En Indonésie, le gouverneur chrétien de Djakarta condamné à deux ans de prison pour blasphème
Lilas-Apollonia Fournier, le 09/05/2017 à 9h07
Accusé d’avoir insulté le Coran, l’ancien gouverneur chrétien de Djakarta a été condamné mardi 9 mai à deux ans de prison.
Le gouverneur Basuki Tjahaja Purnama à l’ouverture de son procès pour blasphème, à Jakarta le 25 avril 2017.
ZOOM
Le gouverneur Basuki Tjahaja Purnama à l’ouverture de son procès pour blasphème, à Jakarta le 25 avril 2017. / Kristianto Purnomo/AFP
L’ancien gouverneur chrétien de Djakarta, Basuki Tjahaja Purnama, surnommé Ahok, a été condamné mardi 9 mai à deux ans de prison pour insulte à l’islam. Le juge Dwiarso Budi Santiarto a déclaré que les cinq magistrats du tribunal avaient estimé que Basuki Tjahaja Purnama était « de façon probante, coupable de blasphème ». Il a également ordonné son incarcération de celui qui, battu en avril aux élections, reste encore en poste jusqu’en octobre 2017. Le prévenu a annoncé qu’il ferait appel.
Cet événement est sensible en Indonésie, pays comptant le plus de musulmans au monde, dont 90 % de la population est de confession musulmane. Cette histoire fait automatiquement écho aux fortes tensions religieuses, politiques et identitaires qui secouent le pays.
Engagement en faveur de la lutte anti corruption
Issu de la minorité chinoise, Basuki Tjahaja Purnama, 50 ans, a été, entre 2014 et 2017, le premier gouverneur non musulman de la capitale indonésienne depuis plus d’un demi-siècle. Il a construit sa popularité grâce à son engagement en faveur de la lutte anti corruption à Djakarta, métropole de dix millions d’habitants. Son franc-parler lui a valu des inimitiés, notamment parmi les partisans d’une ligne dure de l’islam, opposés à un gouverneur de confession chrétienne.
En septembre 2016, à la suite de récentes déclarations lors de la campagne pour l’élection du gouverneur, il est accusé d’avoir insulté le Coran. Il avait déclaré que l’interprétation par certains oulémas (théologiens musulmans) d’un verset du Coran selon lequel un musulman ne doit élire qu’un dirigeant musulman, était erronée.
Sur les réseaux sociaux, son discours a provoqué la colère des musulmans conservateurs. Ceux-ci ont qualifié ses déclarations « d’insulte » à l’islam. En novembre, plusieurs organisations islamistes ont appelé à son arrestation et ont organisé une manifestation à Djakarta qui réunit plus de 100 000 personnes.
Par la suite, Ahok est inculpé pour « blasphème » et l’affaire est renvoyée au tribunal en décembre 2016. Dans ce contexte, il perd son siège de gouverneur en avril dernier, face à l’intellectuel musulman et ancien ministre de l’Éducation Anies Baswedan.
A LIRE : Indonésie : Djakarta élit un gouverneur musulman
Un pays habité par sa corruption
« Je n’avais aucune intention de commettre un blasphème », a déclaré Basuki Tjahaja Purnama. Pour Sophie Lemière, anthropologue à l’Institut de l’Université européenne à Florence, son procès « est une mise en scène au service d’intérêts politiciens qui a permis d’obscurcir les problèmes économiques ». L’Indonésie est en effet fracturée par des fortes inégalités économiques.
Surtout, le pays connaît un durcissement de son discours identitaire au nom d’une représentation de l’islam. « La double identité minoritaire d’Ahok, chinoise et chrétienne, est perçue comme un symboledupluralisme de l’identité indonésienne », explique la chercheuse française. Or, « les opposants critiquent ce multiculturalisme et la démocratie dans une rhétorique teintée de xénophobie », ajoute Sophie Lemière.
Le procès d’Ahok et les manifestations qui ont suivi n’ont fait que « creuser les failles identitaires » du pays, selon la chercheuse. Les politiques entretiennent l’illusion d’une perte nationale d’identité et de religion.
« Cela sert à justicier des pratiques de pouvoir autoritaire, même dans un contexte démocratique », souligne Sophie Lemière. « La question religieuse est manipulée. Les controverses morales sont instrumentalisées par les politiciens ». ».
Pour appuyer leurs propos, « les politiciens soutiennent ou financent des groupes qui se réclament de la société civile, raconte la chercheuse.Ils se présentent comme des ONG mais sont de connivence avec des partis politiques pour faire croire qu’ils ont des soutiens », commente Sophie Lemière. L’utilité pour le gouvernement ? Affirmer qu’il y a un risque de déstabilisation ethnique dans la société.
Le jugement rendu ce mardi est très important pour les minorités religieuses. Il signifie, pour l’anthropologue, « réduire les communautés minoritaires au silence » : « on peut attendre des réactions fortes de leur part, comme des manifestations ou des votes de sanction à l’égard des autres politiques ».
Le verdict peut avoir un impact national et certainement affecter la politique menée par les politiciens face aux questions identitaire, religieuse et multiculturelle de l’Indonésie.
