Tintin, un héros chrétien ?
LAURENCE DESJOYAUX publié le 12/01/2017.
Alors que la sortie d’une version colorisée de Tintin au pays des soviets créée des remous chez les tintinophiles, les fans catholiques se retrouvent le 18 janvier aux Bernardins pour discuter des vertus du héros de Hergé et de la théologie implicite de ses aventures.
Preuve que le sujet intéresse : toutes les places sont parties en 24 heures. Les organisateurs de la conférence « Tintin au Vatican », qui se tient au Collège des Bernardins le 18 janvier prochain, ont dû ajouter une date (le 19 janvier, à Notre-Dame d'Auteuil). Il faut dire que le thème, tout comme le panel d’intervenants – Giovanni Maria Vian, directeur de l'Osservatore Romano, Jean-Luc Marion, de l'Académie française, ou encore Rémi Brague, de l'Académie des sciences morales et politiques – ne peut qu’attirer la vaste famille des tintinophiles catholiques. Au cœur de leurs discussions, cette interrogation : Tintin est-il un héros chrétien ?
« On ne trouve pas de vignette ni d’épisode où Tintin fasse acte de dévotion, précise d’emblée Giovanni Maria Vian, la seule chose qui s’en rapproche est une couverture du journal Tintin de 1948, dessinée par Hergé, où le jeune reporter est à genoux devant une crèche avec les Dupondt, le capitaine Haddock et le professeur Tournesol. Mais c’est un chrétien effectif, même s’il ne le déclare pas. Il est comme naturellement chrétien », assure le directeur de l’Osservatore Romano, le quotidien du Vatican, qui collectionne dans son bureau les bibelots relatifs aux aventures du personnage de bande dessinée.
Ces dix dernières années, le journal romain a d’ailleurs consacré au moins deux couvertures à Tintin. Pour Giovanni Maria Vian, il y a même un côté pape François chez Tintin, qui se bat contre les multinationales dans l’Oreille cassée, refuse de croire à la culpabilité du gitan dans les Bijoux de la Castafiore et, en toutes circonstances, est un éloge vivant de la fraternité et de la recherche de vérité et de justice. « Tintin, c’est en quelque sorte la normalité du bien, un exemple vraiment appréciable dans notre société divisée », souligne le journaliste.
Tintin, c’est la charité, Milou, c’est l’espérance et le capitaine Haddock, c’est la foi !
La présence d’une théologie implicite dans l’œuvre de Hergé, voilà la thèse que défend également Jean-Luc Marion, philosophe et académicien catholique – qui travaille d’ordinaire sur des sujets plus « sérieux », notamment la phénoménologie du don – dans un petit ouvrage paru en 1996, Tintin le Terrible (Hachette). « Tintin commence à la fin des années 1920, dans la Belgique colonialiste, avec l’album Tintin au Congo. Dans cette aventure, le phénomène religieux est sociologique, matérialisé par la présence des missionnaires. On est là dans une vision très institutionnelle du fait chrétien », développe Jean-Luc Marion.
Durant la Seconde Guerre mondiale, les aventures de Tintin reflètent selon le philosophe « une théologie de l’absence de Dieu, négative, critique ». Dans l’Étoile mystérieuse (1942), « ce qui est présenté d’abord comme la fin du monde n’est en fait qu’un tremblement de terre, le prophète est un faux prophète critiqué par Tintin qui va jusqu’au "blasphème" en lui disant "Ici Dieu le Père" pour le faire sortir de sa folie ».
Dans les années 1950 et 1960, Hergé traverse une crise personnelle. Il renaît dans Tintin au Tibet (1960) son 20e album, un épisode en forme d’aventure intérieure pour le reporter qui exhale le sentiment d’amitié plus fort que la mort. Toute la trame se noue autour de la foi de Tintin qui croit, malgré les éléments, que son ami Tchang est vivant. « Dans la scène finale, les moines montent à la rencontre de Tintin qui ramène Tchang et le nomment "cœur pur", terme qui rappelle les Béatitudes, "Heureux les cœurs purs". note Jean-Luc Marion. Pour moi, on retrouve dans les personnages les trois vertus théologales. Tintin, c’est la charité, Milou, qui court à ses côtés et résiste aux tentations, c’est l’espérance et le capitaine Haddock, qui dit sans cesse qu’il ne viendra pas mais fini par suivre Tintin, c’est la foi ! »
Hergé m'a dit que je lui avais appris beaucoup de choses sur lui-même !
(Jean-Luc Marion)
Pour l’académicien, cette évolution de la théologie implicite dans Tintin est aussi un reflet de l’évolution du siècle. « Comme les grands romanciers, Hergé a su réduire son époque à sa vérité. Si l’on veut savoir ce qu’est le XXe siècle, il faut lire Proust et Céline, mais aussi Hergé ! »
Mais que pensait le créateur de Tintin de ce regard sur son œuvre ? Jean-Luc Marion, qui a eu la chance de le rencontrer dans les années 1970, lui a posé la question. « Il m’a dit deux choses : d’abord qu’il n’y avait jamais pensé, mais ensuite que je lui avais appris beaucoup de choses sur lui-même ! » Depuis cette rencontre, le philosophe a fait partie de cette liste de privilégiés à qui Hergé envoyait chaque année un dessin inédit comme carte de vœux...
http://www.lavie.fr/debats/chretiensendebats/tintin-un-heros-chretien-12-01-2017-79208_431.php
LAURENCE DESJOYAUX publié le 12/01/2017.
