dépeint un « moment imaginaire ». Ce qui risque fort de déplaire aux évangéliques…
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