“Depuis les attentats, j'ai peur d'aller à la messe“
JACQUES ARÈNES, PSYCHOLOGUE ET PSYCHANALYSTE publié le 31/05/2017
Chaque semaine, le psychologue et psychanalyste Jacques Arènes – Questions de vie. Un psy face aux détresses d’aujourd’hui (Points) – répond à une interrogation existentielle ou spirituelle. Pour lui poser une question vous aussi, écrivez à : j.arenes@lavie.fr.
« Je vous écris pour un problème un peu particulier. Depuis les attentats qui ont secoué la France, je n'arrive plus à aller dans les endroits publics clos. Je ne vais plus au cinéma, au théâtre. Et je n'arrive plus à aller à la messe non plus. Ce qui me manque beaucoup. Je n'ai aucune envie de mourir dans de telles conditions.
Je suis maman d'un petit garçon de 9 ans et je fais tout pour ne pas me mettre en position de danger. J'ai bien conscience que mon comportement est irrationnel. Ma tante n'ose plus aller à la messe elle non plus. Quand elle y va c'est dans de grandes églises dont l'entrée est surveillée.
Sommes-nous nombreux à ressentir cela ? J'ai l'impression d'être une mauvaise chrétienne mais j'ai toujours été contre le culte des martyrs que glorifie un peu trop à mon goût l'Église. Je me sens sans courage bien sûr.
Les célébrants de messe prennent-ils en compte le climat actuel en France ? Des mesures de sécurité ont-elles été mises en place dans les églises ?
Merci de me répondre sur ce sentiment ridicule de peur mais qui est pourtant bien présent.
Salutations. »
Florence
> La réponse de Jacques Arènes :
C’est courageux de votre part de décrire ce sentiment dont vous ne tirez pas gloire. Un sentiment irrationnel, mais pas totalement, puisque que vous le rationnalisez, à juste titre. Bien entendu, les églises, surtout les petites ne sont pas beaucoup protégées des attaques terroristes, voire pas du tout.
Je vous épargnerai, quant à moi, le discours habituel du type « il faut que la vie continue », « montrons que nous n’avons pas peur », etc. Ces rodomontades sont inefficaces parce que, justement, nous avons peur, d’une manière différente selon les personnes. Pour beaucoup de gens – c’est ainsi mon cas – cela reste assez abstrait. Et c’est alors seulement une vague inquiétude. Cela peut arriver pas loin de chez moi, puisque j’habite une grande ville. Mais cela reste, pour moi et pour d’autres, presque sans affect. C’est l’avantage de ne pas avoir beaucoup d’imagination, ou plutôt de ne pas avoir l’imagination qui galope. Ce n’est donc pas la dimension objective de la menace – qui existe évidemment, mais reste statistiquement improbable – qui devient envahissante, mais l’imaginaire de la peur, dont il ne faut pas se moquer.
Personne ne vous demande le martyre, mais vous y pensez quand même. Et vous n’en voulez pas. Ce serait d’ailleurs un martyre étrange, pour lequel vous ne connaitriez pas le visage de celui ou celle qui vous condamnerait, sans avoir même pu ouvrir la bouche pour vous défendre. Vous employez néanmoins le mot parce que vous percevez que resurgit aujourd’hui une violence qui détient une dimension religieuse. Votre foi est provoquée par cette peur, même si vous n’avez pas à en témoigner. Et vous la sentez fragile face à cette peur, qui ne concerne pas seulement vous-même, mais aussi l’enfant dont vous êtes responsable.
Le fait de pratiquer sa propre religion n’est pas facile dans divers endroits du monde, et nous nous en rendons – un peu – compte ici dans la période particulière qui est la nôtre. Avec votre peur, vous faites et ferez ce que vous pouvez. Si l’ambiance générale de notre pays ne s’améliore pas dans les mois quoi viennent, ce qui est fort possible si les attentats continuent, votre courage ne sera pas de vous forcer à aller à la messe dans de petites églises, mais de déterminer comment la peur qui vous habite secoue votre foi, et comment cette dernière peut vous aider à apprivoiser la première. La témérité ou la naïveté seraient de dénier la peur, ou de faire comme si elle n’existait pas. Votre maturité et votre humilité vous permettent donc d’oser la considérer et de tenter de faire avec, et, peut-être, de prendre les précautions qui vous rassurent, fussent-elles dérisoires.