Alors que la sortie d’une version colorisée de Tintin au pays des soviets créée des remous chez les tintinophiles, les fans catholiques se retrouvent le 18 janvier aux Bernardins pour discuter des vertus du héros de Hergé et de la théologie implicite de ses aventures.
Preuve que le sujet intéresse : toutes les places sont parties en 24 heures. Les organisateurs de la conférence « Tintin au Vatican », qui se tient au Collège des Bernardins le 18 janvier prochain, ont dû ajouter une date (le 19 janvier, à Notre-Dame d'Auteuil). Il faut dire que le thème, tout comme le panel d’intervenants – Giovanni Maria Vian, directeur de l'Osservatore Romano, Jean-Luc Marion, de l'Académie française, ou encore Rémi Brague, de l'Académie des sciences morales et politiques – ne peut qu’attirer la vaste famille des tintinophiles catholiques. Au cœur de leurs discussions, cette interrogation : Tintin est-il un héros chrétien ?
« On ne trouve pas de vignette ni d’épisode où Tintin fasse acte de dévotion, précise d’emblée Giovanni Maria Vian, la seule chose qui s’en rapproche est une couverture du journal Tintin de 1948, dessinée par Hergé, où le jeune reporter est à genoux devant une crèche avec les Dupondt, le capitaine Haddock et le professeur Tournesol. Mais c’est un chrétien effectif, même s’il ne le déclare pas. Il est comme naturellement chrétien », assure le directeur de l’Osservatore Romano, le quotidien du Vatican, qui collectionne dans son bureau les bibelots relatifs aux aventures du personnage de bande dessinée.
Ces dix dernières années, le journal romain a d’ailleurs consacré au moins deux couvertures à Tintin. Pour Giovanni Maria Vian, il y a même un côté pape François chez Tintin, qui se bat contre les multinationales dans l’Oreille cassée, refuse de croire à la culpabilité du gitan dans les Bijoux de la Castafiore et, en toutes circonstances, est un éloge vivant de la fraternité et de la recherche de vérité et de justice. « Tintin, c’est en quelque sorte la normalité du bien, un exemple vraiment appréciable dans notre société divisée », souligne le journaliste.
Tintin, c’est la charité, Milou, c’est l’espérance et le capitaine Haddock, c’est la foi !
La présence d’une théologie implicite dans l’œuvre de Hergé, voilà la thèse que défend également Jean-Luc Marion, philosophe et académicien catholique – qui travaille d’ordinaire sur des sujets plus « sérieux », notamment la phénoménologie du don – dans un petit ouvrage paru en 1996, Tintin le Terrible (Hachette). « Tintin commence à la fin des années 1920, dans la Belgique colonialiste, avec l’album Tintin au Congo. Dans cette aventure, le phénomène religieux est sociologique, matérialisé par la présence des missionnaires. On est là dans une vision très institutionnelle du fait chrétien », développe Jean-Luc Marion.
Durant la Seconde Guerre mondiale, les aventures de Tintin reflètent selon le philosophe « une théologie de l’absence de Dieu, négative, critique ». Dans l’Étoile mystérieuse (1942), « ce qui est présenté d’abord comme la fin du monde n’est en fait qu’un tremblement de terre, le prophète est un faux prophète critiqué par Tintin qui va jusqu’au "blasphème" en lui disant "Ici Dieu le Père" pour le faire sortir de sa folie ».
Dans les années 1950 et 1960, Hergé traverse une crise personnelle. Il renaît dans Tintin au Tibet (1960) son 20e album, un épisode en forme d’aventure intérieure pour le reporter qui exhale le sentiment d’amitié plus fort que la mort. Toute la trame se noue autour de la foi de Tintin qui croit, malgré les éléments, que son ami Tchang est vivant. « Dans la scène finale, les moines montent à la rencontre de Tintin qui ramène Tchang et le nomment "cœur pur", terme qui rappelle les Béatitudes, "Heureux les cœurs purs". note Jean-Luc Marion. Pour moi, on retrouve dans les personnages les trois vertus théologales. Tintin, c’est la charité, Milou, qui court à ses côtés et résiste aux tentations, c’est l’espérance et le capitaine Haddock, qui dit sans cesse qu’il ne viendra pas mais fini par suivre Tintin, c’est la foi ! »
Hergé m'a dit que je lui avais appris beaucoup de choses sur lui-même !
(Jean-Luc Marion)
Pour l’académicien, cette évolution de la théologie implicite dans Tintin est aussi un reflet de l’évolution du siècle. « Comme les grands romanciers, Hergé a su réduire son époque à sa vérité. Si l’on veut savoir ce qu’est le XXe siècle, il faut lire Proust et Céline, mais aussi Hergé ! »
Mais que pensait le créateur de Tintin de ce regard sur son œuvre ? Jean-Luc Marion, qui a eu la chance de le rencontrer dans les années 1970, lui a posé la question. « Il m’a dit deux choses : d’abord qu’il n’y avait jamais pensé, mais ensuite que je lui avais appris beaucoup de choses sur lui-même ! » Depuis cette rencontre, le philosophe a fait partie de cette liste de privilégiés à qui Hergé envoyait chaque année un dessin inédit comme carte de vœux...
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