[Seuls les administrateurs ont le droit de voir ce lien]
Lilas-Apollonia Fournier, le 09/05/2017 à 9h07
Accusé d’avoir insulté le Coran, l’ancien gouverneur chrétien de Djakarta a été condamné mardi 9 mai à deux ans de prison.
Le gouverneur Basuki Tjahaja Purnama à l’ouverture de son procès pour blasphème, à Jakarta le 25 avril 2017.
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Le gouverneur Basuki Tjahaja Purnama à l’ouverture de son procès pour blasphème, à Jakarta le 25 avril 2017. / Kristianto Purnomo/AFP
L’ancien gouverneur chrétien de Djakarta, Basuki Tjahaja Purnama, surnommé Ahok, a été condamné mardi 9 mai à deux ans de prison pour insulte à l’islam. Le juge Dwiarso Budi Santiarto a déclaré que les cinq magistrats du tribunal avaient estimé que Basuki Tjahaja Purnama était « de façon probante, coupable de blasphème ». Il a également ordonné son incarcération de celui qui, battu en avril aux élections, reste encore en poste jusqu’en octobre 2017. Le prévenu a annoncé qu’il ferait appel.
Cet événement est sensible en Indonésie, pays comptant le plus de musulmans au monde, dont 90 % de la population est de confession musulmane. Cette histoire fait automatiquement écho aux fortes tensions religieuses, politiques et identitaires qui secouent le pays.
Engagement en faveur de la lutte anti corruption
Issu de la minorité chinoise, Basuki Tjahaja Purnama, 50 ans, a été, entre 2014 et 2017, le premier gouverneur non musulman de la capitale indonésienne depuis plus d’un demi-siècle. Il a construit sa popularité grâce à son engagement en faveur de la lutte anti corruption à Djakarta, métropole de dix millions d’habitants. Son franc-parler lui a valu des inimitiés, notamment parmi les partisans d’une ligne dure de l’islam, opposés à un gouverneur de confession chrétienne.
En septembre 2016, à la suite de récentes déclarations lors de la campagne pour l’élection du gouverneur, il est accusé d’avoir insulté le Coran. Il avait déclaré que l’interprétation par certains oulémas (théologiens musulmans) d’un verset du Coran selon lequel un musulman ne doit élire qu’un dirigeant musulman, était erronée.
Sur les réseaux sociaux, son discours a provoqué la colère des musulmans conservateurs. Ceux-ci ont qualifié ses déclarations « d’insulte » à l’islam. En novembre, plusieurs organisations islamistes ont appelé à son arrestation et ont organisé une manifestation à Djakarta qui réunit plus de 100 000 personnes.
Par la suite, Ahok est inculpé pour « blasphème » et l’affaire est renvoyée au tribunal en décembre 2016. Dans ce contexte, il perd son siège de gouverneur en avril dernier, face à l’intellectuel musulman et ancien ministre de l’Éducation Anies Baswedan.
A LIRE : Indonésie : Djakarta élit un gouverneur musulman
Un pays habité par sa corruption
« Je n’avais aucune intention de commettre un blasphème », a déclaré Basuki Tjahaja Purnama. Pour Sophie Lemière, anthropologue à l’Institut de l’Université européenne à Florence, son procès « est une mise en scène au service d’intérêts politiciens qui a permis d’obscurcir les problèmes économiques ». L’Indonésie est en effet fracturée par des fortes inégalités économiques.
Surtout, le pays connaît un durcissement de son discours identitaire au nom d’une représentation de l’islam. « La double identité minoritaire d’Ahok, chinoise et chrétienne, est perçue comme un symboledupluralisme de l’identité indonésienne », explique la chercheuse française. Or, « les opposants critiquent ce multiculturalisme et la démocratie dans une rhétorique teintée de xénophobie », ajoute Sophie Lemière.
Le procès d’Ahok et les manifestations qui ont suivi n’ont fait que « creuser les failles identitaires » du pays, selon la chercheuse. Les politiques entretiennent l’illusion d’une perte nationale d’identité et de religion.
« Cela sert à justicier des pratiques de pouvoir autoritaire, même dans un contexte démocratique », souligne Sophie Lemière. « La question religieuse est manipulée. Les controverses morales sont instrumentalisées par les politiciens ». ».
Pour appuyer leurs propos, « les politiciens soutiennent ou financent des groupes qui se réclament de la société civile, raconte la chercheuse.Ils se présentent comme des ONG mais sont de connivence avec des partis politiques pour faire croire qu’ils ont des soutiens », commente Sophie Lemière. L’utilité pour le gouvernement ? Affirmer qu’il y a un risque de déstabilisation ethnique dans la société.
Le jugement rendu ce mardi est très important pour les minorités religieuses. Il signifie, pour l’anthropologue, « réduire les communautés minoritaires au silence » : « on peut attendre des réactions fortes de leur part, comme des manifestations ou des votes de sanction à l’égard des autres politiques ».
Le verdict peut avoir un impact national et certainement affecter la politique menée par les politiciens face aux questions identitaire, religieuse et multiculturelle de l’Indonésie.
[Seuls les administrateurs ont le droit de voir ce lien]