Mais, c’est une seconde étape, vous avez à explorer les zones de votre foi qui sont arraisonnées par l’angoisse. Il s’agit alors d’utiliser les trésors de votre religion pour vous confronter à cette angoisse par la réflexion, l’action ou la prière. Cette épreuve est aussi épreuve de vérité. Elle vous donnera l’occasion de mieux connaître les vérités qui vous soutiennent, et aussi ce qui peut les ébranler. La violence religieuse n’est pas nouvelle, les chrétiens le savent bien, puisqu’ils l’ont connu, et « pratiquée ». La dimension profonde, vitale de l’adhésion croyante provoque parfois, d’une manière apparemment paradoxale, des dérives funestes, personnelles ou collectives.
Mais, la foi – je parle des grandes traditions religieuses – est surtout, et d’abord, source de vie. C’est un combat intérieur que vous avez alors à mener, au sein de ce qui vous fait vivre, pour ne pas vous laisser piéger par cette angoisse, pour une part légitime, qui transformerait votre vie intérieure et votre regard sur le monde, et leur donneraient une coloration mortifère. Rien ne vous interdit d’en parler à d’autres, ceux qui vous sont proches ou fréquentent la même paroisse, non pas pour qu’ils vous plaignent, mais pour expérimenter une forme de solidarité dans votre ébranlement actuel. Solidarité qui pourrait aller jusqu’à la prière commune vous unissant à ces proches, et plus largement à tous ceux qui, dans le monde, expérimentent ce type de peur, et même une plus grande détresse. La peur incite à l’isolement : c’est l’enjeu psychique et spirituel de votre détresse actuelle.
http://www.lavie.fr/bien-etre/question-de-vie/depuis-les-attentats-j-ai-peur-d-aller-a-la-messe-31-05-2017-82456_547.php
JACQUES ARÈNES, PSYCHOLOGUE ET PSYCHANALYSTE publié le 31/05/2017
Chaque semaine, le psychologue et psychanalyste Jacques Arènes – Questions de vie. Un psy face aux détresses d’aujourd’hui (Points) – répond à une interrogation existentielle ou spirituelle. Pour lui poser une question vous aussi, écrivez à : j.arenes@lavie.fr.
« Je vous écris pour un problème un peu particulier. Depuis les attentats qui ont secoué la France, je n'arrive plus à aller dans les endroits publics clos. Je ne vais plus au cinéma, au théâtre. Et je n'arrive plus à aller à la messe non plus. Ce qui me manque beaucoup. Je n'ai aucune envie de mourir dans de telles conditions.
Je suis maman d'un petit garçon de 9 ans et je fais tout pour ne pas me mettre en position de danger. J'ai bien conscience que mon comportement est irrationnel. Ma tante n'ose plus aller à la messe elle non plus. Quand elle y va c'est dans de grandes églises dont l'entrée est surveillée.
Sommes-nous nombreux à ressentir cela ? J'ai l'impression d'être une mauvaise chrétienne mais j'ai toujours été contre le culte des martyrs que glorifie un peu trop à mon goût l'Église. Je me sens sans courage bien sûr.
Les célébrants de messe prennent-ils en compte le climat actuel en France ? Des mesures de sécurité ont-elles été mises en place dans les églises ?
Merci de me répondre sur ce sentiment ridicule de peur mais qui est pourtant bien présent.
Salutations. »
Florence
> La réponse de Jacques Arènes :
C’est courageux de votre part de décrire ce sentiment dont vous ne tirez pas gloire. Un sentiment irrationnel, mais pas totalement, puisque que vous le rationnalisez, à juste titre. Bien entendu, les églises, surtout les petites ne sont pas beaucoup protégées des attaques terroristes, voire pas du tout.
Je vous épargnerai, quant à moi, le discours habituel du type « il faut que la vie continue », « montrons que nous n’avons pas peur », etc. Ces rodomontades sont inefficaces parce que, justement, nous avons peur, d’une manière différente selon les personnes. Pour beaucoup de gens – c’est ainsi mon cas – cela reste assez abstrait. Et c’est alors seulement une vague inquiétude. Cela peut arriver pas loin de chez moi, puisque j’habite une grande ville. Mais cela reste, pour moi et pour d’autres, presque sans affect. C’est l’avantage de ne pas avoir beaucoup d’imagination, ou plutôt de ne pas avoir l’imagination qui galope. Ce n’est donc pas la dimension objective de la menace – qui existe évidemment, mais reste statistiquement improbable – qui devient envahissante, mais l’imaginaire de la peur, dont il ne faut pas se moquer.
Personne ne vous demande le martyre, mais vous y pensez quand même. Et vous n’en voulez pas. Ce serait d’ailleurs un martyre étrange, pour lequel vous ne connaitriez pas le visage de celui ou celle qui vous condamnerait, sans avoir même pu ouvrir la bouche pour vous défendre. Vous employez néanmoins le mot parce que vous percevez que resurgit aujourd’hui une violence qui détient une dimension religieuse. Votre foi est provoquée par cette peur, même si vous n’avez pas à en témoigner. Et vous la sentez fragile face à cette peur, qui ne concerne pas seulement vous-même, mais aussi l’enfant dont vous êtes responsable.
Le fait de pratiquer sa propre religion n’est pas facile dans divers endroits du monde, et nous nous en rendons – un peu – compte ici dans la période particulière qui est la nôtre. Avec votre peur, vous faites et ferez ce que vous pouvez. Si l’ambiance générale de notre pays ne s’améliore pas dans les mois quoi viennent, ce qui est fort possible si les attentats continuent, votre courage ne sera pas de vous forcer à aller à la messe dans de petites églises, mais de déterminer comment la peur qui vous habite secoue votre foi, et comment cette dernière peut vous aider à apprivoiser la première. La témérité ou la naïveté seraient de dénier la peur, ou de faire comme si elle n’existait pas. Votre maturité et votre humilité vous permettent donc d’oser la considérer et de tenter de faire avec, et, peut-être, de prendre les précautions qui vous rassurent, fussent-elles dérisoires.
Mais, c’est une seconde étape, vous avez à explorer les zones de votre foi qui sont arraisonnées par l’angoisse. Il s’agit alors d’utiliser les trésors de votre religion pour vous confronter à cette angoisse par la réflexion, l’action ou la prière. Cette épreuve est aussi épreuve de vérité. Elle vous donnera l’occasion de mieux connaître les vérités qui vous soutiennent, et aussi ce qui peut les ébranler. La violence religieuse n’est pas nouvelle, les chrétiens le savent bien, puisqu’ils l’ont connu, et « pratiquée ». La dimension profonde, vitale de l’adhésion croyante provoque parfois, d’une manière apparemment paradoxale, des dérives funestes, personnelles ou collectives.
Mais, la foi – je parle des grandes traditions religieuses – est surtout, et d’abord, source de vie. C’est un combat intérieur que vous avez alors à mener, au sein de ce qui vous fait vivre, pour ne pas vous laisser piéger par cette angoisse, pour une part légitime, qui transformerait votre vie intérieure et votre regard sur le monde, et leur donneraient une coloration mortifère. Rien ne vous interdit d’en parler à d’autres, ceux qui vous sont proches ou fréquentent la même paroisse, non pas pour qu’ils vous plaignent, mais pour expérimenter une forme de solidarité dans votre ébranlement actuel. Solidarité qui pourrait aller jusqu’à la prière commune vous unissant à ces proches, et plus largement à tous ceux qui, dans le monde, expérimentent ce type de peur, et même une plus grande détresse. La peur incite à l’isolement : c’est l’enjeu psychique et spirituel de votre détresse actuelle.
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